Les droits de douane américains frappent durement la Chine, mais l'Europe limite les dégâts grâce à des taux plus modérés, bien que l'euro fort pèse sur sa compétitivité.
Les droits de douane américains frappent durement la Chine, mais l'Europe limite les dégâts grâce à des taux plus modérés, bien que l'euro fort pèse sur sa compétitivité.
Publié le 1 août 2025 à 06:00Mis à jour le 1 août 2025 à 07:06
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On y voit enfin (un peu) plus clair dans les droits de douane américains. Désormais, on sait à combien seront taxées par les Etats-Unis les importations d'un grand nombre de pays à partir du jeudi 7 août puisque Donald Trump a précisé jeudi soir que ce sera à cette date que ces nouveaux droits de douane s'appliqueront.
Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne et des différentiels importants apparaissent. Le Royaume-Uni est taxé à 10 %, les produits de l'Union européenne, du Japon et de la Corée du Sud supporteront des droits de douane de 15 % quand ils rentreront sur le territoire américain. D'autres pays asiatiques comme l'Indonésie, les Philippines et le Vietnam sont imposés à 19 % ou 20 %, l'Inde à 25 % et la Chine à 55 % en tenant compte des hausses intervenues lors du premier mandat de Trump.
Le Brésil sera lui puni pour poursuivre en justice son ancien président d'extrême droite, Jair Bolsonaro, accusé d'avoir fomenté une tentative de coup d'Etat en janvier 2023. Les droits de douane sur ses produits arrivant aux Etats-Unis s'élèveront à 50 % dès le 1er août.
Une défense à trois étages
« Une protection américaine à trois étages se dessine », analyse Sébastien Jean, professeur au conservatoire national des arts et métiers (CNAM). « D'abord une Chine très taxée pour accélérer le découplage de l'Amérique avec Pékin. Ensuite, un bloc nord-américain comprenant le Mexique et le Canada, les adhérents à l'USMCA, le traité de libre-échange qui les lie aux Etats-Unis, qui bénéficie de très nombreuses exemptions de droits de douane, et enfin, le reste du monde, imposé entre 15 % et 20 % ».
Certains produits sont exemptés - c'est le cas du secteur aéronautique européen - alors que d'autres, comme l'acier, l'aluminium et le cuivre seront taxés à 50 %. Enfin, des pays sont soumis à des quotas et ne peuvent exporter plus qu'un nombre précis de produits aux Etats-Unis. C'est le cas par exemple des automobiles britanniques.
« De nombreux pays tiers, notamment asiatiques, ont accepté des accords commerciaux nettement plus contraignants que celui signé par les Européens, et ils sont parfois assortis de lourdes concessions sur la souveraineté réglementaire, les transferts de technologies ou les engagements sectoriels », écrivent les économistes de l'institut Rexecode dans une note parue ce jeudi.
Globalement, le Budget Lab de l'Université de Yale aux Etats-Unis estime que le droit de douane moyen effectif américain - c'est-à-dire en fonction des importations américaines de 2024 - atteint désormais 18,4 %, son niveau le plus haut depuis… 1933. A titre de comparaison, il s'élevait à 2,3 % en janvier dernier. Le choc est donc massif pour les exportateurs du monde entier, les Etats-Unis achetant 3.200 milliards de biens par an, mais il va l'être aussi progressivement pour les ménages et les entreprises américaines.
La Chine perdante
La première conséquence, c'est qu'« avec les droits de douane de Donald Trump, les consommateurs et les entreprises américaines vont acheter plus de biens produits aux Etats-Unis et donc le reste du monde va nécessairement en souffrir », explique Lionel Fontagné, professeur à l'Ecole d'économie de Paris et directeur de l'Institut des politiques macroéconomiques et internationales (i-MIP).
Quels pays seront les plus pénalisés sur le marché américain ? Les entreprises chinoises vont nécessairement perdre des parts de marché. On le voit déjà dans les statistiques américaines. Alors que les Chinois avaient exporté 34 milliards de dollars vers les Etats-Unis en mai 2024, ils n'ont vendu que 20 milliards de dollars de biens aux Américains un an après, en mai 2025.
Dans ce contexte, si l'on s'en tient aux seuls droits de douane, « les entreprises européennes ne seront pas en si mauvaise position sur le marché américain relativement à leurs concurrentes étrangères », estime Lionel Fontagné. D'ailleurs, jeudi Oliver Zipse, le patron de BMW a déclaré que les réactions aux droits de douane étaient « très exagérées ».
Cependant, « nos concurrents directs pour l'export aux Etats-Unis, ce ne sont pas les pays émergents, ce sont surtout les pays avancés et industrialisés », souligne Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez Rexecode. Or, « pour ces pays les droits de douane sont plutôt harmonisés, proches de 15 %, donc le gain de compétitivité via un différentiel de droits de douane sera limité pour les exportations européennes vers l'Amérique », conclut-il.
La question du taux de change
L'autre point important pour définir l'effet net des droits de douane de Trump sur la compétitivité des pays, c'est l'évolution du taux de change. Et là, la Chine ne s'en sort pas si mal. Le renminbi s'est dévalué par rapport au dollar et à la plupart des autres grandes devises.
En revanche, comme le remarque Anthony Morlet-Lavidalie, « l'Europe souffre d'un euro fort qui s'apprécie davantage face au dollar que les autres devises. Donc la compétitivité obtenue par de moindres droits de douane américains sur l'Europe pourrait être en partie entamée par un euro qui s'apprécie face au reste du monde ». La monnaie européenne a gagné 11 % par rapport au billet vert depuis le début de l'année et environ 5 % par rapport aux devises étrangères en moyenne.
La question est aussi de savoir si les entreprises européennes vont réussir à augmenter leurs prix de vente aux Etats-Unis plutôt que de réduire leurs marges. « Dans la capacité à faire reposer sur les acheteurs américains le coût des droits de douane, le positionnement de gamme des entreprises européennes sera très important », prévient Lionel Fontagné.
Il est probable qu'une partie des hausses de droits de douane se répercute sur l'électorat de Donald Trump. Le Budget Lab de Yale estime à 2.400 dollars par famille américaine en moyenne le coût des droits de douane sur la première année. Mais les marges des Européens, souvent importantes de l'autre côté de l'Atlantique, ne pourront pas rester à leur niveau actuel.
Reste un risque pour les Européens, celui de se retrouver affaiblis sur leur propre marché. « Les Chinois vont perdre des parts de marché aux Etats-Unis et vont essayer de compenser en trouvant d'autres débouchés, notamment en Europe qui est une zone dont la demande est proche de celle des Américains », indique Sébastien Jean. Les économistes de la Banque centrale européenne estiment que les importations européennes en provenance de Chine pourraient augmenter de 10 % d'ici la fin 2026, ce qui serait une très mauvaise nouvelle pour l'industrie du Vieux Continent.
Guillaume de Calignon
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