Guerre commerciale : Bruxelles exclut d'assouplir ses réglementations du numérique
La Commission européenne rejette toute concession à Trump sur les réglementations DMA et DSA, deux textes phares de la dernière législature. Le commissaire Maros Sefcovic se rend à Washington ce mardi et espère un accord de principe sur les droits de douane la semaine prochaine.
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Dans les négociations entre Ursula von der Leyen et Donald Trump, un colossal enjeu : la relation commerciale la plus profonde au monde.
Dans les négociations entre Ursula von der Leyen et Donald Trump, un colossal enjeu : la relation commerciale la plus profonde au monde. (Shealah Craighead/Zuma Press/Zuma press/REA)
Par Karl De Meyer
Publié le 30 juin 2025 à 19:36Mis à jour le 30 juin 2025 à 19:43
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Dans l'état de turbulence où Donald Trump a plongé le commerce mondial, tous les acteurs scrutent attentivement les décisions des autres et en tirent des conclusions pour leur propre stratégie. L'annonce du Canada, ce lundi, qu'il retirait une taxe sur les services numériques, que le président américain avait présentée comme « un coup direct et évident » contre les Etats-Unis, pour pouvoir reprendre les négociations avec Washington, brutalement interrompues vendredi, a fait réfléchir en Europe.
Comme l'a analysé le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, cette intimidation de Donald Trump, qui en fait appartient au registre de la coercition, pose la question de « savoir si des gouvernements démocratiquement élus peuvent réglementer et taxer de puissantes entreprises, ou si des milliardaires de la tech peuvent dicter des politiques par l'intermédiaire de relais politiques ».
Or depuis quelques semaines flotte à Bruxelles l'idée que la Commission européenne, pour obtenir des droits de douane raisonnables de la Maison-Blanche, pourrait, non pas supprimer, mais « aménager » les grandes législations européennes du numérique.
Effet sur l'opinion
Le DMA (Digital Markets Act) vise à limiter le pouvoir de marché et les pratiques anticoncurrentielles des grandes plateformes comme Amazon, Apple, Meta, Microsoft… Le DSA (Digital Services Act) impose aux plateformes de renforcer les efforts contre les contenus illégaux et préjudiciables.
Plusieurs sources de la Commission assurent qu'il n'en est pas question. D'abord parce que ce serait un terrible aveu de faiblesse que de renoncer à deux textes qui ont été présentés comme des avancées majeures de la dernière législature. Ces deux lois ont inspiré des pays tiers et participent au « Brussels effect », terme par lequel on désigne la capacité de l'UE à créer des standards mondiaux ou du moins dépassant les frontières de l'Union.
Revoir le DMA ou le DSA requerrait en outre un nouveau processus législatif (une proposition de la Commission à valider par les Etats membres et le Parlement européen), qui aurait bien peu de chances d'aboutir. Si jamais on en arrivait là, on imagine l'effet sur l'opinion publique européenne.
Ne pas extrapoler
Interrogé par « Les Echos », un porte-parole de la Commission l'a répété lundi : « Les législations ne seront pas modifiées. Le DMA et le DSA ne sont pas sur la table des négociations commerciales avec les Etats-Unis. » La porte-parole en chef de la Commission a pour sa part appelé à ne pas extrapoler à partir du cas canadien : « C'est à chaque pays de décider sa stratégie et de faire ses choix. »
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Interrogée sur le fait que certains pays de l'UE ont des taxes sur les services numériques comparables à celle du Canada, et pourraient donc être individuellement attaqués par Washington, elle a réaffirmé que « la Commission négocie au nom des Vingt-Sept ». La Maison-Blanche ne peut pas infliger des droits de douane différents aux pays de l'UE. Donald Trump avait la semaine dernière menacé d'imposer des droits punitifs à l'Espagne face au refus du Premier ministre Pedro Sanchez de s'aligner sur le nouvel objectif de dépenses militaires de l'Otan.
Les négociations entre Bruxelles et Washington sont actuellement très intenses. La Commission a reçu jeudi une proposition de la partie américaine. Lundi, Maros Sefcovic, commissaire au Commerce, a indiqué qu'une équipe « technique » était en train de voler vers Washington. Lui-même y sera à partir de ce mardi.
Nouveau round de négociation
Il compte rencontrer le représentant américain au commerce Jamieson Greer et le secrétaire au Commerce Howard Lutnick. Il s'est dit confiant dans la possibilité de conclure un accord « principiel » avant la date butoir (informelle) du 9 juillet fixée par Donald Trump. Personne ne sait vraiment ce que déciderait Washington après cette date, faute d'accord. Le président a brandi la menace de droits de douane de 50 %.
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Maros Sefcovic a rappelé la hauteur de l'enjeu : la relation commerciale la plus profonde au monde (1.600 milliards d'euros chaque année). Il a réclamé un accord « juste, qui aidera à donner de la clarté et de la prévisibilité aux acteurs économiques pour le reste de l'année ».
Depuis plusieurs semaines, le chancelier allemand Friedrich Merz réclame une conclusion rapide des discussions, insistant sur les pertes déjà lourdes qu'essuient les fleurons de l'industrie allemande dans la chimie, l'industrie pharmaceutique, la construction mécanique, l'acier, l'aluminium et l'automobile.
Vues divergentes
Ce mercredi, Ursula von der Leyen doit recevoir une délégation de patrons de douze très grandes entreprises de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le coeur industriel de l'Allemagne, notamment E.ON, Lufthansa, Lanxess, ThyssenKrupp. Ils auront à coeur d'évoquer les objectifs climatiques de l'Union européenne, les coûts de l'énergie et la simplification réglementaire en cours, mais il serait surprenant qu'ils n'évoquent pas le commerce.
Les Etats membres ont des visions divergentes. Giorgia Meloni, Première ministre italienne, a indiqué qu'elle pourrait s'accommoder d'une surtaxe douanière générale de 10 %. A priori sans contre-mesures européennes. D'autres leaders, comme Emmanuel Macron, réclament que l'UE montre aussi ses muscles, ne serait-ce que pour préserver la crédibilité de l'Union comme puissance commerciale. « On n'est pas le Royaume-Uni », entend-on souvent à Bruxelles.
Karl De Meyer (Bureau de Bruxelles)
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