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La tyrannie de la vertu [ElseNews]

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La tyrannie de la vertu


[Le Point: Affaire Depardieu : l'avènement des vertueux](https://www.lepoint.fr/invites-du-point/affaire-depardieu-l-avenement-des-vertueux-03-01-2024-2548908_420.php )

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CHRONIQUE
Affaire Depardieu : l’avènement des vertueux
TRIBUNE. Pour la philosophe Bérénice Levet, la présomption d’innocence devrait rester un principe cardinal de la démocratie. Il est hélas supplanté par un « désir de vertu ».

Par Bérénice Levet*

Publié le 03/01/2024 à 08h12, mis à jour le 03/01/2024 à 09h56

Temps de lecture :
4 min

Lecture audio réservée aux abonnés

Le parti du Bien n'est pas constitué que de militants, d'activistes. Un nombre important de Français considèrent qu'un homme public accusé d'agression sexuelle doit s'effacer ou être effacé. « Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus innocent », écrivait Racine. L'auteur des Plaideurs est funestement confirmé. Postuler l'innocence est un principe constitutif de l'État de droit, entend-on volontiers rappeler.
De l'État de droit, assurément, mais d'abord d'un monde civilisé. Observons de surcroît que ce principe est allègrement et perpétuellement bafoué par le simple fait de qualifier de victime, et non d'accusatrice, toute femme qui « libère sa parole » et livre à la vindicte populaire son « agresseur ».

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Le sacre de la victime
Avons-nous pris la mesure, toute la mesure, de ce que signifie ce sacre de la victime ? Dès 1999, alors que le phénomène n'en était qu'à ses prémices en France, René Girard, instruit par son expérience américaine, s'en faisant le penseur pénétrant : « Grande première anthropologique », observait-il, que cette transposition de « tous nos conflits dans le langage des victimes innocentes ». Et le philosophe d'établir un parallèle permettant de prendre la mesure de la mutation civilisationnelle qui se jouait : « Au tympan de certaines cathédrales figure un très grand ange muni d'une balance. Il pèse les âmes pour l'éternité », aujourd'hui, si l'on s'avisait d'illustrer les forces qui mènent le monde, « au fronton de nos parlements, de nos universités, de nos palais de justice, de nos maisons d'édition, de nos stations de télévision », figurerait « un pèsement des victimes qu'on sculpterait ». L'homme a perdu son âme, il n'a plus qu'une identité et une identité de victime, me semble résumer l'esprit de notre temps. L'immense penseur avertissait alors contre les conséquences funestes d'une telle exaspération : « La surenchère perpétuelle transforme le souci des victimes en une injonction totalitaire, une inquisition permanente ». Cassandre est vérifiée !

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Nos vertueux partagent assurément la fascination qu'exerçait, sur André Breton et les surréalistes, l'idée de vivre dans une maison de verre. Comme Tartuffe s'autorisant de la vertu pour régenter l'esprit et le foyer d'Orgon, nos Tartuffe se réclament du bien des victimes, de leur salut même, pour quadriller la totalité de nos existences, pénétrer dans les moindres recoins de nos vies. Le slogan « Tout est politique » redevient incontesté et incontestable. Grande victoire idéologique !

La tyrannie de la vertu
Si nous devons avec la dernière énergie refuser ce despotisme, cette tyrannie de la vertu, c'est que celle-ci sacrifie la réalité des êtres et des choses. Elle nous condamne à aller vers l'humaine condition compliquée avec des idées simples. Les « pensées de prétoire », écrit magnifiquement Mona Ozouf, sont sans doute fort « utiles pour dramatiser les controverses, mais nous renseigne peu sur la vie réelle ». Répugnance aux ombres, aux ténèbres, à la complexité qui éclaire, selon moi, le fait, éclatant, qu'on ne saurait manquer de souligner avec insistance : le prurit justicier est porté à son incandescence dans les questions touchant au sexe, et singulièrement au désir masculin. Retour de bâton après la liberté des années soixante, dit-on. Sans doute, mais aussi et d'abord, selon moi, parce que l'ambiguïté, l'ambivalence y atteint son comble. Énigme pour soi, pour l'autre.

C'est le cœur léger et même gonflé à plein, que d'aucuns sont disposés à réécrire Conrad, à interdire, avec les islamistes, la transmission de Madame Bovary et d'un héritage pictural et musical « impurs », à effacer de l'histoire de l'art les maîtres et à remiser dans les réserves des musées, à défaut de les brûler, les œuvres de Picasso, de Gauguin, de Balthus – Balthus auquel j'ai tant pensé au lendemain de la diffusion du Complément d'Enquête consacré à Gérard Depardieu, le peintre de Thérèse rêvant également accusé de « sexualiser une enfant », et dont une pétition exigeait du MET qu'il expose l'œuvre à l'écart et escortée de cartels préventifs. À ce compte, ce sont les musées tout entiers qu'il faudra faire précéder d'un avertissement. Âmes prudes s'abstenir ! Les Bacchanales de Titien ou Poussin, les Suzanne et les Vieillards, les Satyres priapiques, Zeus se métamorphosant en taureau, en cygne, en pluie d'or pour posséder Europe, Leda, Danaé.
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Les censeurs ne confondent pas le réel et la fiction, comme on l'entend dénoncer, la chose est beaucoup plus grave : il dénie à la fiction sa raison d'être qui est l'exploration du réel dans ses ombres et ses lumières. La littérature, l'art, en général ne sont pas des écoles de pudibonderie, et c'est bien pourquoi la lecture des romans a toujours été regardée avec anxiété par les gardiens des orthodoxies.

« Dans un temps d'ignorance on n'a aucun doute même lorsqu'on fait les plus grands maux ; dans un temps de lumière on tremble encore lorsqu'on fait les plus grands biens », écrivait Montesquieu.

Ressassions-nous ! Tremblons avant d'inculper, d'excommunier, d'« effacer » !

* Bérénice Levet, philosophe, essayiste. Dernier ouvrage paru : Le Courage de la dissidence. L'esprit français contre le wokisme (éditions de l'Observatoire, novembre 2022).

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jean2012
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Commentaires (33)
Jepirad 03-01-2024 • 14h11
Finalement toute cette littérature autour du cas De pardieu montre que Depardieu est un homme, acteur hors du commun. La… Lire plus
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Free-man 03-01-2024 • 13h48
Brillant exercice culturel que cet article mais il repose sur l'idée que les apôtres de la Vertu sont à l'œuvre dans l'a… Lire plus
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patr37 03-01-2024 • 13h39
Quel est le vrai problème ? Pas celui de se partager entre pro et anti Depardieu. La raison voudrait “qu'on laisse faire… Lire plus
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