Laurent Lafon, président de la Commission culturelle du Sénat Copie écran
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« Vous déclariez devant nous, le 22 octobre dernier, je vous cite : “Je n’ai pas arbitré en faveur d’une priorité plus qu’une autre, j’ai fait de la sécurité une urgence absolue”. L’IGAC [1] et la MISSA [2], dans leur enquête administrative, ainsi que la Cour des comptes, dans son rapport thématique, aboutissent malheureusement à la conclusion inverse. »
Dans son introduction à la seconde audition de Laurence des Cars devant la Commission culturelle du Sénat, son président, Laurent Lafon (ill. 1), n’a pas mâché ses mots. Dès le début en effet, il montre qu’il n’est pas dupe des réponses mensongères ou insuffisantes que leur a faites la présidente du Louvre lors de sa première comparution devant cette instance (voir l’article). Et il dit aussi : « Madame la Présidente, vos déclarations ont évolué sur le schéma directeur depuis le 1er octobre et cette évolution a semé un certain trouble. » Il précise les manquements du Louvre : « Ces conclusions [du rapport d’enquête] sont […] d’une grande sévérité pour votre gestion comme pour celle de l’équipe précédente. Elles établissent clairement que le cambriolage du 19 octobre, loin de constituer un événement fortuit, a été permis par une accumulation de carences dans le pilotage du musée qui auraient pu et auraient dû être résolues à la date du vol. » et il n’hésite pas à parler de « défaillance générale du Louvre en matière de sûreté ».
2. Laurence des Cars devant la Commission culturelle du Sénat, le 17 décembre 2025 Copie écran
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On aurait pu attendre, devant un tel constat, que Laurence des Cars (ill. 2) accepte enfin de reconnaître ses responsabilités et de s’expliquer. Il n’en fut évidemment rien. S’obstinant dans ses explications partielles et fausses, elle n’a à peu près reconnu aucune erreur sauf peut-être, du bout des lèvres, une mauvaise évaluation du risque de vol. Elle a persisté dans son attitude hautaine, qui est chez elle une seconde nature, et, surtout, elle a soigneusement évité de répondre à la plupart des questions des sénateurs. C’est ainsi qu’elle a soigneusement évité de répondre aux questions de Marie-Pierre Monier, Pierre Ouzoulias, Max Brisson, Monique de Marco, Jacques Grosperrin et Jean-Gérard Paumie, et qu’elle n’a répondu que partiellement à celles de Sonia de la Provôté et d’Agnès Evren.
Devant cette attitude, Max Brisson a quitté ostensiblement la salle en protestant, ce à quoi, curieusement, le président Laurent Lafon, pourtant très percutant le reste du temps, a dit que Laurence des Cars « répond aux questions auxquelles elle souhaite répondre ». Il sera plus difficile pour elle de conserver la même attitude devant la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Cela démontre à nouveau, par ailleurs, que les questions des parlementaires, dans ce type d’audience, ne devraient pas être prises groupées, ce qui donne toute latitude à la personne interrogée d’en mettre certaines de côté.
Laurent Lafon est revenu sur la question, cruciale, du planning du schéma directeur sécurité, essayant de mieux comprendre l’enchaînement des faits. Lors de l’audition, la veille, de Jean-Luc Martinez, le prédécesseur de Laurence des Cars, et de son équipe, il avait été précisé que l’avant-projet définitif avait été validé fin janvier 2023. Par avant-projet définitif, il faut comprendre l’ensemble des avant-projets définitifs, car le schéma directeur, nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, est formé de plusieurs projets : réseaux, vidéosurveillance, hypervision, PCC/PCZ, cybersécurité… La version la plus récente d’un avant-projet définitif dont nous disposons, date du 5 décembre 2022. La date d’une validation globale fin janvier 2023 semble donc cohérente, ce qui témoigne déjà d’un retard certain dans le déroulé du projet, puisqu’en 2021, l’ensemble des études devait être terminées à la mi-2022, et certains travaux (sur les réseaux) devaient commencer dès cette date.
3. Jean-Luc Martinez devant la Commission culturelle du Sénat, le 16 décembre 2025 Copie écran
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Comme l’avait dit Jean-Luc Martinez la veille (ill. 3), tout devait en effet être prêt pour les Jeux Olympiques, donc mi-2024, ce qu’a rappelé Laurent Lafon. Celui-ci a donc posé la question des « raisons précises qui ont justifié par la suite le report de sa mise en œuvre ». Une fois de plus, d’ailleurs, il rappelle qu’on pouvait douter de ce que disait Laurence des Cars : « Vos déclarations ont évolué sur le schéma directeur […] et cette évolution a semé un certain trouble ». On aurait pu croire que la présidente du Louvre allait enfin dire la vérité. On se trompait lourdement. Comme nous pouvons le démontrer ici, elle n’a cessé, à nouveau, de raconter n’importe quoi devant les parlementaires. Et ce ne sont pas ses déclarations lyriques (« J’ai la profonde conviction que le Louvre ne doit pas être jugé à l’aune de la crise qu’il traverse, mais bien à la façon dont il va tirer toutes les leçons des récents événements pour se transformer et se renforcer. » ; « Le Louvre de demain s’écrit dès aujourd’hui » ; « Il faut faire entrer le Louvre dans le XXIe siècle ») qui vont y changer quelque chose.
Après avoir rappelé les quelques actions mises en œuvre en urgence après le vol du 19 octobre, Laurence des Cars a à nouveau défendu le projet « Nouvelle Renaissance », en réalité la partie « Grande Colonnade » de ce projet, car évidemment personne ne remet en cause l’autre partie, qui concerne la remise à niveau des infrastructures du musée, dont la sécurité, et la restauration du palais. Remarquons toutefois un point qui revient assez peu dans les débats : la restauration du palais, pour le projet « Nouvelle Renaissance », concerne essentiellement l’aile Sully. Et des travaux urgents, comme la restauration des toitures au-dessus des guichets du Louvre, dont le Canard Enchaîné révélait qu’elles « constituaient un danger potentiel pour les peintures italiennes situées juste en-dessous » (la Grande Galerie), ou celles du pavillon de Flore - qui sont dans le pire état du musée - sont repoussés après le projet Grande Colonnade.
S’il fallait davantage de preuves que le projet « Grande Colonnade » est bien la cause des problèmes actuels du musée, Laurence des Cars en a fourni, sans même s’en rendre compte, dans cette deuxième audience. En effet, parmi les prétextes donnés pour expliquer le retard pris par le schéma directeur de sûreté, il en est apparu un nouveau, qui n’avait jamais été vraiment évoqué jusqu’à aujourd’hui, celui du budget. Francis Steinbock, puis Laurence des Cars elle-même ont en effet expliqué qu’il fallait attendre que le Louvre dispose de crédits de la part du ministère de la Culture. Cette dernière affirme que « à ce moment-là, la tutelle n’a pas encore arbitré en faveur des schémas directeurs importants pour la rénovation et le soutien et la modernisation du Louvre ». Quel aveu, en réalité. Car en 2023, le Louvre avait reçu depuis son arrivée en 2021, pas moins de 192 millions d’euros, et 55 millions encore en 2024. Soit largement ce qu’il fallait pour mener un schéma directeur sécurité estimé alors à 80 millions d’euros ! Oui, mais cet argent d’Abu Dhabi, la présidente-directrice le réservait, et le réserve encore, au projet « Grande Colonnade ». Aujourd’hui, elle veut financer la sécurité par l’augmentation du prix des billets pour les non européens, et par une subvention annuelle de 10 millions d’euros par l’État.
4. Extrait d’une présentation du schéma directeur sûreté au CHSCT du Louvre le 4 mai 2021 montrant le périmètre du projet, incluant le C2RMF Copie écran
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Comme l’a rappelé Laurent Lafon lors de l’audition, Laurence des Cars avait prétexté, pour justifier le retard : « l’absence de l’hypervision, la question de la surveillance périmétrique et celle de la cybersécurité ». Pour ces trois sujets, nous avons déjà montré que cela était faux (voir l’article). Il faut y rajouter celui de la rénovation des postes de commande et de la position du poste de commandement central : là encore, nous avons montré que cela été faux (voir l’article), et nous publierons rapidement un autre article plus détaillé à ce sujet. Nous venons de voir que les problèmes budgétaires ne pouvaient pas davantage être tenus responsables (sauf à considérer, comme elle l’a fait, que l’argent devait être conservé pour le projet Grande Colonnade). Enfin, il faut ajouter une autre raison, tout aussi fausse, qu’elle a évoquée lors de son audition : l’extension du périmètre du schéma directeur au Centre de recherche et de restauration des musées de France, qui se trouve dans le pavillon de Flore, à l’extrémité ouest du Louvre du côté de la Seine. Or, là encore, il s’agit d’un mensonge : le C2RMF était, depuis au moins mai 2021, inclus dans ce projet, comme le montre un document présenté au CHSCT le 4 mai 2021 (ill. 4). Il est par ailleurs inclus dans toutes les versions des avant-projets définitifs du premier semestre 2022.
À un moment de l’audition, Laurent Lafon prend Francis Steinbock, l’administrateur général adjoint, en flagrant délit. Ce dernier expliquait en effet, avec moult circonvolutions, que les retards étaient dus, outre la question budgétaire vue plus haut, à des processus longs par nature : « C’est un projet qui s’est fait dans le pur respect des procédures administratives. Mais l’ampleur des documents, l’ampleur de la matière impose aussi de laisser du temps aux prestataires. Nous n’avons pas traîné sur nos phases de validation mais simplement il faut du temps pour rédiger toutes ces pièces et avancer dans le projet. » Mais cela ne correspond pas, rappelle alors le président de la Commission, à ce le Louvre écrivait à la tutelle dans le rapport annuel de performance 2023. Ainsi : « L’appel d’offres a été de fait lancé en décembre 2024, dix mois plus tard. Il aura été notifié en décembre 2025, c’est-à-dire un an plus tard. Et dans le contrat de performance de l’année suivante, en 2024, vous constatez qu’il y a retard ». Et il enfonce le clou : « Je ne sais pas pourquoi vous ne reprenez pas ce mot de retard aujourd’hui, alors qu’il est écrit noir sur blanc sur les documents qui viennent de chez vous […] Vous répétez à deux reprises à votre tutelle qu’entre le lancement des travaux et l’attribution, il faudra environ trois mois. Vous l’avez dit dans le rapport d’exécution de 2024 et celui de 2023, de fait il aura fallu quasiment une année. Et vous continuez de nous dire qu’il n’y a pas retard. »
Sans sourciller, l’administrateur, après un temps d’hésitation, a répondu : « il y a eu un retard, au sens où les procédures ont été lancées plus tardivement que prévues, mais ce n’est pas un retard au sens où il y aurait eu une volonté de retarder le projet ». Il fallait oser. Rappelons, avec Laurent Lafon s’adressant au début de l’audition à Laurence des Cars, que, lorsqu’il l’avait interrogée, quelques jours après le cambriolage, elle lui avait déclaré (il la cite) : « “j’ai accéléré l’élaboration du schéma directeur”. Vous avez précisé qu’il n’y avait pas de retard dans [sa] mise en œuvre. » Mentir sans se faire prendre est un art, que manifestement elle ne maîtrise pas encore complètement.
L’audition, la veille, de Jean-Luc Martinez, était d’une autre tenue. Si nous avons été par le passé très critique envers celui-ci, sur bien des points, au moins n’a-t-il pas, devant le Sénat, cherché à fuir ses responsabilités. Sur la question de la sécurité, et du schéma directeur, il avait initié sérieusement ce projet qui, s’il avait été mené jusqu’au bout, dans les délais prévus, aurait sans doute pu éviter le vol des bijoux. L’essentiel devait être terminé pour les Jeux Olympiques de 2024 et, même avec le retard pris en 2022, tout aurait pu être terminé en 2025. Certes, il a admis ne pas avoir transmis en main propre le rapport Van Cleef & Arpels à Laurence des Cars. Mais, comme il l’a dit, la plupart de ses collaborateurs sont restés au moins plusieurs mois avec cette dernière, ce qui aurait dû assurer une transition complète. Et ce rapport était bien conservé aux archives du Louvre et au département des Objets d’art. On peut lui reprocher d’avoir laissé la fenêtre de la galerie d’Apollon insuffisamment protégée. Mais si le schéma directeur avait été mené à son terme, les 30 secondes qui auraient suffi à empêcher le vol, comme l’a écrit l’Inspection générale des affaires culturelles, auraient été amplement gagnées.
Et Jean-Luc Martinez, quoi qu’il en soit, n’est plus président-directeur du Louvre depuis plus de quatre ans. Laurence des Cars l’est toujours. À l’aune de toutes les révélations faites depuis le 19 octobre, c’est incompréhensible.
https://www.latribunedelart.com/audition-de-laurence-des-cars-les-senateurs-ne-sont-pas-dupes
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