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Un choc de consommation grâce à une hausse de la TVA ? L’idée originale d’un économiste
Economie. Pour stimuler la croissance, Eric Mengus, professeur d’économie à HEC, milite pour une hausse, annoncée plusieurs mois à l’avance, de la taxe sur la consommation.
Par Thibault Marotte
Publié le 25/12/2025 à 12:00
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Les Français font leurs dernières courses de Noël, ici aux galeries Lafayette de Bordeaux.
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Pour la deuxième année consécutive, il n’y aura pas de budget voté avant le 31 décembre. Présentée en conseil des ministres lundi 22 décembre, la nouvelle loi spéciale - permettant la continuité de l’Etat - a passé sans encombre l’étape parlementaire dès le lendemain. La suite est en revanche bien plus floue. Début janvier, le sujet reviendra en force, quand députés et sénateurs tenteront de nouveau de trouver un compromis sur un texte. En attendant, difficile pour les Français de se projeter dans l’avenir. Or, l'incertitude est un frein pour l'activité économique. Les entreprises ont tendance à repousser leurs investissements, tandis que les consommateurs diffèrent leurs achats. Une perspective qui n’effraie pour le moment pas les prévisionnistes de la Banque de France, qui viennent de relever de 0,9 % à 1 % leur estimation de croissance du PIB en 2026. Une oscillation marginale qui ne suffira pas à enrayer la dérive de nos comptes publics.
Eric Mengus, professeur d’économie à HEC, ne veut pas attendre que le débat budgétaire trouve une issue pour agir. “Le rôle des économistes est de proposer des solutions susceptibles de débloquer des situations à la fois économiquement et politiquement complexes, explique-t-il. Aujourd’hui, il faut savoir aller chercher des approches innovantes pour réduire la dette et soutenir la croissance”.
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Son idée ? Annoncer une hausse à venir de la TVA pour provoquer un électrochoc. “Cette décision inciterait les ménages à consommer davantage immédiatement, ce qui susciterait un surcroît temporaire d’activité, détaille l’expert. C’est comme si la BCE décidait de réduire son taux directeur. Autrement dit, c’est un mécanisme qui permet d’agir directement sur la consommation privée et d’en influencer le calendrier.”
L'exemple de l'Allemagne
Cet outil de politique économique peut paraître singulier. Alors que la dette publique française a atteint un nouveau sommet et que le déficit est attendu à 5,4 % du PIB cette année, une hausse de la TVA serait plutôt utilisée - et justifiée - pour redresser les finances publiques, comme le préconise l’institut Terra Nova dans son dernier rapport. Par le passé, plusieurs exemples démontrent néanmoins l’efficacité d’une telle mesure pour manipuler les comportements des consommateurs. Ce fut notamment le cas en Allemagne en novembre 2005, lorsque l’exécutif avait annoncé qu’une hausse de la TVA de 16 à 19 % interviendrait le 1er janvier 2007. La consommation avait connu un pic durant cette période d'un peu plus d'un an.
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Dans un article publié en 2021, les économistes Boryana Madzharova et Thiess Büttner ont étudié 33 cas similaires. “Les réformes que nous avons analysées concernaient principalement des biens durables : des voitures, de l’électroménager ou encore des produits électroniques, explique Boryana Madzharova. Ce sont des achats importants, pour lesquels une différence de TVA, par exemple entre 18 % et 20 %, a un impact réel sur le prix final payé par le consommateur.” L’outil doit toutefois être manié avec précaution. “Il faut anticiper qu’une fois le dispositif terminé, la consommation chute fortement”, poursuit la spécialiste.
Rester crédible
Pour qu’une telle mesure fonctionne, la crédibilité du gouvernement s’avère essentielle. Avant la pandémie, l’Italie avait annoncé plusieurs hausses successives de la TVA. Mais la crise sanitaire, puis la guerre en Ukraine et l’inflation ont bouleversé les plans : les mesures n’ont jamais pu être appliquées. “Résultat, lorsque le gouvernement italien annonce une réforme future, les ménages n’y croient plus et n’ajustent pas leur comportement”, affirme Boryana Madzharova. “L’autre point critique est le timing, ajoute Thiess Büttner. Il faut laisser un certain délai pour que les anticipations prennent forme. On ne sait pas précisément combien de temps. Mais si la période est trop courte, le mécanisme risque de ne pas fonctionner.”
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La France pourrait-elle recourir à une telle astuce ? Durant la crise sanitaire, l’idée a émergé au sein du gouvernement, afin de créer un choc de consommation. Elle avait été abandonnée dans un contexte où l'on ignorait encore comment la pandémie allait évoluer et à quel moment exact la reprise devait être soutenue. Pour Lars P. Feld, directeur du centre de recherche allemand Walter Eucken Institut, l’incertitude politique actuelle ne milite pas pour passer aujourd'hui de la théorie à la pratique. “Ces turbulences affectent les investisseurs et les consommateurs, qui se demandent encore si le président va démissionner prématurément, qui sera son successeur…” L'instigateur d'une telle mesure devra trouver la bonne fenêtre de tir.
Thibault Marotte
Journaliste Economie
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