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-====== Le Monde – « Le dilemme » : peut-on coucher avec une personne subordonnée ? ======
- https://www.lemonde.fr/intimites/article/2025/10/30/le-dilemme-peut-on-coucher-avec-une-personne-subordonnee_6650232_6190330.html
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- Intimités
-« Le dilemme » : peut-on coucher avec une personne subordonnée ?
-Chronique
-Pascal Riché
-Chaque mois, nos dilemmes moraux intimes sont passés au crible. Au travail, les relations intimes entre personnes liées par un rapport de subordination peuvent se révéler un exercice périlleux. Mais peut-on (et doit-on) se les interdire ?
-Article réservé aux abonnés
-MAGOZ
-MAGOZ
-Dans l’univers du travail, où l’on passe plus de 30 % de son temps éveillé, il peut arriver que des personnes se désirent et finissent par avoir une relation intime. C’est même une situation très courante. Selon une enquête IFOP menée en 2018 pour Online Séduction, 35 % des personnes sondées affirment avoir vécu une telle expérience (et la moitié d’entre elles ont trouvé ainsi leur conjoint). L’adage « No z… in job » (nous vous laissons trouver la rime) est une injonction qui ne correspond à aucune réalité.
-Alors pourquoi une telle prescription ? Qu’est-ce qui pourrait bien empêcher deux adultes consentants d’aller au bout de leur attirance l’un vers l’autre dans un univers professionnel ? Certainement pas le droit car, comme le dit le code du travail, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (art. L1121-1). Selon la Cour de cassation, qui l’a rappelé dans des arrêts de 2009, 2017 et 2023, la vie privée ne saurait constituer une faute professionnelle, à moins qu’elle ne trouble le fonctionnement de l’entreprise.
-En réalité, le seul cas de figure qui peut vraiment poser problème, c’est celui d’une relation entre deux personnes dont l’une est sous l’autorité de l’autre. Elle peut générer des conflits d’intérêts et des traitements de faveur, sans même parler du risque d’une altération du consentement de la personne subordonnée. Enfin, en cas de rupture, l’ambiance au travail peut dégénérer. Les entreprises craignent notamment les risques de harcèlement sexuel.
-Pour toutes ces raisons, aux Etats-Unis, de très nombreuses entreprises combattent depuis longtemps les relations intimes entre deux personnes ayant un rapport hiérarchique. Certains groupes leur imposent la signature d’un « love contract », dans lequel les deux salariés confirment le caractère consensuel de leur relation, définissent certaines règles de conduite, s’engagent à ne pas exercer des représailles en cas de rupture.
-D’autres interdisent carrément, dans leur règlement intérieur, toute relation amoureuse et/ou sexuelle entre responsables et subordonnés. Par exemple,
-====== le règlement intérieur de McDonald’s est catégorique : « Afin d’éviter des situations dans lesquelles le comportement en milieu de travail pourrait avoir un impact négatif sur l’environnement de travail, les employés qui entretiennent une relation hiérarchique directe ou indirecte les uns avec les autres ont l’interdiction de sortir ensemble ou d’avoir une relation sexuelle. »  ======
-Pour ne pas l’avoir respecté, le directeur général de la chaîne de fast-food a été licencié en 2019. Jeff Zucker, le patron de CNN International, avait démissionné en 2022 pour les mêmes raisons.
-La valeur du consentement
-De telles clauses seraient nulles en droit français, car contraires à l’article L1121-1 du code du travail précité, mais aussi à l’article 9 du code civil qui prévoit que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Pour Caroline De Haas, directrice associée de l’agence de conseil en égalité professionnelle Egaé, les interdictions des règlements intérieurs des sociétés américaines ne s’attaquent pas à la bonne cible : « Interdire les relations intimes pour lutter contre les conflits d’intérêts ou le favoritisme, c’est prendre le problème par le mauvais bout. Il y a d’autres moyens d’y parvenir. »
-Du point de vue de l’éthique professionnelle, une personne en position d’autorité doit-elle s’interdire de courtiser ses subordonnés ? Une interrogation qu’il ou elle peut se poser est d’abord celle de la valeur du consentement de l’autre. La question du pouvoir dans les relations amoureuses a fait l’objet d’une intense réflexion au sein de la pensée féministe. Dans les années 1990, les féministes américaines considéraient, dans leur grande majorité, que le consentement de Monica Lewinsky à une relation avec le président des Etats Unis ne valait rien – elle-même a fini par les rejoindre sur ce point. (« Aujourd’hui, à 44 ans, […] je commence à envisager l’idée que, dans une telle situation, la notion même de consentement pourrait bien ne pas s’appliquer. »)
-Entre-temps, MeToo nous a appris à traquer les relations de pouvoir dans le couple. De manière trop schématique peut-être, comme le développe l’écrivaine féministe Maggie Nelson dans De la liberté (Editions du sous-sol, 416 pages, 23 euros) : ce n’est pas parce qu’il y a des « éléments de pouvoir » entre deux personnes, comme il y en a selon elle inévitablement, « qu’un abus de pouvoir a eu lieu ».
-Le désir et l’interdit
-Mais les manageurs peuvent s’interdire d’entrer dans des rapports de séduction au bureau pour d’autres raisons. Ils peuvent juste chercher à protéger leur propre vie (en évitant les conflits d’intérêts ou les risques de rupture compliquée, etc.) et, plus généralement, le climat dans leur service. Certains font tout pour repousser les tentations, allant jusqu’à éviter les événements festifs avec leurs subordonnés. Lorsque ces personnes tombent amoureuses, cette résistance tourne à la « tempête sous un crâne » qui ferait les délices de la collection Harlequin.
-Car comme on sait, l’amour, cet enfant de bohème, ne suit pas toujours les règles et les bonnes résolutions. D’autant que l’interdit qu’on s’impose peut décupler le désir. Comme Corneille le fait dire à Polyeucte dans son célèbre kakemphaton : « Et le désir s’accroît quand l’effet se recule ».
-Malgré tous les garde-fous éthiques qu’on peut s’infliger, il est plus difficile de brider un désir amoureux que de retenir la marée montante. L’acte sexuel avec le ou la « N −1 » survient alors, épicé de transgression. Dans une telle situation, conseille Caroline De Haas, « le mieux est pour les deux personnes de parler, de verbaliser la situation, de réfléchir aux conséquences éventuelles. Et surtout, de ne pas faire comme s’il n’y avait pas de relation de pouvoir entre eux ». Cela peut se faire tranquillement, après l’amour par exemple. Une fois que les mots sont posés, il est plus facile d’éviter les pièges que la situation peut créer. On y revient toujours : au commencement est le Verbe.
-Pascal Riché
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