L’élection de Zohran Mamdani, premier maire musulman à la tête de New York, marque un tournant aux États-Unis : un programme revendiquant une matrice socialiste a gagné dans la capitale économique de la première puissance mondiale.
Bien que le contexte sociopolitique de New York présente des particularités uniques, le débat sur sa victoire a été particulièrement intense au sein du camp de Trump.
Assiste-t-on au retour en force des thématiques liées au coût de la vie à gauche — Mamdani ayant fait de la notion d’« affordability » le cœur de sa campagne — rompant ainsi avec un terrain de confrontation centré sur les questions identitaires et les guerres culturelles ?
Un e-mail de 2020 récemment révélé par l’investisseur Chamath Palihapitiya a ravivé le débat sur la responsabilité des élites de la tech dans cette transformation.
Il y a cinq ans, Peter Thiel écrivait à Mark Zuckerberg, Nick Clegg et Marc Andreessen pour les mettre en garde contre la montée du soutien des millennials au socialisme, qu’il considérait comme une conséquence structurelle de l’ordre économique et non comme une simple révolte culturelle et identitaire.
Selon l’une des figures clef de la Silicon Valley trumpiste, rejeter les jeunes électeurs en les qualifiant de « naïfs ou endoctrinés » serait donc une erreur : « Si une personne n’a aucun intérêt dans le système capitaliste, alors il est bien possible qu’elle finisse par se retourner contre lui. »
Nous traduisons cet e-mail ainsi que son aggiornamento.
De : Peter Thiel Date : Dimanche 5 janvier 2020 à 2 h 44 À : Mark Zuckerberg, Nick Clegg, Antonio Lucio Cc : Sheryl Sandberg, Marc Andreessen Objet : RE : Millennials
Il y a de nombreux sujets qui pourraient être développés davantage ici ; permettez-moi de formuler quelques points rapides pour le moment :
Nick — Je ne suggérerais pas que notre politique doive adopter sans réflexion les attitudes des Millennials.
Je serai la dernière personne à défendre le socialisme. Mais lorsque 70 % des Millennials déclarent être pro-socialistes, il faut faire mieux que de simplement les rejeter en disant qu’ils sont stupides, capricieux ou endoctrinés ; nous devrions essayer de comprendre pourquoi.
Et, du point de vue d’un pacte générationnel cassé, il me semble qu’il existe une réponse assez simple : lorsque l’on a trop de dettes étudiantes ou que les logements sont trop inabordables, on se retrouve avec un capital négatif pendant longtemps et/ou il devient très difficile de commencer à accumuler du capital sous forme d’immobilier.
Et si une personne n’a aucun intérêt dans le système capitaliste, alors il est bien possible qu’elle finisse par se retourner contre lui.
Grand Continent Dans un entretien paru sur The Free Press le 7 novembre, Peter Thiel est revenu sur son propos, en élargissant le cadre de son analyse.
Peter Thiel Si tout ce que vous pouvez dire, c’est que Mamdani est un jeune djihadiste communiste, et que cela vous paraît ridicule, j’ai l’impression que vous admettez simplement ne pas savoir quoi faire des questions structurelles qui lui ont permis de gagner : le logement ou la dette étudiante. Or si vous ne faites rien, vous continuerez à perdre.
Si vous avez obtenu votre diplôme en 1970 sans aucun endettement, comparez votre expérience à celle des Millenials : beaucoup trop de gens vont à l’université, n’apprennent rien et se retrouvent avec une dette colossale.
La dette étudiante est une manifestation de ce conflit générationnel dont je parle depuis longtemps.
Mais la rupture du pacte générationnel ne se limite d’ailleurs pas à la dette étudiante.
Je pense que l’on peut réduire 80 % des guerres culturelles à des questions économiques, comme le ferait un libertarien ou un marxiste, et que l’on peut ensuite réduire peut-être 80 % des questions économiques à des questions immobilières.
Il est extrêmement difficile de nos jours pour les jeunes de devenir propriétaires.
Si vous avez des lois de zonage extrêmement strictes et des restrictions sur la construction de nouveaux logements, c’est une bonne chose pour les baby-boomers, dont les propriétés ne cessent de prendre de la valeur, mais c’est terrible pour la génération Y.
Si vous prolétarisez les jeunes, il ne faut pas s’étonner qu’ils finissent par devenir communistes.
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Je ne sais pas si je dirais que les jeunes sont pro-socialistes. Je dirais plutôt qu’ils sont moins pro-capitalistes qu’auparavant. Si le capitalisme est perçu comme une forme d’arnaque injuste, on y est forcément moins favorable. Donc, dans un certain sens, ils sont plus socialistes, même si je pense que c’est plutôt : « Le capitalisme ne me convient pas. » Ou encore : « Ce truc qu’on appelle le capitalisme n’est qu’une excuse pour que les gens vous arnaquent. »
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Les baby-boomers semblent étrangement peu curieux de comprendre comment le monde a cessé de fonctionner pour leurs enfants.
Il est toujours difficile de savoir dans quelle mesure les gens sont de mauvaise foi ou mal intentionnés. Je trouve étrange que l’on ait trouvé bizarre que je me plaigne de la dette étudiante en 2010, alors que même à cette époque, sa croissance était exponentielle.
En 2000, la dette étudiante nationale s’élevait à 300 milliards de dollars, et elle dépasse aujourd’hui les 2 000 milliards.
À un moment donné, tout cela va exploser…
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Même si je n’apprécie pas Mamdani, il me semble au moins compréhensible. Ce qui s’est passé à New York n’est pas un mystère étrange.
Ce n’est pas en jouant avec la dette étudiante à la marge — comme Biden a essayé de le faire — qu’on va résoudre le problème. Cela ne fonctionnera pas. Et il y a eu toutes sortes de manipulations à la marge avec le contrôle des loyers à New York. Cela n’a pas vraiment fonctionné.
L’idée est donc la suivante : peut-être devrions-nous chercher des solutions en dehors de la fenêtre d’Overton.
Et cela inclut certaines mesures économiques très à gauche, de type socialiste. Je ne pense pas que ces idées fonctionneront à terme, mais elles valent mieux que ce qui a été proposé jusqu’à présent.
Cuomo n’avait pas de plan pour le logement. Il ne pensait même pas que c’était un problème. Et bien sûr, il est en politique et au gouvernement depuis de nombreuses années, il est donc difficile de ne pas se demander : pourquoi ferait-il quelque chose maintenant, alors qu’il n’a rien fait auparavant ?
Je ne suis donc pas optimiste à propos de Mamdani, mais si l’on considère la situation de manière relative, c’est le genre de chose qui va se produire si l’on regarde en dehors de la fenêtre d’Overton.
Il faut reconnaître à Mamdani le mérite d’avoir au moins abordé ces problèmes. Ma réponse, évasive, est donc toujours la suivante : la première étape consiste à parler des problèmes — même si l’on ne sait pas comment les résoudre.
Or c’est peu dire que l’establishment, qu’il soit de centre gauche ou de centre droit, échoue à simplement parler des problèmes réels.
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/11/09/peter-thiel-mamdani-capitalisme/
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