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-====== Le Monde – A Zhengzhou, en Chine, les saisonniers précaires de l’« iPhone City » ======
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-Chassé-croisé des équipes de jour et de nuit près des usines Foxconn, qui fabriquent des iPhone, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-A Zhengzhou, en Chine, les saisonniers précaires de l’« iPhone City »
-Par Harold Thibault (Zhengzhou [Chine], envoyé spécial)
-Par Harold Thibault (Zhengzhou [Chine], envoyé spécial)
-Par Harold Thibault (Zhengzhou [Chine], envoyé spécial)
-Article réservé aux abonnés
-Reportage Calées sur la stratégie marketing d’Apple, les lignes de production de Foxconn ne veulent d’ouvriers qu’une partie de l’année. Les fluctuations de rémunération dissuadent de rester davantage.
-En ce début octobre, la nuit tombe sur Zhengzhou, la capitale du Henan, au centre de la Chine. La passerelle qui enjambe la route pour rejoindre le secteur K du gigantesque complexe d’usines, jusque-là quasi déserte, s’emplit soudainement. Bientôt, le flux d’ouvriers quittant les chaînes d’assemblage de l’iPhone à la fin du shift de jour est tel que l’endroit ressemble aux couloirs bondés d’une gare à l’heure de pointe. Ils se dispersent ensuite entre les gargotes stratégiquement installées là, étalant nouilles sautées et pains farcis sous les néons. D’autres travailleurs font le chemin inverse, pour prendre le relais de la production de nuit.
-Leurs heures terminées, Liu et Ma, tous deux 18 ans, se dirigent vers les barres d’immeubles dortoirs. Le Monde a choisi de n’utiliser que les noms de famille des personnes interviewées (elles ne peuvent ainsi pas être identifiées, ces noms étant très fréquents), car des agents du gouvernement local et des policiers en civil nous ont suivis à la trace, et ont intimidé certains de nos interlocuteurs.
-Liu et Ma, donc, se sont rencontrés début septembre quand ils ont été affectés à la production de l’iPhone 17 Pro Max, sur une ligne où le processeur central et ses circuits sont fixés dans le smartphone. Là, ils serrent des pièces à la visseuse automatique. Lui a compté par curiosité : chaque jour, il répète les mêmes gestes environ 1 300 fois.
-Devant une usine Foxconn, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-Devant une usine Foxconn, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-Ni Liu ni Ma ne sont certains de ce qu’il adviendra de leur histoire naissante après cette mi-novembre, car leur temps sur le site de Foxconn s’arrêtera lorsqu’ils auront touché le fruit de leur labeur après trois mois de travail. « Quand ce job sera fini, j’irai en trouver un autre ailleurs », dit Liu. « La ligne de production à l’usine, c’est trop déprimant, ce job n’offre pas de futur. On reste là uniquement tant que le salaire est élevé. Moi, je déciderai où aller après avoir touché mon bonus. Malheureusement, je ne peux pas me permettre de sacrifier un salaire pour une relation », confie le jeune homme, à quelques pas de sa petite amie. Il s’éloignera du Henan, sa province natale plutôt pauvre, peut-être pour aller vers le Jiangsu, sur la côte, au nord de Shanghaï, où les salaires sont meilleurs et les emplois plus stables.
-D’ici là, les deux amoureux s’accrochent à la prime des trois mois, comme la plupart des travailleurs qui peuplent en cette saison l’usine Foxconn de Zhengzhou, surnommée « iPhone City », vieille de quinze ans, la plus importante au monde pour les iPhone. Cette prime est devenue l’élément central dans la gestion des ouvriers. Afin de coller à la forte saisonnalité de sa production pour Apple, le groupe a instauré une flexibilité extrême du travail, qui lui permet de ne pas les garder lorsque la cadence baisse, évitant ainsi de verser salaires, charges sociales, et augmentations liées à l’ancienneté pendant les périodes de creux.
-Des travailleurs saisonniers
-Pour cela, l’usine propose un salaire de base faible, en général de 2 100 yuans mensuels (255 euros, soit le minimum légal et un peu moins de la moitié du salaire moyen à Zhengzhou). La rémunération ne devient intéressante qu’avec les heures supplémentaires et, surtout, le bonus versé contre un engagement à rester trois mois.
-Une agence de recrutement fournit couette et sous-matelas à des ouvriers fraîchement embauchés, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-Une agence de recrutement fournit couette et sous-matelas à des ouvriers fraîchement embauchés, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-Son montant varie selon la période de recrutement : quasiment nul à la fin du printemps, il grimpe fortement pour les personnes recrutées au milieu de l’été, lorsque les agences mandatées par Foxconn se mettent en quête de travailleurs. Au pic, en août, jusqu’à 9 800 yuans sont proposés, presque 1 200 euros, pour un versement trois mois plus tard. En novembre, Apple ne passe plus commande. Foxconn n’a alors plus besoin d’autant de travailleurs. La prime fond et, sans elle, la rémunération n’est de nouveau plus intéressante pour les ouvriers, qui s’en vont.
-Foxconn et Apple ont fait des travailleurs de l’iPhone des saisonniers, comme des ouvriers agricoles pour les vendanges. Ce rythme colle au calendrier commercial et marketing du groupe américain : chaque année, le pic des ventes suit la fameuse présentation d’un nouveau modèle d’iPhone en septembre par son patron, Tim Cook, prélude aux périodes de haute consommation de la fête des célibataires, en Chine, de Thanksgiving, aux Etats-Unis – les deux ont lieu en novembre – et surtout de Noël.
-« C’est le mode de relation entre les deux entreprises, leur “business model”, et il n’est pas centré sur les gens : Foxconn emploie de la main-d’œuvre temporaire juste quand il en a besoin, tout comme Apple utilise Foxconn quand il en a besoin », explique Li Qiang, le fondateur de China Labor Watch, qui s’intéresse de longue date à la condition des travailleurs de l’iPhone.
-A la fin de leur journée de travail, les ouvriers rejoignent les immeubles dortoirs en bus, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-A la fin de leur journée de travail, les ouvriers rejoignent les immeubles dortoirs en bus, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-La relation de sous-traitance permet de supprimer la responsabilité de la marque à la pomme envers les ouvriers chinois qui assemblent ses produits, sans vraiment abîmer son image, souligne-t-il. Son ONG vient de mener une enquête sur l’usine de Zhengzhou et en conclut que plus de la moitié des ouvriers y sont des travailleurs temporaires qui ont été placés par des agences – quand bien même le droit chinois limite, en théorie, cette pratique à 10 % de la main-d’œuvre d’une entreprise.
-Premier employeur privé en Chine
-En dépit de cette précarité, ce système de bonus fait de Foxconn un employeur attrayant aux yeux de nombreux travailleurs. Beaucoup de ces migrants de l’intérieur partiront au bout des trois mois chercher un emploi ouvrier ailleurs. D’autres retourneront au travail des champs.
-Une femme de 40 ans terminant un bol de nouilles dans un restaurant populaire aux abords de l’usine explique qu’elle vient ici pour ces trois mois depuis trois ans, de même que son petit frère et son mari. Leurs deux enfants, de 10 et 12 ans, sont restés dans leur canton d’origine, Dengfeng, à une centaine de kilomètres. Elle a signé en août à un moment où le bonus était de 9 100 yuans, pas loin du maximum. « J’attends fin novembre, beaucoup de gens vont partir à ce moment », dit-elle.
-La firme à la pomme, qui a d’abord construit ses Macintosh aux Etats-Unis au début des années 1980, y a fermé sa dernière usine en 2004. Pour le lancement de son smartphone en 2007, elle a sous-traité la majeure partie de l’assemblage à Foxconn, une entreprise taïwanaise devenue ainsi le premier employeur privé en Chine.
-Mais Pékin est devenu le principal concurrent stratégique des Etats-Unis : la question géopolitique s’est alors ajoutée à celle de l’emploi américain. En février 2011 déjà, le patron d’Apple, Steve Jobs, confiait avec franchise au président Barack Obama : « Ces emplois ne vont pas revenir. » Pourtant Donald Trump, qui a promis de relocaliser des usines aux Etat-Unis, reste attaché au rêve d’un iPhone « made in USA ».
-Une vendeuse de patates douces au pied des immeubles dortoirs des usines Foxconn, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-Une vendeuse de patates douces au pied des immeubles dortoirs des usines Foxconn, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-Pour acheter la paix avec le président républicain, Apple a annoncé, en août, un investissement de 600 milliards de dollars (517 milliards d’euros) aux Etats-Unis sur les quatre années à venir. Mais il ne s’agira pas d’y produire le téléphone à proprement parler. « L’assemblage final, sur lequel vous vous focalisez, restera ailleurs pour un moment », a précisé poliment Tim Cook, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche le 6 août, préférant insister devant Donald Trump sur les composants fabriqués aux Etats-Unis tels que les capteurs de reconnaissance faciale.
-Tensions commerciales
-En Chine, Foxconn a d’abord assemblé les iPhone dans une zone industrielle de Shenzhen, sur la côte dans le Sud-Est, face à Hongkong mais, à mesure que cette région s’est développée, les salaires y ont augmenté. Afin de conserver les contrats d’Apple, le sous-traitant s’est alors mis en quête d’une région où la main-d’œuvre serait moins onéreuse.
-En 2010, les subventions locales ont convaincu le groupe taïwanais de choisir Zhengzhou pour une nouvelle usine. De fait, la province lui a déroulé le tapis rouge : prêt de 250 millions de dollars (215 millions d’euros), abattements fiscaux, dortoirs financés par la municipalité ou encore travaux importants sur l’aéroport tout proche, d’où arrivent les pièces et d’où repartent les smartphones. Loin des côtes, le Henan, peu développé, est la troisième région la plus peuplée de Chine, offrant un réservoir de main-d’œuvre aux salaires plus bas.
-Fin de journée pour les ouvriers d’une usine Foxconn, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-Fin de journée pour les ouvriers d’une usine Foxconn, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-Bien que plus proches des régions d’origine des ouvriers que Shenzhen, les usines de Zhengzhou ne sont pas faites pour y vivre avec des enfants. « Les travailleurs doivent mettre de côté leur vie personnelle pour se consacrer complètement à l’usine. Ces pratiques nourrissent un ressentiment chez eux tandis que, de l’autre côté du monde, les consommateurs aux Etats-Unis ou ailleurs ont le sentiment que leurs emplois ont été volés par d’autres pays. Donc aucun des deux côtés n’est vraiment satisfait », constate Li Qiang, de China Labor Watch.
-A son pic d’activité, autour de 2016-2017, l’usine faisait en permanence appel à 300 000 ouvriers. L’automatisation croissante, et l’ouverture par Foxconn d’usines en Inde pour réduire les risques de son exposition à la Chine dans un contexte de tensions commerciales, a réduit les besoins de main-d’œuvre. Si bien qu’aujourd’hui, l’usine de Zhengzhou n’emploierait plus que 150 000 ouvriers tandis qu’environ 20 % des iPhone sont désormais fabriqués en Inde.
-Des dortoirs se sont vidés
-Un coup dur pour la région. Les téléphones portables représentaient plus de 60 % des exportations du Henan en 2015 mais seulement 46 % en 2023. Dans la ville, des dortoirs se sont vidés, des restaurants aux alentours ont mis la clé sous la porte. « Avant, à la sortie, si un ouvrier perdait sa chaussure dans la foule, il était carrément impossible de la retrouver », se souvient un médecin qui tient un petit dispensaire près de l’entrée de la zone industrielle. Dans une agence de travail temporaire, une recruteuse explique que certains candidats craignent de se voir confier un travail de nuit. « Le job est si monotone que beaucoup de gens ont du mal à le tenir. Certains viennent se plaindre. On leur dit de tenir trois mois pour le bonus », dit-elle.
-Les tatouages sont interdits aux employés de Foxconn, ce qui réduit le nombre de clients potentiels de ce salon, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-Les tatouages sont interdits aux employés de Foxconn, ce qui réduit le nombre de clients potentiels de ce salon, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-Chez un coiffeur au pied des dortoirs, entre les supérettes et les salons de massage dans lesquels les filles dans l’ombre font signe aux travailleurs esseulés, Zhu, patron d’une petite agence de recrutement, a beaucoup à dire en attendant sa coupe. Il était à Zhengzhou durant le soulèvement ouvrier de 2022, dont les images ont fait le tour du monde. Alors que les cas de Covid-19 se multipliaient dans les usines et les dortoirs, le complexe et ses 200 000 ouvriers d’alors avait été confiné, mais beaucoup s’étaient échappés par crainte des contaminations, rentrant à pied dans leur campagne.
-Des bonus avaient été promis pour en faire venir d’autres, retenus sur site avec une alimentation déplorable. Mais comme ils n’avaient pas été payés selon ce qui avait été annoncé, les travailleurs s’étaient révoltés dans les rues contre des policiers en combinaison blanche. Les autorités locales avaient ensuite demandé aux jeunes retraités de l’armée et aux membres du Parti communiste de venir relancer la production chez Foxconn, car il en allait de l’économie locale.
-Chassé-croisé des équipes de jour et de nuit près des usines Foxconn, qui fabriquent des iPhone, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025.
-Chassé-croisé des équipes de jour et de nuit près des usines Foxconn, qui fabriquent des iPhone, à Zhengzhou (Henan, Chine), le 8 octobre 2025. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
-Encore aujourd’hui, dit Zhu, les autorités font énormément pour Foxconn et Apple malgré leur absence d’engagement social, à la différence de BYD, qui a ouvert une usine en 2024 à Zhengzhou et propose des emplois stables – mais les besoins en main-d’œuvre de l’automobile, très automatisée, sont moins élevés que pour les smartphones. Zhu détaille comment, dans chaque canton du Henan, le bureau local du travail organise des rassemblements pour aider à recruter pour Foxconn. Il reste convaincu qu’Apple ne pourra pas se passer de la Chine. « L’iPhone dépend de la Chine, parce que les Chinois travaillent dur et sont faciles, dit Zhu. On te dit : “Tu es de nuit, tu es de nuit”. C’est comme ça. »
-Harold Thibault (Zhengzhou [Chine], envoyé spécial)
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