Le président uruguayen Luis Lacalle Pou accueille la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour le LXVe sommet du Mercosur à Montevideo, le 6 décembre 2024.
Le président uruguayen Luis Lacalle Pou accueille la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour le LXVe sommet du Mercosur à Montevideo, le 6 décembre 2024. EITAN ABRAMOVICH / AFP
FIGAROVOX/TRIBUNE - Le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays d’Amérique latine menace notre agriculture dans sa transition alimentaire et environnementale, estime l’agricultrice Anne-Cécile Suzanne.
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Notre agriculture est magnifique. Quand je parcours mes champs, je sais qu’ils seront encore là dans 20 ans. Comme éternels. Mais le sont-ils vraiment ? Quel visage offriront-ils à nos enfants ? Et ces enfants justement, quel avenir ont-ils devant eux ? Nous en voudront-ils, de ne pas avoir su conjuguer efficacement production alimentaire et respect de l’environnement ? Souveraineté et commerce international ? Alors que les dernières feuilles d’automne se balancent insouciantes au vent, je me dis qu’il y a de quoi se sentir impuissant aujourd’hui, les bottes dans la terre, à creuser des sillons sans bien savoir où ils vont.
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En Europe, le nationalisme se durcit. La politique agricole commune (PAC), fondatrice de l’Union européenne telle que nous la connaissons, est en train de tomber sous les égoïsmes. Chaque pays veut retrouver son pouvoir de décision et d’orientation agricole, pour maximiser ses intérêts d’ici la prochaine échéance électorale, quitte à exercer une concurrence déloyale à l’égard de ses voisins, quitte à sacrifier les transitions environnementales nécessaires pour demain.
À l’heure où la guerre est à nos frontières, où les épidémies et les pollutions menacent nos assiettes, peut-on vraiment se priver de penser notre alimentation et notre agriculture comme des biens communs européens ? En tant qu’agricultrice, je m’inquiète évidemment de ce que devient cet instrument d’orientation majeur de nos décisions agricoles. L’avenir est trouble et cela rend myope toute une agriculture qui demande à évoluer et innover.
Je me demande si négocier des accords de libre-échange avec des zones si éloignées de nous, tel que le Mercosur, sont les seuls moyens à notre disposition pour agir. Brandis comme des compromis nécessaires, ces accords sont pour autant délétères.
Et puisqu’on ne sait pas trouver de compromis en Europe, on se tourne vers d’autres régions du monde… quitte à hypothéquer l’avenir des générations sur les deux continents. Sauf qu’à l’autre bout du monde les choses ne sont pas beaucoup plus claires. Les forces diplomatiques sont à l’œuvre pour résoudre des équations sécuritaires problématiques. Évidemment, la situation est très préoccupante. Évidemment, générer des équilibres susceptibles de préserver la paix est nécessaire. Pour autant, humblement, depuis mes champs, je me demande si négocier des accords de libre-échange avec des zones si éloignées de nous, tel que le Mercosur, sont les seuls moyens à notre disposition pour agir. Brandis comme des compromis nécessaires, ces accords sont pour autant délétères.
Délétères pour l’environnement tout d’abord. Cela a-t-il un sens de transporter par conteneurs réfrigérés des carcasses bovines et de volailles sur des milliers de kilomètres ? Ne peut-on pas faire mieux pour respecter les accords de Paris ? Délétères pour la paix aussi. À réchauffer l’environnement ardemment sous prétexte de préserver des équilibres diplomatiques grâce au commerce libéré, ne génère-t-on pas justement un risque de conflit exacerbé pour la génération qui nous suit ? Est-ce vraiment la bonne manière de préserver la paix que de céder au court terme d’un deal, au détriment du long terme que constituent nos champs, nos animaux, nos agriculteurs, et le pouvoir de transition incroyable qu’ils possèdent ?
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En échangeant avec les décideurs économiques, on comprend vite que dessiner un modèle agricole compatible avec la transition alimentaire et environnementale ne doit pas attendre. Par respect pour les femmes et les hommes qui cultivent notre avenir, par respect pour notre environnement qui souffre de notre inaction, par respect pour la paix, que l’on doit construire pour nos enfants, quel que soit leur horizon planétaire, et par respect pour nos entreprises, qui pour être encore là demain, recruter, prospérer, doivent intégrer l’équation environnementale dans leur business model.
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Cela suppose de développer une politique agricole européenne ambitieuse : avec un vrai budget, d’abord, et orientant l’agriculture européenne vers une trajectoire commune, ensuite, qui conjugue intérêt des générations actuelles et futures, intérêts des citoyens, des agriculteurs, de l’industrie. Cet intérêt converge autour des transitions et de la définition d’un modèle économique qui tienne dans le temps. Toute la chaîne agroalimentaire sait qu’elle doit à présent intégrer le temps long, arrêtons d’opposer les acteurs ou de croire qu’ils ne sauront pas faire. On saura faire, si tant est qu’on s’en donne les moyens maintenant, pour ne pas le payer demain.
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