Ci-dessous, les différences entre deux révisions de la page.
| Les deux révisions précédentes Révision précédente | |||
|
elsenews:spot-2025:10:pigasse [25/12/2025/H18:10:13] 216.73.216.167 supprimée |
— (Version actuelle) | ||
|---|---|---|---|
| Ligne 1: | Ligne 1: | ||
| - | | ||
| - | |||
| - | |||
| - | ---- | ||
| - | ====== Matthieu Pigasse : « Il y a urgence à partager les richesses, et je paierais volontiers la taxe Zucman » ====== | ||
| - | |||
| - | Matthieu Pigasse | ||
| - | | ||
| - | |||
| - | {{./ | ||
| - | |||
| - | {{./ | ||
| - | Malgré la démission forcée de François Bayrou, qui avait fait de la réduction de la dette sa « mère des batailles », celle-ci hante toujours le débat politique. Alors, la France est-elle vraiment condamnée à l’austérité pour servir ses créanciers ? Nous avons posé la question à un… chef d’entreprise. Evidemment pas à Bernard Arnault, ni au président du Medef Patrick Martin, qui n’ont pas besoin d’Alter Eco pour faire connaître leurs positions. Mais à Matthieu Pigasse, un patron et une personnalité atypiques. | ||
| - | Après avoir travaillé à la gestion de la dette publique à la direction du Trésor, il a conseillé Dominique Strauss-Kahn puis Laurent Fabius à Bercy. Il est ensuite devenu banquier d’affaires, | ||
| - | Désormais, il dirige le bureau parisien de la banque d’investissement Centerview Partners. Il est aussi actionnaire indirect du Monde, et à la tête du groupe de médias Combat, dont dépendent Radio Nova et Les Inrockuptibles. Il est aussi investi dans la musique avec, entre autres, Les Eurockéennes de Belfort et Rock en Seine. | ||
| - | Auteur d’essais critiques sur le capitalisme et les politiques néolibérales, | ||
| - | Il y a juste deux ans, vous publiiez un essai intitulé La lumière du chaos. Deux années plus tard, nous semblons plus dans le chaos que dans la lumière… | ||
| - | Matthieu Pigasse : Oui. J’ai mis quelques années à écrire ce livre entamé en 2018. J’avais la conviction que nous entrions dans l’ère du chaos, et force est de constater que nous y sommes toujours. Il se déclinait de plusieurs façons : le chaos sanitaire – on sortait du Covid –, le chaos du monde avec la guerre en Ukraine et au Proche-Orient, | ||
| - | Avec un constat : le système capitaliste est à bout de souffle et il conduit à une dislocation de la société, avec l’arrêt de la croissance, l’explosion des inégalités, | ||
| - | Le chaos politique que nous vivons en serait l’illustration, | ||
| - | M. P. : C’est l’histoire de la poule et de l’œuf ! Mais, oui, les politiques contribuent au chaos et en renforcent le choc, et cela conduit les citoyens à ressentir un mélange explosif de colère et de fatalisme. Il y a une faillite du politique, un gouffre entre la gravité des enjeux et le vide de leurs réponses. Ils sont devenus inaudibles, pris dans des calculs politiques mesquins, des injonctions vaines et des proclamations creuses. Cela tient à leur incapacité à penser les changements du monde, à un vide doctrinal et idéologique, | ||
| - | Il existe de multiples raisons à ce manque de compréhension du réel par les politiques. Ce qui est certain, c’est que l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, avec son « en même temps », a contribué à une forme de dissolution du politique. | ||
| - | Je tire la sonnette d’alarme parce que j’ai la conviction qu’on peut éviter le pire, qui n’est pas simplement l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir, mais la destruction du lien social à laquelle conduisent ce capitalisme à bout de souffle et l’accroissement phénoménal des inégalités que nous observons depuis quelques décennies. | ||
| - | Mais n’est-ce pas l’essence du capitalisme que d’accroître les inégalités, | ||
| - | M. P. : Oui, bien sûr. Mais il faut remonter à bien plus ancien encore. Je reprends la thèse développée par Walter Scheidel dans The Great Leveler (traduit en français sous le titre Une histoire des Inégalités, | ||
| - | À chaque cycle, tout au long de l’histoire, | ||
| - | « Le niveau des inégalités est devenu insupportable. C’est une bombe placée au cœur de la société » | ||
| - | Nous sommes arrivés aujourd’hui, | ||
| - | Mais si le capitalisme français a concentré autant de richesses, n’est-ce pas un peu grâce à des gens comme vous, les banquiers d’affaires, | ||
| - | M. P. : Il faut se garder des raisonnements trop simples ! Mon métier consiste à conseiller et accompagner des pays et des gouvernements en situation de quasi-faillite, | ||
| - | La France est un petit pays à l’échelle mondiale, mais elle a cette singularité incroyable de compter des leaders mondiaux dans quasiment tous les secteurs. C’est une force, et c’est aussi une chance pour notre économie, pour nos emplois, pour notre rayonnement. A titre personnel enfin, je suis fier de placer mes valeurs et mes idéaux au-dessus de tout. | ||
| - | Remplacer le capitalisme par un autre régime de production n’a pas l’air à l’ordre du jour. Comment réencastrer le capitalisme dans la société, comme le voulait Karl Polanyi ? Faut-il renouer avec une sorte de « compromis fordiste » ? | ||
| - | « La "main invisible" | ||
| - | M. P. : Le XXIe siècle a montré l’importance du rôle de l’Etat, pour ceux qui en doutaient. La crise des subprimes en 2008-2009 a notamment montré que la « main invisible » du marché n’existait pas, et que si on laisse les marchés s’autodiscipliner, | ||
| - | Mais, plus largement, il faut inventer un nouveau modèle de société, fondé sur le partage et le dialogue. Celui-ci doit reposer sur trois piliers : une économie plus juste, une plus grande association des citoyens à la démocratie, | ||
| - | Vous avez conseillé nombre de gouvernements, | ||
| - | M. P. : Je l’ai trouvé indigne. Son seul objectif était de provoquer un état de stupeur afin d’imposer des mesures d’austérité. C’est infondé et dangereux. La situation de la France aujourd’hui n’a absolument rien à voir avec celle de pays en crise financière que j’ai connus : la Grèce de 2009, l’Argentine de 2001, l’Ukraine en 2014... La France n’a aucune difficulté de liquidités et aucune contrainte de solvabilité, | ||
| - | En 2013, dans votre essai, vous plaidiez pour que la Banque de France annule la dette publique (environ un quart). Or, au moment où le débat politique s’enflamme autour de la dette, cette solution n’est reprise par pratiquement personne. Comment l’expliquez-vous ? | ||
| - | « Une partie de la dette publique des Etats membres de la zone euro, détenue par la Banque centrale européenne, | ||
| - | M. P. : Cela peut choquer et susciter l’incrédulité, | ||
| - | Le seul impact négatif serait soit un résultat négatif de la banque centrale, soit des fonds propres négatifs. Et alors ? La banque centrale appartient à tous les citoyens de la zone euro, c’est donc notre affaire à tous. | ||
| - | On pourrait ainsi retrouver des marges de manœuvre. Le « quoi qu’il en coûte » instauré lors de la pandémie a montré qu’à titre exceptionnel, | ||
| - | En fait, le « quoi qu’il en coûte » a donc été financé par de la création monétaire, qui n’a pas généré d’inflation ou de manière quasi-nulle. Celle que nous avons subie a d’abord été due à la rupture des chaînes logistiques post-Covid et aux effets de la guerre en Ukraine. | ||
| - | Pour comprendre, il faut imaginer une maison qui brûle. Si le feu n’est pas très fort et que de larges quantités d’eau sont envoyées par les pompiers, le risque est que la maison soit inondée. Mais si le feu est violent, l’eau va s’évaporer avant même d’atteindre le sol. Il n’y a pas d’inondation. L’inflation, | ||
| - | Bien évidemment, | ||
| - | Bien sûr, il y a des aides qui se recoupent et il faut en maintenir certaines, mais nous avons là de quoi retrouver une liberté de mouvement, pour peu qu’on fasse preuve d’agilité et de créativité pour financer les dépenses essentielles – l’éducation, | ||
| - | Mais le débat porte principalement sur la réduction des dépenses sociales… | ||
| - | « Il faut tout faire pour maintenir le lien social, et donc renforcer la protection sociale » | ||
| - | M. P. : A tort. Ce serait selon moi à la fois une erreur sociale, compte tenu des conséquences sur nos vies quotidiennes, | ||
| - | A force, par exemple, de répéter : « ça va très mal, les agences de notation vont nous dégrader », celles-ci finissent par vous croire et vous dégradent. Pour les retraites, c’est pareil, à force de dire : « Il y a un problème majeur sur les retraites », les investisseurs finissent par penser qu’il y a un problème majeur sur les retraites. | ||
| - | Or la réforme des retraites, qui a été très mal conduite et a fracturé la société, est à la fois injuste et inutile. Injuste, car la mesure d’âge ne prend en compte ni la pénibilité, | ||
| - | En 2026, le déficit serait inférieur à un milliard. Ce n’est pas négligeable, | ||
| - | En matière de fiscalité, vous aviez déclaré être favorable à un « impôt sur la fortune immobile ». Vous n’êtes pas d’accord avec la taxe Zucman ? | ||
| - | M. P. : J’ai en effet toujours été en faveur d’un plus grand partage des richesses, et notamment de la taxation de ce que j’ai appelé les fortunes immobiles, c’est-à-dire le capital inutilisé, celui qui n’est pas investi dans l’économie productive nationale. Depuis, logiquement, | ||
| - | En France, plus on est riche, moins on paie d’impôts : le taux d’imposition effectif moyen est de 51 %, c’est l’ensemble des impôts et cotisations rapportés au revenu. Pour les milliardaires, | ||
| - | La taxe Zucman frapperait les biens au-delà de 100 millions d’euros de patrimoine. Vous seriez concerné par la mesure ? | ||
| - | M. P. : Oui, et je n’aurais aucun problème à payer cette taxe, comme j’ai déjà pu le dire. | ||
| - | Comment expliquez-vous la violence verbale des plus riches et de leurs défenseurs par rapport à l’éventualité de cette taxe ? | ||
| - | « Nous sommes à un moment clé : nous devons impérativement trouver les moyens de partager les richesses et de lutter contre la pauvreté » | ||
| - | M. P. : Il y a d’abord la peur de perdre ce qu’on a amassé. J’étais ado, mais ça me rappelle 1981et la grande peur des socialistes arrivant au pouvoir avec le couteau entre les dents pour tout prendre ! L’autre explication tient à la déconnexion d’une partie des plus riches envers la réalité et l’état de la société. Cela finira mal s’ils n’entendent pas et s’ils ne comprennent pas les signaux envoyés. Nous sommes à un moment clé : nous devons impérativement trouver les moyens de partager les richesses et de lutter contre la pauvreté. Nous devons permettre à toutes et tous de vivre dignement, pas seulement de survivre. | ||
| - | Les écarts de richesse actuels se traduisent par une montée de la colère et un « dégagisme » ou, appelons-le comme ça, un « ras-le-bolisme » qui nourrit le populisme. Or les populistes, le Rassemblement national, sont et seront incapables d’apporter des solutions satisfaisantes. A chaque fois que l’extrême droite ou la droite radicale sont arrivées au pouvoir, cela s’est soldé par un échec. | ||
| - | On cite l’Italie de Giorgia Meloni comme un modèle. Je ne juge pas sa politique migratoire, mais elle a fait l’inverse de ce qu’elle prétendait. Elle voulait un blocus, elle est la première ministre italienne qui a laissé le plus d’immigrés entrer dans le pays. D’un point de vue économique, | ||
| - | L’Argentine de Javier Milei est l’exemple type d’une faillite totale. Le pays a frôlé deux fois la banqueroute au cours des derniers mois et n’a été sauvé que par les Etats-Unis de Trump à coups de dizaines de milliards de dollars. Plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. | ||
| - | Vous ne voulez pas agiter les peurs, en même temps vous souhaitez qu’on engage un combat culturel contre l’extrême droite, comment le mener ? | ||
| - | « La question économique et sociale réapparaît à l’occasion de la taxe Zucman, mais où était la gauche sur ces sujets au cours des dix dernières années ? » | ||
| - | M. P. : Précisément parce que l’extrême droite ne me fait pas peur et qu’il faut mener ce combat frontalement. Ce qui détermine le vote, ce sont notamment les imaginaires, | ||
| - | Pareil pour la sécurité. La première mission de la gauche est de protéger les plus vulnérables, | ||
| - | Vous contrôlez plusieurs médias. On peut également vous reprocher de les utiliser pour faire passer vos idées... | ||
| - | M. P. : Et je l’assume, sans pour autant intervenir dans le contenu éditorial. Oui, j’assume de dire que cette bataille culturelle passe notamment par les médias et qu’il faut la mener. Les grands médias télévisés ou de presse écrite sont tous contrôlés par des milliardaires, | ||
| - | Vous défendez le pluralisme des médias mais il y a toujours eu, et encore aujourd’hui, | ||
| - | « Sur ce manque criant de pluralisme est venu se greffer le rôle négatif et amplificateur des réseaux sociaux » | ||
| - | M. P. : Le pluralisme consiste d’abord à faire en sorte que toutes les voix puissent se faire entendre, c’est la condition essentielle de la vie démocratique. Mais, sur ce manque criant de pluralisme est venu se greffer le rôle négatif et amplificateur des réseaux sociaux. C’est le paroxysme du capitalisme. On pense que ce sont des forums qui permettent la liberté d’expression ; en réalité, ce sont des entreprises dont le seul objectif est d’utiliser vos données personnelles pour les vendre et faire du profit. C’est de l’exploitation moderne. | ||
| - | Quant aux fake news – ou plutôt les mensonges, car il est nécessaire de bien nommer les choses – que ces plateformes véhiculent, | ||
| - | Vous avez le droit de dîner avec Nicolas Sarkozy quand vous êtes Pascal Praud, mais pas de prendre un café avec des politiques quand vous êtes sur le service public. Réguler, cela signifie assurer le pluralisme, mais aussi empêcher le franchissement de lignes rouges. De ce point de vue là, je ne peux que me réjouir de la décision de l’Arcom de supprimer la licence de C8. Il est indispensable de rappeler que la règle, c’est la règle. | ||
| - | https:// | ||
you see this when javscript or css is not working correct