L'hôtel de la Monnaie à Paris (photo d'illustration). - Google Street View
L'organisme public, qui frappe les pièces en circulation, poursuit le média qui a notamment révélé que 27 millions de pièces de centimes d'euros avaient dû être détruites pour non-conformité.
La Monnaie de Paris, organisme qui assure la frappe des pièces en circulation en France, a attaqué en justice le média La Lettre pour violation du secret des affaires, après deux plaintes en diffamation l'an dernier, annonce lundi la publication en ligne.
“Le patron de la Monnaie de Paris, Marc Schwartz, (…) a saisi le tribunal des activités économiques pour obtenir le retrait d'une enquête dévoilant un audit du cabinet EY”, détaille La Lettre dans un article publié lundi.
“C'est la première fois qu'un établissement public attaque un média pour 'violation du secret des affaires'”, continue-t-il.
L'institution publique, plus que millénaire, avait déjà attaqué par deux fois pour diffamation La Lettre en début d'année 2024, après une série d'articles mettant en lumière des dysfonctionnements.
Le média revenait notamment sur deux ratés de taille de La Monnaie de Paris: la frappe de 27 millions de pièces de centimes d'euros finalement envoyées au rebut pour non-conformité et des défauts de fabrication des médailles des Jeux olympiques de Paris, à l'été 2024, occasionnant à ce jour le retour d'environ 220 médailles, sur 5.000, selon la Cour des Comptes.
“Intérêt public”
C'est sur les conclusions sévères pour la Monnaie de Paris d'un audit commandé au cabinet de conseil EY que se concentrait le dernier article de La Lettre, daté du 19 mai 2025, avant l'assignation au tribunal des affaires économiques le 13 août. La Monnaie de Paris y demande 100.000 euros en réparation du “préjudice” qu'elle juge avoir subi.
“Nous estimons que ce sont vraiment des informations d'intérêt public”, a souligné le rédacteur en chef de La Lettre, Octave Bonnaud.
La Monnaie de Paris n'a pas souhaité faire de commentaire. L'institution a fait l'objet début septembre d'un rapport critique de la Cour des Comptes, qui soulignait la fragilité de son modèle économique, les insuffisances dans les processus de fabrication, les retards de livraison ou encore une gestion des ressources humaines souffrant d'un manque de rigueur.
https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/finances-publiques/une-premiere-pour-un-etablissement-public-la-monnaie-de-paris-attaque-le-media-la-lettre-pour-violation-du-secret-des-affaires_AD-202510130658.html
L'hôtel de la Monnaie, siège de la Monnaie de Paris. © Philippe Blanchot/Hemis/AFP
Des médailles olympiques de Paris 2024, renvoyées par les athlètes pour cause de craquelures, à la frappe sans validation par Bercy de millions de pièces, les enquêtes de La Lettre sur la Monnaie de Paris ont placé Marc Schwartz sur la sellette. Après avoir enclenché en février 2024 des actions en diffamation sur deux articles, le président-directeur général a pris le chemin de la juridiction commerciale pour attaquer les dernières révélations de La Lettre sur sa gestion. Par son cabinet d'avocats, Normand & Associés, il a assigné notre publication devant le tribunal des activités économiques de Paris. Une première audience se tiendra le 16 octobre 2025.
Une procédure court-circuitant le droit de la presse
L'établissement public industriel et commercial (EPIC) exige tout simplement le retrait de l'enquête intitulée “Monnaie de Paris : après le fiasco des médailles, un audit secret dévoile de nouveaux loupés” (LL du 19/05/25) et du document d'EY sur sa situation. Cette expertise confirmait toutes les informations dévoilées dans quatre autres articles de La Lettre depuis janvier 2024. Pour mettre sous le boisseau ces faits dévoilant d'importantes failles de procédure, l'institution millénaire invoque une “violation du secret des affaires et de la confidentialité attachée à cet audit et au rapport”, ainsi qu'une “présentation trompeuse et dénigrante pour La Monnaie de Paris faite dudit rapport”. L'hôtel de la Monnaie, placé sous la tutelle du ministère des finances, réclame pas moins de 100 000 € de préjudice à Indigo Publications, la société éditrice de La Lettre.
Si le Code du commerce a plusieurs fois été utilisé contre des médias, comme dans l'affaire Conforama assignant l'hebdomadaire Challenges en 2018, dans celle d'Altice attaquant le site Reflets.info en 2022 ou, plus récemment, celle du magazine Jeune Afrique contre La Lettre (LL du 06/06/25)*, c'est bien la première fois qu'un établissement public invoque le “secret des affaires” contre une société de presse. Contrairement à celles qui sont menées devant la chambre de la presse, ces procédures ne s'aventurent pas sur le terrain des faits révélés, elles se focalisent sur le préjudice engendré par la divulgation de ces informations.
Un rapport “confidentiel” largement repris par la Cour des comptes
L'audit d'EY avait été diligenté par la Monnaie de Paris sur demande du cabinet de Bruno Le Maire, alors ministre de l'économie, à la suite des informations publiées par La Lettre en janvier 2024. La divulgation du rapport d'audit relevait d'une information d'intérêt public : à l'époque, Bercy s'était inquiété d'un premier incident survenu fin 2023, lorsque l'institution avait lancé dans la précipitation la frappe de millions de pièces de monnaies de 10, 20 et 50 centimes dotées d'un nouveau design. Ces pièces avaient ensuite été jugées non conformes par Bruxelles, ce qui avait contraint la Monnaie de Paris à organiser leur destruction (notre article du 11/01/24, en accès libre).
Si le niveau de confidentialité de l'audit d'EY devrait nourrir les débats devant le tribunal, une autre publication est entre-temps venue percuter l'axe principal de l'argumentaire de la Monnaie de Paris. Car, une poignée de semaines après le dépôt de l'assignation contre La Lettre, la Cour des comptes a publié, le 11 septembre, un rapport très critique sur l'établissement public. Or, pour étayer leur démonstration, les magistrats financiers ont justement repris des extraits du rapport d'EY sur la Monnaie de Paris révélé par La Lettre quatre mois plus tôt. Citant l'étude des consultants, ils pointent ainsi, page 62, les “manquements en matière de planification industrielle, de communication”, “l'absence de processus de vérification du respect des obligations réglementaires” ou encore “une absence de fonction d'audit interne et un contrôle interne disposant d'un périmètre restreint”. Le même document se trouve donc, d'un côté, qualifié de “confidentiel” et “couvert par le secret des affaires” et, de l'autre, largement cité dans un rapport public et largement repris par la presse.
Une défense contre-intuitive
Visiblement pas à une contradiction près, la Monnaie de Paris a confié sa défense à Renaud Le Gunehec, avocat chevronné en matière de droit de la presse, conseil, entre autres, de l'hebdomadaire Le Point. Celui-ci serait avisé de relire l'excellente tribune, en date du 6 mars 2019, qu'il avait rédigée pour le site Legipresse. “On espère donc qu'aucune entreprise n'aura le ridicule de saisir un tribunal de commerce contre un journaliste ou un éditeur, par exemple pour demander en référé l'interdiction de “la poursuite des actes d'utilisation ou de divulgation d'un secret des affaires” (article R. 152-1 du Code de commerce), en l'occurrence la suppression d'un article de presse qui révélerait une information “secrète””, s'inquiétait l'auteur, le même qui réclame aujourd'hui le retrait d'un article de La Lettre. L'avocat estimait que “surjouée, surinterprétée, la loi sur le secret des affaires est bien une grenade dégoupillée contre la liberté de l'information”, trois mois après l'entrée en vigueur du texte. “On espère que les juridictions seront assez sages pour ne pas en faire mauvais usage et pour exclure franchement les journalistes de son champ d'application, mais l'époque n'est pas encourageante.” “Drôle d'ambiance”, concluait Renaud Le Gunehec, sans visiblement imaginer de quel côté du prétoire il se tiendrait six ans plus tard.
Les révélations de La Lettre sur la Monnaie de Paris
La Lettre du 11/01/24 : La gaffe sur les centimes qui va coûter un million d'euros à la Monnaie de Paris. La Lettre dévoile la frappe sans validation de Bercy ni de la Commission européenne de 27 millions de pièces de 10, 20 et 50 centimes d'euros.
La Lettre du 19/01/24 : La bévue sur des millions de pièces vire à la crise à la Monnaie de Paris. La Lettre revient sur l'incident occasionnant la destruction de millions de centimes non conformes et dévoile le contenu de l'évaluation diligentée par Bercy.
La Lettre du 29/01/24 : Alerte à la Monnaie de Paris autour de la production des médailles olympiques. La Lettre est le premier média à mettre en garde sur les problèmes de qualité que rencontre la Monnaie de Paris pour produire les médailles olympiques. Le groupe chinois Huawei a renvoyé un lot de plus de 12 000 médailles défectueuses.
2 février 2024 : plaintes en diffamation de la Monnaie de Paris contre La Lettre.
La Lettre du 13/01/25 : Comment la Monnaie de Paris est tombée du podium avec ses médailles olympiques. La Lettre révèle que plus de 100 médailles défectueuses ont été renvoyées par les athlètes de Paris 2024.
La Lettre du 19/05/25 : Monnaie de Paris : après le fiasco des médailles, un audit secret dévoile de nouveaux loupés. La Lettre révèle l'audit du cabinet EY étayant les précédentes informations publiées ; le contenu de l'audit est cité par un rapport de la Cour des comptes rendu public le 11 septembre.
13 août 2025 : la Monnaie de Paris assigne La Lettre au tribunal des affaires économiques en réclamant le retrait du dernier article, en date du 19/05/25, sur l'audit du cabinet EY et du document pour “violation du secret commercial”.
* Le média Jeune Afrique, qui attaquait La Lettre et le groupe Indigo Publications pour “actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale”, a été débouté en première instance le 24 juin 2024 par le tribunal de commerce, puis le 4 juin 2025 par la cour d'appel de Paris (LL du 06/06/25). Le journal codirigé par Amir Ben Yahmed et Marwane Ben Yahmed a choisi de se pourvoir en cassation.
Quentin Botbol (directeur de la publication)
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Les problèmes de craquelures sur les médailles olympiques de la Monnaie de Paris, révélés par La Lettre avant même les JO de Paris (LL du 29/01/24), suscitent une certaine fébrilité au sommet de l'organigramme. Selon nos informations, le PDG de la prestigieuse institution, Marc Schwartz, vient de sacrifier dans l'urgence les trois principales têtes de sa production.
Son directeur industriel Jacky Frehel a ainsi fait savoir fin novembre qu'il partirait à la fin du mois de janvier. Éric Matte, le directeur de production du site parisien chargé de la fabrication des médailles olympiques, n'est plus apparu dans l'établissement depuis le 2 octobre, alors qu'il était censé participer à des réunions le lendemain. La responsable de la qualité, hygiène sécurité et environnement, Hélène Juton, a, pour sa part, déserté son bureau le même mois, avant d'annoncer son départ le 13 décembre.
Qualité des vernis
Ces départs contraints, qui pourraient prendre la forme de ruptures conventionnelles, trouvent leur origine dans les problèmes de qualité sur les vernis des médailles remises cet été aux athlètes olympiques et paralympiques. D'après les informations de La Lettre, plus de 100 médailles défectueuses ont déjà été retournées par des sportifs mécontents au Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) de Paris 2024, en seulement quatre mois. Dès le 2 août, le skateur américain Nyjah Huston avait affiché sa récompense en bronze sur les réseaux sociaux, la montrant en piteux état, dix jours seulement après sa remise sur le podium. Ce cas, très médiatisé, est loin d'être isolé. Le nageur Maxime Grousset a fait un constat identique le 9 août, cinq jours après avoir été médaillé.
Autour du 15 août, le PDG de la Monnaie Marc Schwartz avait dû rappeler en urgence ses cadres Jacky Frehel, Éric Matte et Hélène Juton, contraints d'interrompre leurs congés pour une réunion de crise quai de Conti, au siège parisien de l'établissement. Depuis, les réclamations des athlètes au sujet de leurs médailles se sont multipliées et sont devenues virales. Il y a deux semaines, les vainqueurs du 4×100 m 4 nages Yohann Ndoye Brouard et Clément Secchi ont publié à leur tour sur X et Instagram des photos de leurs médailles de bronze très dégradées. Qualifiée de “peau de crocodile” par le second, elles laissent apparaître des craquelures en forme d'écailles sur la breloque olympique.
Capture du post du nageur Yohann Ndoye Brouard publié sur X le 28 décembre 2024. © Yohann Ndoye Brouard/X
Le précédent Huawei
Dans les faits, la Monnaie de Paris se débat avec ses vernis défectueux depuis au moins quinze mois, bien avant le début des JO. Comme l'a révélé La Lettre à l'époque, les ennuis du prestigieux établissement public ont démarré avec son plus gros client étranger, le géant des télécoms Huawei. Le groupe chinois commande régulièrement des médailles du travail, qu'il distribue à ses employés les plus méritants. En octobre 2023, l'industriel a fait part de la déception de ses salariés ayant constaté l'apparition de craquelures et a retourné un lot de plus de 12 000 médailles défectueuses. L'épisode a été mal vécu dans les ateliers, où l'on s'attriste de voir une institution millénaire incarnant la qualité du Made in France à l'international prise en défaut par son puissant client asiatique. Une partie des salariés y voient les conséquences du plan stratégique lancé en 2019 par Marc Schwartz, plaçant la structure artisanale des médailles sous une grande direction industrielle, aux côtés de l'usine de Pessac (Gironde), spécialisée dans les gros volumes de pièces de monnaie.
La cause de ces vernis écaillés est visiblement liée à l'insuffisante anticipation d'un changement réglementaire par la direction de l'établissement public. La dernière mise à jour de la directive européenne Reach prévoit l'interdiction d'un composant toxique du vernis maison, le trioxyde de chrome, qu'il a fallu remplacer au pied levé. Faute de temps et de recul pour faire des essais, ce sont les médailles de Huawei, puis celles des Jeux olympiques, qui ont fait les frais des nouveaux produits utilisés. À Paris, l'atelier médailles du quai de Conti se fait désormais accompagner par une entreprise lyonnaise spécialisée dans les processus industriels et les traitements de surface, afin de trouver une solution durable.
Facture salée
En attendant que la Monnaie de Paris soit en capacité de relancer une production fiable, les médailles défectueuses renvoyées par les athlètes sont collectées par le Cojop Paris 2024. Sollicité par mail, le Comité international olympique (CIO) nous a assuré qu'elles seraient toutes remplacées “dans les semaines à venir”, sans s'engager sur un calendrier précis.
Contactée, la direction de la Monnaie de Paris a fait savoir par la voix de son avocat qu'elle ne s'exprimerait pas sur les défauts de qualité de ses médailles, se retranchant derrière “le secret des affaires et de la confidentialité due” à ses clients, refusant de “s'exprimer publiquement” sur “la situation individuelle de salariés” et menaçant La Lettre d'une plainte pour diffamation.
Mais la facture de cette affaire risque d'être salée pour l'établissement public. En plus du prix à payer pour lancer une petite série des médailles neuves, la décision de décapiter la Monnaie de Paris de ses trois hauts cadres va mobiliser d'importantes ressources financières. Il y a deux ans, le départ négocié de la directrice des monnaies étrangères avait amputé le budget de l'EPIC de plus de 200 000 euros, dans le cadre d'une rupture conventionnelle.
Surtout, cette crise intervient au pire moment pour la direction de la Monnaie de Paris, déjà en difficulté après la production de millions de pièces de centimes d'euros non conformes, révélée par La Lettre (LL du 11/01/24). La bévue, d'abord minimisée par l'institution, lui avait finalement coûté 800 000 euros pour 2023, un montant important, rapporté à son résultat net de 4,4 millions d'euros publié cette même année.
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