Des pourboires, partout, sans arrêt. Pour le touriste de passage aux Etats-Unis, la culture américaine du « tip » peut être un choc. Dans les enseignes de restauration rapide, où il faut faire la queue debout et patienter pour retirer sa commande, voire la remplir soi-même sur un écran ou se verser son café soi-même, on tend au client un terminal de paiement qui affiche trois niveaux de pourboire. C'est souvent 15 %, 18 %, 20 %, mais cela peut monter au-delà de 25 %. Et gare au mauvais coucheur qui tente de cliquer sur l'icône qui ne marche jamais, « no tip » : la serveuse vous regarde.
Les touristes ne sont pas seuls à redouter le passage en caisse. Au moment où la promesse de Donald Trump de défiscaliser les pourboires vient d'entrer en vigueur, les Américains expriment leur « tipping fatigue » : ils en ont assez d'être mis à contribution en permanence, même s'ils continuent à donner, mus par la culpabilité.
D'autant plus qu'ils viennent de vivre une période d'inflation élevée, et appréhendent la remontée des prix liée à la guerre commerciale. Selon une étude récente du cabinet de conseil financier WalletHub, 86 % des Américains pensent que la culture du tip est devenue « hors de contrôle ».
Par conséquent, ils deviennent moins généreux. Selon Talker Research, les Américains ont payé 453 dollars de pourboires non nécessaires en 2024, par culpabilité. Mais en 2025, ils ont été moins sensibles et n'ont donné que 283 dollars au-delà de la norme (en rythme annuel). Seuls 11 % disent avoir augmenté leurs pourboires.
L'impact de la numérisation
Comme le pourboire s'est numérisé, il est instantané, ubiquitaire, envahissant, à la boulangerie, sur les applis de livraison ou de transport, au fast-food, dans les soirées open bar. L'application de VTC Lyft propose par exemple de choisir par avance un montant de pourboire préféré qui sera ensuite prélevé à chaque course.
« La générosité temporaire du pourboire a évolué en une attente non dite et exigeante ces dernières années, avec la généralisation des technologies avancées de paiement », notent des chercheurs de l'université Temple dans un article paru en août dans l'« International Journal of Hospitality Management ».
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Selon eux, les demandes de tips dans les « contextes de tipping émergents », comme dans les cafés, « peuvent impacter négativement les émotions des consommateurs, le mérite perçu de l'employé, et la satisfaction liée à leur décision », surtout quand le pourboire doit être versé avant le service. Face à la « tipflation », ils recommandent de rendre plus visible l'effort - montrer le barista aux manettes - et d'éviter le prépaiement.
Des salaires minimums plus faibles
Pour l'instant, la loi One Big Beautiful Act, qui a mis en oeuvre la défiscalisation, ne semble pas avoir fait exploser le niveau des pourboires par rapport au salaire. La tentation est pourtant grande du point de vue de l'entreprise, puisque le salaire minimum fédéral directement versé par l'employeur n'est que de 2,13 dollars de l'heure pour les employés « tippés », contre 7,25 dollars pour les employés qui ne travaillent pas au contact direct du client ou qui n'ont pas droit au tip.
Chaque Etat reste libre de fixer un salaire minimum supérieur. L'Oklahoma a choisi de rester au plancher salarial. A Washington DC, les seuils sont de 10 dollars (emploi tippé, par exemple barman) et 17,50 dollars (non tippé, par exemple plongeur ou vendeuse de vêtements). Si les pourboires ne suffisent pas à atteindre le niveau du salaire minimum non tippé, l'employeur est tenu de combler l'écart de sa poche.
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Reste qu'avec la nouvelle législation, les recruteurs ont tout intérêt à modérer les salaires en faisant miroiter des impôts sur le revenu en baisse pour leurs salariés. L'idée est populaire. C'est d'ailleurs après avoir rencontré une salariée de l'hôtellerie de Las Vegas révoltée par la taxation de ses pourboires que Donald Trump s'y était converti.
Un nombre de bénéficiaires limité
Néanmoins, le nombre de bénéficiaires de la défiscalisation devrait rester limité. Moins de 3 % des Américains sont tippés, et la loi spécifie que seuls les métiers déjà tippés pourront faire l'objet d'une défiscalisation.
De plus, les salariés bénéficient déjà d'un abattement standard de 16.000 dollars, qui limite considérablement le gain qu'ils peuvent retirer de la défiscalisation. Le « New York Times » a entrepris d'évaluer les gagnants et les perdants et a constaté que l'étudiant en job d'été est déjà couvert par l'abattement, et le chauffeur de VTC à 44.000 dollars de revenus dont 3.500 dollars de tips est couvert par l'abattement plus la déduction kilométrique.
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Mais certains vont voir la différence. Un barman payé 40.000 dollars dont 22.000 dollars de tips ne paiera que 200 dollars d'impôts, contre 2.600 avant. Un coiffeur payé 70.500 dollars dont 10.500 de tips va gagner 1.900 dollars. Le croupier de Las Vegas payé 100.000 dollars dont 60.000 de tips économisera presque 11.000 dollars. Mieux vaut gagner gros si l'on veut défiscaliser.
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