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-====== Le Monde – Maigreur, fourrure, diversité… la mode rétropédale : « Depuis quelque temps, on recommence à nous demander ouvertement des mannequins caucasiens » ====== 
- https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/09/05/maigreur-fourrure-diversite-la-mode-retropedale-depuis-quelque-temps-on-recommence-a-nous-demander-ouvertement-des-mannequins-caucasiens_6638996_4500055.html  
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-Collage Martha Haversham 
-COLLAGE MARTHA HAVERSHAM 
-Maigreur, fourrure, diversité… la mode rétropédale : « Depuis quelque temps, on recommence à nous demander ouvertement des mannequins caucasiens » 
-Par Sophie Abriat et Valentin Pérez 
-Par Sophie Abriat et Valentin Pérez 
-Par Sophie Abriat et Valentin Pérez 
-Article réservé aux abonnés 
-Enquête Il y a peu encore, l’industrie embrassait les grandes causes qui agitaient la société. Du soutien à la Gay Pride à Black Lives Matter, en passant par son souci d’inclusivité dans la représentation des corps et des identités, elle semblait au diapason de l’époque. Mais le vent a tourné. Et l’élection de Donald Trump, qui multiplie les décrets antidiversité, change la donne. 
-La caméra glisse sur le jean de l’héroïne – mince, blanche, à la longue chevelure blonde – pour s’arrêter sur son regard azur. « Mes jeans sont bleus », lance l’actrice américaine Sydney Sweeney (Euphoria, The White Lotus), après avoir évoqué la transmission des gènes des parents à leur progéniture. La voix off conclut alors : « Sydney Sweeney has great jeans », entretenant volontairement l’ambiguïté entre « jeans » et « gènes », deux mots homophones en anglais. Révélée le 23 juillet, la publicité vantant les pantalons d’American Eagle n’est pas passée inaperçue aux Etats-Unis. Début août, les grands quotidiens, du New York Times au Washington Post, lui dédiaient tribunes et analyses, tandis que CNN, ABC ou Fox News en débattaient dans leurs morning shows. 
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-Mettant en scène un vêtement pourtant plutôt consensuel, le jean, la publicité a polarisé l’opinion. Les progressistes y ont lu un éloge « eugéniste » et un traité de « propagande suprémaciste ». Les conservateurs, un retour à une féminité idéalisée et au « bon sens ». « Une revanche culturelle après toutes ces années où l’on nous a dit qu’il fallait trouver inspirantes les mannequins lingerie potelées », écrit The Free Press, le jeune média « antiwoke » qui monte. Donald Trump et son vice-président, J. D. Vance, en personne, ont même défendu la campagne, trop heureux de souligner au passage que l’actrice s’était inscrite sur les listes électorales républicaines, à Monroe County, en Floride, en juin 2024. 
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-Cette campagne d’American Eagle, dont l’action a bondi sous l’effet du scandale, incarne le vent réactionnaire qui souffle depuis quelques mois sur la mode, à l’opposé des discours inclusifs et philanthropes qui dominaient ces dix dernières années. « Nous sommes entrés dans un moment post-politiquement correct », résume Kimberly Jenkins, consultante et fondatrice de la plateforme The Fashion and Race Database. Comme si mode et idées progressistes n’allaient plus forcément de pair… Visuellement, cela se traduit par le retour de certains codes rétro, évoquant l’imaginaire tradwife, vantant le retour pur et simple de la femme au foyer, en robe de ménagère, petit sac à main et rang de perles. 
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-Retour en grâce de figures décriées 
-Les observateurs ont parallèlement noté d’autres signaux faibles : la diminution du nombre de messages engagés en faveur du féminisme et du body positivisme, la perte d’influence de marques considérées comme vertueuses (LVMH a revendu en janvier ses parts de Stella McCartney à sa fondatrice, réputée pour ses engagements écologistes), le retour en grâce de figures hier décriées à cause de scandales xénophobes (Dolce & Gabbana) ou d’accusations d’agressions sexuelles ou de viol (le designer Alexander Wang est de retour à la fashion week de New York tandis que le photographe Terry Richardson signe à nouveau des photos pour des magazines). 
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-Diversité et écoresponsabilité, les maîtres-mots des dernières années « sont de moins en moins d’actualité, s’indigne Céline Semaan, activiste libano-américaine, fondatrice de Slow Factory, une organisation à but non lucratif engagée pour la justice environnementale et sociale dans la mode. On a l’impression d’être revenu quinze ans en arrière, comme si tous les efforts entrepris étaient balayés d’un revers de main ». Dressant le même constat, la journaliste Amy Odell, biographe d’Anna Wintour, donnait dès mars une autre lecture dans une tribune au New York Times : « La mode a renoncé à être woke et c’est O.K. » Sans être pro-Trump, elle y expliquait que la mode et l’engagement n’ont jamais, selon elle, vraiment fait bon ménage… 
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-Collage Martha Haversham 
-COLLAGE MARTHA HAVERSHAM 
-Depuis une dizaine d’années, le secteur a pris pourtant pour habitude de véhiculer avec succès des messages engagés. Même les poids lourds du luxe le plus commercial démontraient qu’ils avaient une conscience politique. Chez Dior, Maria Grazia Chiuri pouvait vendre des sacs par milliers en affichant ses convictions féministes à coups de slogans comme « Patriarchy = CO2 » et reverser les bénéfices des ventes du fameux tee-shirt « We should all be feminists » (le titre d’un essai de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie) à la Fondation Clara Lionel, une ONG créée par la pop star Rihanna et qui finance des programmes d’éducation et de santé, notamment à destination des femmes. 
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-Quant au directeur artistique italien Alessandro Michele, il est parvenu à faire engranger à Gucci des milliards d’euros de chiffre d’affaires en martelant chaque saison ses idéaux humanistes et pacifistes. Il n’a pas hésité à mettre en valeur des penseurs engagés comme le philosophe Paul B. Preciado ou encouragé la maison florentine à faire don de 500 000 dollars à March for Our Lives, un mouvement américain anti-armes. 
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-Engagement dans le débat politique 
-Aux Etats-Unis, la mode allait jusqu’à prendre ouvertement part au débat politique national. Lors de la fashion week de New York de février 2017, l’industrie américaine était ainsi vent debout contre le président Trump, fraîchement élu. Imran Amed, le fondateur du média spécialisé The Business of Fashion, lance alors la campagne #TiedTogether, invitant tous les acteurs de la mode à porter un bandana blanc en signe d’attachement aux valeurs de tolérance et de solidarité, visant implicitement le décret anti-immigration du président américain. 
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-On pouvait lire « I am an immigrant » sur les tee-shirts de Prabal Gurung et « Unity » ou « Hope » sur les manches des chemises de The Row, tandis que les casquettes de la marque Public School portaient l’inscription « Make America New York », en réplique au slogan trumpiste et en hommage à l’esprit cosmopolite de la ville. Symboliquement, Raf Simons avait, pour ouvrir son premier show pour Calvin Klein, choisi le tube de David Bowie This Is not America. A l’époque, Marc Jacobs ou Tom Ford refusaient même, dans un élan contestataire ouvertement assumé, d’habiller la First Lady Melania Trump. 
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-Trois ans plus tard, la mort du quadragénaire afro-américain George Floyd, à Minneapolis le 25 mai 2020, tué par Derek Chauvin, un policier blanc, et la vague d’indignation mondiale qui s’était ensuivie avaient poussé de nombreuses entreprises de mode à afficher leur soutien au mouvement Black Lives Matter, notamment sous la pression des réseaux sociaux. Dons à des associations, programmes antiracistes pour leurs employés, audits internes pour diversifier leur main-d’œuvre… De nombreuses initiatives étaient annoncées. « A l’époque, on pensait vraiment que l’intérêt des marques était réel, que les résultats en termes de productivité et de culture d’entreprise en seraient améliorés », souligne la directrice de casting Barbara Blanchard, qui a lancé à l’été 2020 son agence de conseil pour accompagner les entreprises souhaitant changer leurs pratiques en matière de diversité et d’inclusion. 
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-Trois lettres encapsulaient alors la promesse de l’engagement : CDO, pour chief diversity officers, ces responsables diversité et inclusion nommés pour faire en sorte que les marques soient ouvertes à tous et ne véhiculent ni collection ni publicité discriminatoire. « Désormais à bas bruit, de plus en plus de marques se passent d’un tel responsable ou l’absorbent au sein d’autres services, ce qui peut amoindrir sa marge de manœuvre », constate à regret la consultante américaine Virginia Cumberbatch qui a pour clients des griffes nord-américaines comme Lululemon ou Burton. 
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-La diversité retrogradée 
-Gucci, en avance sur ces questions, s’est par exemple réorganisé pour confier les missions de son ex-CDO, qui rendait compte directement au PDG, au département des ressources humaines, pour plus d’efficacité, semble espérer la maison. « Dans les politiques des marques, on voit apparaître la tentation de ne plus assumer le terme de diversité pour privilégier des palliatifs, comme “bien-être” ou “appartenance”. Bien que ces mots aient encore un sens, il faut mesurer ce que ces changements signifient, car le langage est un indicateur de nos valeurs », poursuit Virginia Cumberbatch, soulignant à quel point le terme et le concept même de diversité – « un tabou » pour l’administration Trump, analyse le New York Times dans son édition du 22 août – ne sont plus dans l’air du temps. 
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-A l’image d’autres mastodontes (Citigroup dans le secteur bancaire, McDonald’s dans l’alimentaire, Warner Bros Discovery dans le divertissement…), la chaîne de grands magasins Saks Fifth Avenue, présente de New York à Beverly Hills, a rebaptisé son ex-CDO en se débarrassant du terme « diversité ». Depuis le printemps, sa responsable « diversité, équité et inclusion » a muté en cheffe « de l’engagement des parties prenantes, de l’inclusion et de l’appartenance ». Quelques mois plus tôt, le géant suédois H&M avait fait de même avec sa cadre chargée de ces sujets, rebaptisée responsable « de l’identité et de la raison d’être des personnes ». « Son champ d’action reste identique et les sujets d’inclusion et de diversité restent au cœur de ses activités et de celles de ses équipes dévouées », défend-on chez H&M. 
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-Groupes de luxe (Kering), maisons de mode (Gucci), labels de sportswear (Lululemon, Nike)… le phénomène touche des acteurs de différentes natures. Depuis 2020, beaucoup de CDO ont tout simplement quitté leur poste après quelques mois seulement d’activité. « Certains ont subi des résistances. Ils en avaient assez qu’on les fasse passer en interne pour des procureurs qui venaient dire ce qui était bien ou mal », relève Kimberly Jenkins, qui a conseillé Gucci sur le sujet avant 2020. 
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-« Washing social » 
-Le manque de ressources et d’investissements aurait également pesé. « Les marques de mode se sont jetées sur ces problématiques de diversité et d’inclusion dans une logique performative, regrette Agnès Rocamora, sociologue et professeure au London College of Fashion. Pour beaucoup d’entreprises, ces politiques relevaient surtout d’une forme de washing social [récupération opportuniste à des fins mercantiles] et ne reposaient donc pas sur une conviction idéologique réelle. » En somme, abonde Khémaïs Ben Lakhdar-Rezgui, auteur de L’Appropriation culturelle. Histoire, domination et création : aux origines d’un pillage occidental (Stock, 2024), « on se rend compte que la diversité a été réduite à une tendance et, comme toutes les tendances, elle a fini par ne plus être à la mode ». 
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-Surtout, le retour, en janvier 2025, de Donald Trump comme président des Etats-Unis (un marché qui représente environ un quart des ventes mondiales du luxe) pousse à la discrétion sur ces sujets. Dès le premier jour de son arrivée à la Maison Blanche, le 20 janvier, le républicain a signé un décret exécutif déclarant illégales les politiques d’inclusion et de discrimination positive liées au genre, à l’âge, aux origines ethniques, à la classe sociale ou encore à l’orientation sexuelle et au handicap (visible ou invisible) dans les institutions fédérales et, au-delà, dans les entreprises. Sollicités aujourd’hui, des CDO, en poste ou démissionnaires, font les morts ou déclinent, confus, toute demande d’entretien « au vu de ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis »… 
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-Souffle réactionnaire 
-Le souffle réactionnaire du moment ralentit ou condamne les projets. « Les budgets s’amenuisent depuis un an, les e-mails s’espacent et obtenir une validation des marques prend plus de temps qu’auparavant », constate Virginia Cumberbatch d’Austin, au Texas, racontant avoir dû renoncer récemment à l’organisation d’un séminaire destiné à des entrepreneuses noires ou amérindiennes. « Depuis 2023, nous avons perdu 80 % de notre équipe. Ce sont des centaines d’ONG, d’associations qui sont contraintes de mettre la clé sous la porte. Fondations et sponsors nous lâchent », alerte Celine Semaan, également autrice (A Woman is a School, Slow Factory Press, 2024, non traduit) et designer, installée à New York. 
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-A Paris, Barbara Blanchard a fini par fermer son cabinet de conseil en faveur de la diversité dès 2023, faute de contrats : « Pendant trois ans, nous avons été invitées à des séminaires, nous avons nourri la réflexion de comités d’éthique… explique-t-elle. Mais on s’est rendu compte qu’il y avait davantage de posture et de communication que de volonté de faire changer les choses. » 
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-Collage Martha Haversham 
-COLLAGE MARTHA HAVERSHAM 
-Pragmatique, l’Allemand Achim Berg, conseiller dans l’industrie du luxe, attribue ce recul autant à la crise du secteur – dont les ventes, en baisse, poussent à privilégier des messages commerciaux et consensuels – qu’au nouvel exécutif de Washington. « Les Américains ont voté pour un gouvernement antidéveloppement durable et antidiversité. Les maisons de mode ne peuvent pas ignorer un tel avertissement. Hier, c’était pour elles politiquement opportun d’épouser ces enjeux aux Etats-Unis. Aujourd’hui, c’est politiquement inopportun, voire dangereux », pointe-t-il. « Le retour au pouvoir de Trump confirme l’essor de narrations déjà existantes, mais jusqu’ici restées plus discrètes, que l’on pourrait qualifier d’“antidécentes”, au sens où elles autorisent des discours jusqu’alors jugés socialement inacceptables et inaudibles », analyse le sémioticien Luca Marchetti. 
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-Les géants du luxe américains n’ont pas abdiqué sur tout pour autant. Contactés, Ralph Lauren redit par exemple son attachement à ses collections capsules pensées en collaboration avec des minorités amérindiennes et présentées en 2023, tandis que le joaillier Tiffany & Co. confirme que son prix en partenariat avec le Conseil des créateurs de mode américains (CFDA), destiné à faire émerger de jeunes designers de bijoux « issus de la diversité », aura bien une deuxième édition cet hiver. Mais la tendance globale est à l’amoindrissement d’engagements de ce type. 
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-Offensive antitrans 
-Dans un milieu où l’acceptation du genre et de l’orientation sexuelle ne fait plus débat depuis longtemps, la cause LGBTQ + elle-même semble défendue avec moins de vigueur. Il y a encore cinq ans, mettre en vente une collection capsule aux couleurs du drapeau arc-en-ciel en juin, lors du mois des fiertés, faisait office de tarte à la crème. L’édition 2025 a pourtant marqué un fort recul en la matière, alors que le secteur aurait pu se mobiliser au moment précis où l’administration Trump se fend d’une offensive antitrans (gel des procédures civiles de changement de genre, réclamation de données sensibles sur les personnes en soins médicaux, interdiction des personnes trans dans l’armée, les sports féminins…) et où la Cour suprême pourrait avoir les moyens de remettre en cause, dans les prochains mois, le mariage entre personnes de même sexe outre-Atlantique. 
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-« Sous la pression du conservatisme culturel et de l’administration Trump », selon un rapport du cabinet Gravity Research, 39 % des entreprises américaines – tous secteurs confondus – ont ainsi annoncé revoir à la baisse leurs actions lors du Pride Month. Jamais pourtant autant d’Américains ne s’étaient aussi ouvertement définis comme gay, lesbienne, bisexuel, trans ou queer (9,3 % de la population en 2024, selon un rapport de l’institut Gallup). 
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-De nombreuses marques de mode ont ainsi passé leur tour cette année, comme la multinationale du prêt-à-porter Gap, le chausseur Ugg, mais aussi Zara, Massimo Dutti ou Bershka, les enseignes de fast fashion d’Inditex – un choix que le groupe espagnol ne souhaite pas commenter. Versace, familier de l’exercice, n’a cette fois-ci pas imaginé de vêtements particuliers, préférant reverser 10 % des bénéfices de vente d’une paire de lunettes à l’Elton John AIDS Foundation. 
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-« La Pride tourne au beige » 
-Même les marques qui ont commercialisé des collections capsules LGBTQ + en 2025 l’ont fait sans trop le claironner, privilégiant des couleurs sobres et des slogans ou symboles discrets, ce qu’ont regretté certains responsables d’associations habitués à voir leurs couleurs plus franchement assumées. « La Pride tourne au beige », a résumé The Business of Fashion. Le géant de l’habillement Abercrombie & Fitch a, par exemple, mis en vente des produits avec un arc-en-ciel discret cousu à l’intérieur du vêtement. 
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-« En matière de luttes LGBTQ +, beaucoup de marques ont déserté. Elles craignent d’être trop politiques, de perdre des opportunités en termes de business. Aujourd’hui, faire défiler des personnes trans est un parti pris », souligne Louis Gabriel Nouchi. Le 28 juin, pour la Marche des fiertés parisienne, le créateur français, à la tête de la marque qui porte son nom, a tenu à organiser une soirée dans un club, en soutien à la communauté. « Enfin une marque qui fait quelque chose ! », assure avoir reçu, par dizaines de messages, le styliste qui expose depuis ses débuts des corps d’hommes non standardisés sur les podiums. « Parce qu’il invisibilise, le silence est encore pire que le washing », regrette-t-il. 
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-Jouer la prudence 
-Il est pourtant le plus tentant. Historiquement progressiste, la mode ne va pas forcément jusqu’à faire l’éloge du conservatisme, mais elle adopte un positionnement plus apolitique, en retrait, neutre. Les grandes maisons, propriétés de groupes cotés, semblent particulièrement jouer la prudence, laissant la question de l’engagement politique à quelques marques indépendantes qui tentent encore de l’occuper. 
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-« On remarque de plus en plus la faille entre les griffes institutionnelles qui sont ancrées dans un système patrimonial, avec un héritage lourd et très contextualisé, et de jeunes labels téméraires et inclusifs qui proposent des collections progressistes », constate Leyla Neri, directrice du master en design de mode de l’Institut français de la mode. L’un des produits les plus viraux de l’année a par exemple été un tee-shirt estampillé « Protect the dolls » (« protégez les poupées »), dont l’initiateur, Conner Ives, jeune designer américain qui défile à Londres, reverse l’entièreté des bénéfices à Trans Lifeline, une ligne téléphonique de soutien aux personnes trans en détresse. 
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-Dans un autre registre, Telfar, marque américaine particulièrement engagée pour l’égalité raciale, a fêté, en juin, ses 20 ans en organisant un défilé dans les rues de New York avec 200 modèles de tous âges, couleurs de peau ou morphologies. Pendant la fashion week homme de Paris en juin, la Française Jeanne Friot a imposé un casting de mannequins entièrement trans ou non binaires et s’associait, quelques mois auparavant, à la National Network of Abortion Funds, association de défense du droit à l’avortement aux Etats-Unis, à qui elle reversait certains de ses bénéfices. 
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-L’Américain Rick Owens a, quant à lui, surpris son monde en annonçant après son défilé qu’il comptait lever des fonds pour La Maison d’Allanah, association versaillaise qui propose un hébergement d’urgence aux plus précaires et aux victimes de LGBTphobies, à sa façon : en diffusant des photos payantes de ses pieds sur la plateforme de partage de vidéos intimes OnlyFans… La rétrospective que consacre en ce moment à Rick Owens le Palais Galliera, à Paris, démontre que ses partis pris ont été payants. Libertés sexuelles et de genre, appels aux solidarités, antiracisme, défense de la dignité de chacun… Au fil de sa carrière, le créateur a à la fois politisé sa mode et élargi son audience. Et il ne compte pas revenir en arrière, a-t-il prévenu lors du vernissage de l’exposition visible jusqu’au 4 janvier 2026 au musée de la mode : « Avec ce qui se passe politiquement dans le monde, nous avons plus que jamais besoin de résistance. » 
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-Pour Laurence Lim, fondatrice de Cherry Blossoms Intercultural Branding, une entreprise qui conseille des poids lourds, comme LVMH, Richemont ou L’Oréal, pour les aider à mieux appréhender les cultures de leurs marchés, cette bascule du secteur est contre-intuitive. « Je ne cesse de conseiller à mes clients d’assumer ce qu’ils sont et les combats qui vont avec, assure-t-elle. Tout le monde parle depuis quelques mois de réenchanter la mode et le luxe : c’est précisément par une renaissance morale que cela passera, en remettant en avant des valeurs et non en se dépolitisant. Paradoxalement, on voit émerger en Inde ou en Chine, où la jeunesse a soif d’expression individuelle, des initiatives sur la diversité et l’inclusion, au moment où les Etats-Unis freinent. Pourtant, on estime que, en 2045, la population américaine sera à majorité non caucasienne : les marques ont intérêt à anticiper et à s’adresser à tous les consommateurs dès aujourd’hui. » 
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-Coulisses du made in Italy 
-« Pourquoi voudriez-vous que la mode fasse à tout prix le bien ? nuance, en exigeant l’anonymat, un ex-PDG de grandes maisons européennes. En laissant penser qu’il se souciait de son prochain et de tous, le secteur a trop promis. A long terme, l’exemplarité peut aussi être un danger. Voyez les scandales de production récents en Italie… » Ces derniers mois, Armani, Dior, Valentino ont été accusés par la justice italienne de pratiques salariales illégales chez leurs sous-traitants, jetant ainsi une lumière crue sur les coulisses du made in Italy. Un sort que connaît aussi Loro Piana depuis la mi-juillet et qui a valu tout l’été au fabricant d’ultraluxe, propriété de LVMH, des commentaires courroucés et déçus sur son compte Instagram… 
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-Dior et Armani ne sont plus sous administration judiciaire depuis février. Mais, le 1er août, l’Autorité italienne de la concurrence a condamné Armani à une amende de 3,5 millions d’euros pour pratiques commerciales trompeuses. Elle estime que ce qu’elle a découvert sur sa chaîne d’approvisionnement ne permet pas de penser que la maison a honoré les engagements de responsabilité sociale et durable dont elle se prévalait auprès des clients sur ses sites Internet… La marque a fait appel. 
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-Collage Martha Haversham 
-COLLAGE MARTHA HAVERSHAM 
-Pour qualifier cette « marche arrière toute » de la mode, une expression revient depuis quelques mois : « boom boom ». Façonné par le prévisionniste californien Sean Monahan, ce concept décrit l’esthétique du moment, un monde où les effets visuels priment sur le discours, le bruit tapageur sur la substance. Et traduit en images ce mouvement réactionnaire qui se propage. Sur les podiums et les réseaux sociaux, une brise années 1970-1980 souffle, avec une féminité maquillée et conventionnelle, une masculinité musclée et un peu macho, un rapport décomplexé à la chirurgie esthétique. 
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-Symbole de l’ancien monde, la fourrure reparaît. La plupart du temps, elle est fausse. Mais, dans un numéro d’illusionniste très réussi, le shearling (une peau lainée, donc du mouton) prend plus souvent qu’à son tour des allures de vison ou de zibeline, convoquant tout un imaginaire rétro. Chloé la glamourise, optant par exemple pour une lascivité seventies version « décadence sur la Riviera française » dans sa dernière campagne publicitaire. Très likée, la recette de celle de Saint Laurent, publiée fin juillet, est un condensé de nostalgie : Kate Moss et Chloë Sevigny, figures associées aux excès du secteur dans les années 1990, posent dans un cabriolet ou une piscine, ou se voient fétichisées dans des intérieurs luxueux, toutes en lingerie ou (fausse) fourrure. 
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-Rapport désensibilisé à la cause animale 
-En février et en mars, au moment où ces pièces « animales » étaient dévoilées sur les podiums, la photographe Zoë Ghertner y voyait, dans une story Instagram, le symbole d’une mode allant à rebours. « Cela ressemble à ce qui se passe politiquement aux Etats-Unis, mais aussi ailleurs. Des reculs, des mentalités rétrogrades et surtout des renversements de lois et de protections pour les femmes, les personnes LGBTQ + et la planète. J’ai été profondément alarmée de voir ces évolutions se refléter de manière aussi évidente dans un espace créatif [comme la fashion week]. » Qu’elle soit synthétique et blâmée par les écologistes ou véritable et honnie par les animalistes, la fourrure est de fait la plus forte tendance de l’automne-hiver 2025-2026, suggérant aussi un rapport désensibilisé à la cause animale. Au diable les préventions, que l’on parle fourrure ou peaux exotiques ! 
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-Le styliste Law Roach, star du milieu qui habille Zendaya et collabore aux titres phares du groupe Condé Nast (Vogue, Vanity Fair, GQ), n’a pas hésité à poster sur son compte Instagram (1,7 million d’abonnés), début juin, deux photos. La première montre le styliste avec, dans les bras, un véritable petit crocodile aux yeux ouverts et à la gueule muselée ; la seconde avec, à la place du reptile, un sac Hermès façonné en véritable croco et à la teinte similaire. « Avant/Après », indique la légende avec cynisme. Il y a quelques mois, une telle publication aurait fait scandale. Cette fois, les images, restées en ligne plusieurs semaines avant d’être supprimées durant l’été, ont récolté plus de 57 000 likes et une pluie d’émojis hilares. 
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-« Définition datée du chic » 
-Cette esthétique boom boom va de pair avec l’omniprésence sur les podiums et dans les publicités de la maigreur. Lors des défilés automne-hiver 2025-2026, a calculé Vogue Business, parmi 8 703 looks, 97,7 % de modèles faisaient une taille 32, 34 ou 36 – un pourcentage en augmentation par rapport aux saisons précédentes où le body positivisme semblait être le maître-mot. Ozempic, Wegovy, Zepbound et autres Mounjaro : les nouveaux médicaments antidiabétiques ou anti-obésité, détournés en coupe-faim, participent de cet excès, particulièrement aux Etats-Unis, où leurs prix ont fortement chuté sous la pression de la Maison Blanche. 
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-« L’extrême minceur est partout, donnant corps à une esthétique référencée et nostalgique, souffle Emma Matell, directrice de casting danoise réputée pour la variété des profils qu’elle déniche. L’élégance, depuis deux ans, tend à n’être plus définie, hélas, dans une variété de formes et d’incarnations, mais dans une définition monolithique et datée du chic. » Le canon de beauté du moment ? « Moins jeune qu’auparavant, peut-être trentenaire », applaudit-elle, mais toujours « extrêmement mince et blanche ». 
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-« Depuis quelque temps, corrobore Barbara Blanchard, dans les briefs que l’on reçoit des marques, on recommence à nous demander ouvertement des mannequins caucasiens. » Les modèles plus-size (taille 40 et au-delà), qui avaient encore il y a peu les honneurs d’une poignée de campagnes publicitaires ou de unes de magazines, en sont maintenant absentes, certaines d’entre elles quittant le mannequinat dépitées. Ainsi de Skye Lukowski-Standley, 30 ans, qui a annoncé au Guardian au printemps avoir quitté son agence londonienne après avoir été une étoile montante, remarquée par exemple dans des pubs Dolce & Gabbana. 
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-« Maigreur malsaine » 
-En mars, la critique de mode du New York Times Vanessa Friedman, qui s’était faufilée dans les coulisses du défilé Schiaparelli, en est ressortie avec une anecdote édifiante. Interrogeant le directeur artistique Daniel Roseberry sur ses jeux de volumes, vestes à basques et épaulettes ultra-larges, elle montre du doigt une excroissance anguleuse de tissu rembourré sur une robe enfilée par une mannequin, pensant ainsi désigner un effet trompe-l’œil. Avant de se voir couper par le créateur, embarrassé : « Euh, ça, en fait, ce sont ses [vraies] hanches »… 
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-En 2017, LVMH et Kering avaient travaillé de concert à l’élaboration d’une charte « sur les relations de travail et le bien-être des mannequins ». Les deux géants français du luxe se sont depuis engagés à supprimer de leurs défilés la taille 32 chez les femmes, même si certaines de leurs griffes continuent de valoriser des corps d’une minceur extrême. Par ailleurs, aucun autre groupe n’a pris publiquement de résolution similaire et, dans les faits, la diversité des morphologies régresse… 
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-Mi-août, l’Advertising Standards Authority, le régulateur britannique de la publicité, a interdit au Royaume-Uni la diffusion de campagnes créées par Zara et Marks & Spencer, pointant la « maigreur malsaine » des mannequins photographiées. Dans la foulée, le tabloïd The Sun titrait, ranimant une expression associée aux dérives toxicomanes des années 1990, sur « le retour de l’héroïne chic »… Comme si l’on revenait bel et bien trois décennies en arrière. 
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-Sophie Abriat et Valentin Pérez 
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