“En tant que vétéran, je me sens 100% trahie”: en France, ces Américains expatriés que la politique américaine inquiète
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Installée en France depuis plusieurs années, la vétéran américaine Nora Tildman* voit son pays d’origine – et de cœur – métamorphosé par les politiques de Donald Trump. Entre peur pour ses droits, inquiétude pour sa famille et sentiment de trahison, elle raconte comment les nouvelles mesures de l'administration Trump II bouleversent sa vie et celle de nombreux Américains vivant à l’étranger.
Vidéo GEO - Qu'a réellement accompli Donald Trump depuis son retour au pouvoir ?
Par Jade Hin-Cellura
Publié le 28 août 2025 à 20h13. Mis à jour le 29 août 2025 à 15h47.
Lecture : 4 min
Ancienne membre de l'armée US, Nora Tildman* a servi pendant huit ans sous l’uniforme américain, dont six mois en Irak lors de la seconde guerre du Golfe, en 2003. Installée en France depuis plus de treize ans, elle observe aujourd’hui son pays natal avec pessimisme.
Les États-Unis qu'elle a défendus ne sont plus les mêmes : raids de l’ICE aux quatre coins du pays, retrait de l'UNESCO, discours de Donald Trump au sujet des anciens combattants… Pour Nora, tout cela sonne comme une trahison. “Rien ne sera plus jamais comme avant, il y aura un avant et un après Trump”, confie-t-elle. À ses yeux, l'Amérique a franchi un cap dangereux, reculant sur le terrain de la démocratie.
Nora T. : En tant que vétéran, je bénéficie de nombreux avantages : des indemnités d'invalidité, une retraite militaire, la sécurité sociale américaine… et je redoute que ce système social nous soit amputé. J'ai peur que Donald Trump finisse par considérer les expatriés comme des “traîtres”, simplement parce qu'ils ont choisi de vivre ailleurs. Beaucoup de mes amis américains installés en France partagent cette inquiétude.
Il a déjà affirmé que les vétérans étaient “trop payés”. Il a aussi montré son mépris : il nous a traités de “losers” et de “suckers” (des propos rapportés par The Atlantic, démentis par l'administration Trump, NDLR) pour avoir choisi l'armée – il ne voulait pas que des vétérans handicapés ou amputés participent aux défilés militaires. Si quelqu'un est capable de dire de telles choses, il n'aura aucun scrupule à nous retirer nos pensions et nos services.
Je crois que Trump veut prouver à sa base que quiconque ne met pas “America First” dans sa vie est suspect. S'il est prêt à faire détourner les fonds des programmes de sécurité nucléaire pour financer un nouvel avion (Air and Space Forces), il cherchera forcément d'autres sources d’argent, et finira par regarder ce qu'il verse aux expatriés.
Il a déjà réduit drastiquement le système de santé des vétérans. Concrètement, aux États-Unis, cela signifie que de petites cliniques locales ont fermé […]. Il a aussi licencié des dizaines de milliers d'anciens militaires employés dans l'administration fédérale, alors que ces emplois devraient leur être réservés en priorité pour faciliter la transition vers la vie civile. Tout cela montre qu'il n'a aucun respect pour ceux qui ont servi leur pays. Quand on en arrive à priver des enfants de nourriture (Le Monde), il est évident qu'un jour ou l'autre, les vétérans aussi seront visés.
Nora T. : En ce moment, la mesure la plus inquiétante est son projet de rendre le vote obligatoire en personne. Or, il y a environ six millions d'“American Citizen Abroad” (Courrier International), et nous votons tous par correspondance ou via nos consulats. Désormais, plusieurs consulats ont fermé : je ne peux même plus y déposer mon bulletin. Et Trump cherche aussi à limiter le vote par courrier.
Cela viserait directement les expatriés, car nous représentons une base électorale plutôt libérale, capable de peser sur les résultats, notamment dans certains États-clés. S'il parvient à supprimer ce droit, cela voudrait dire que nous devrions tous rentrer physiquement dans notre État d'origine le jour du scrutin pour voter […].
Nora T. : Ce que je redoute, c'est que Trump nous force à faire un choix impossible : rentrer aux États-Unis pour conserver nos droits et nos allocations, ou rester à l'étranger et les perdre. Pour moi, il n'y a pas vraiment de choix : ma vie est ici. Mais l'idée d'être privée de mes droits me rend malheureuse, tout comme la peur de ne plus pouvoir revoir ma famille, ou que mes proches ne puissent plus venir me rendre visite en France.
À cela s'ajoute le contexte géopolitique actuel – qui est tendu. Trump flatte encore Poutine ; s'il devait aller jusqu'à s'aligner sur lui dans un conflit en Europe, je serais littéralement piégée, coincée entre deux pays que je considère comme les miens. Je le ressens déjà dans le quotidien : avec ses attaques contre les dirigeants européens, avec ses menaces de tarifs, il rend plus inconfortable la position d'Américains installés ici. Nous sommes supposés être alliés, et pourtant, je me retrouve à craindre d'être assimilée aux partisans de MAGA.
Nora T. : Pour moi, il est devenu impensable de retourner vivre aux États-Unis. Au contraire, je me prépare à l'idée d'essayer de faire venir ma famille ici, en France. Nombre des actions de Trump me font craindre qu'un jour, il veuille aller jusqu'à dissoudre le Congrès et gouverner comme un roi.
Je suis inquiète pour mes proches. La situation est telle que j'ai même conseillé à mon frère de s'enregistrer comme Républicain, juste pour éviter des ennuis. Aux États-Unis, on peut être inscrit dans un parti mais voter pour n'importe quel candidat. Mais si l'on veut rester en sécurité aujourd’hui, il vaut mieux cacher ses convictions. Voilà où nous en sommes : il faut dissimuler ce que l’on pense pour ne pas risquer de perdre ses droits, son travail, voire sa sécurité.
J’ai peur, même en utilisant les réseaux sociaux, de m'exprimer librement. Il suffirait d'un tweet qui attire son attention pour que ma vie soit ruinée. Cette peur de représailles pèse sur moi et sur beaucoup d'Américains – qu'ils soient expatriés ou restés au pays.
Nora T. : En tant que vétéran, je me sens 100% trahie. Chaque jour, je me réveille en pensant à ce que j'ai perdu en tant que vétéran, aux sacrifices que j'ai consentis, aux sacrifices de ma famille. Mon oncle, lui, a libéré des camps nazis en Europe et a contribué à sceller ce lien transatlantique. Aujourd'hui, Trump détruit tout cela. C'est une immense trahison envers des générations entières d'Américains qui se sont battus pour la démocratie.
Je vis avec mes blessures physiques et psychologiques du service militaire, et je sais qu'il pourrait nous retirer ce que le peuple américain avait décidé d'accorder aux vétérans. Certains sont bien plus atteints que moi. Il a déjà supprimé les lignes d'écoute pour prévenir le suicide des anciens militaires — comme si leur vie n'avait aucune valeur.
Je n'aurais jamais imaginé voir de mon vivant la démocratie américaine s'effondrer. Cela montre à quel point elle est fragile. Et c'est ce qui choque le monde aujourd'hui : voir ce basculement se produire aux États-Unis, pays que l'on pensait à l'abri.
* pour des raisons d'anonymat, ce nom a été modifié
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