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| ====== Le Monde – Le 8ᵉ arrondissement de Paris, cas d’école d’un quartier déserté par ses habitants ====== | |
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| Le 8ᵉ arrondissement de Paris, cas d’école d’un quartier déserté par ses habitants | |
| Par Véronique Chocron et Manon Romain | |
| Par Véronique Chocron et Manon Romain | |
| Par Véronique Chocron et Manon Romain | |
| Article réservé aux abonnés | |
| Décryptage « Triangle d’or », Champs-Elysées : le rachat massif des immeubles par des grandes fortunes étrangères a poussé les locataires à partir. En cinquante ans, l’arrondissement a perdu près de la moitié de ses habitants. | |
| Sur les Champs-Elysées à Paris, le 5 septembre 2024. | |
| Sur les Champs-Elysées à Paris, le 5 septembre 2024. XAVIER POPY/REA | |
| Elle reste la dernière école maternelle et élémentaire du « triangle d’or », ce quartier huppé du 8e arrondissement de Paris, délimité par les avenues des Champs-Elysées, Montaigne et George-V. Caché au fond d’une petite voie piétonne débouchant sur la rue Marbeuf, à la hauteur de la boutique de souliers de luxe Berluti, l’établissement Robert-Estienne fait de la résistance, mais, à la rentrée, l’école a dû fermer une classe. Les effectifs ont fortement chuté. | |
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| En ce matin de septembre, deux parents venus déposer leur enfant, arrivés à 8 h 30 tapantes, ont fait le chemin depuis le 18e arrondissement. « Nos enfants sont dans une classe à horaires aménagés en musique, CM1-CM2, qui accueille des élèves venus de partout, explique la mère de famille. Sans cette classe spécifique, notre école aurait fermé. » | |
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| Descendu de son vélo-cargo, d’où il a sorti son fils de 4 ans, Guillaume (les personnes citées par leur seul prénom ont souhaité rester anonymes), consultant dans la finance marié à une diplomate sud-américaine, explique que les élèves de Robert-Estienne sont « des enfants d’expatriés, ou des personnels de service et gardiens du quartier, et puis des habitants historiques du 8e qui ont grandi ici ». « Il n’y a que très peu de familles ici. Où pourraient-elles se loger ? », nuance Djamila, hébergée à quelques rues de là, et qui élève seule son fils de 7 ans. | |
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| « Désespérément vides » | |
| Assise sous les dorures de son imposant bureau, la maire (Les Républicains) du 8e arrondissement, Jeanne d’Hauteserre, s’en inquiète. « Les enfants sont là, mais jusqu’à quand ?, demande-t-elle. J’ai 2 000 familles du 8e arrondissement qui me sollicitent pour avoir un logement social, elles sont chaque année de plus en plus nombreuses. » Dans le 8e, la part des HLM rapportée aux résidences principales n’atteint pas 4 %, contre 44 % dans le 13e et 46 % dans le 19e. Si bien que l’élue soutient, depuis 2023, contre l’avis de sa famille politique, la création de 23 logements sociaux dans un bel immeuble en pierre de taille ouvragée, avenue George-V, à 200 mètres de l’avenue des Champs-Elysées – la polémique à ce sujet vient d’être relancée à l’occasion du dépôt du permis pour la réhabilitation lourde de l’immeuble. | |
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| Arrondissement en manque de Parisiens, le 8e a « perdu près de la moitié de ses habitants en cinquante ans, en raison, notamment, de l’expansion du quartier central des affaires au détriment de l’habitat », arguait, il y a deux ans, la maire, devant le Conseil de Paris, en volant au secours de cette opération de logements sociaux. Avant d’ajouter que l’opulent « triangle d’or » s’est, quant à lui, « progressivement dévitalisé, au fur et à mesure que les immeubles ont été acquis par des fortunes étrangères, à l’identité parfois difficile à établir, qui ont poussé les locataires à partir et qui restent désespérément vides ». | |
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| Dès les premières lueurs du jour, les rues du quartier résonnent du bruit des travaux et s’animent, entre encombrements des camions de livraison, affluence des touristes et des cadres en chemin vers leurs bureaux. Bon nombre des immeubles haussmanniens ne donnent en revanche aucun signe de vie. La part de logements inoccupés – vacants ou résidences secondaires – atteint plus de 36 % dans le 8e arrondissement, un record dans la capitale, comme l’a révélé l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR). Leur nombre ne cesse d’augmenter (+ 10 points depuis 2006 aux Champs-Elysées), en raison de « la présence d’investisseurs immobiliers et [de] la croissance des locations meublées touristiques », avance l’agence d’urbanisme. Un cas d’école de la désertification en habitants du centre de Paris. | |
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| La mairie ne décompte plus que 2 000 personnes inscrites sur les listes électorales dans tout le périmètre du « triangle d’or », et seulement 90, sur l’avenue des Champs-Elysées, qui n’y habitent pas tous à l’année. « C’est un quartier de bureaux, tout est fermé le week-end. Il n’y a pas de commerce de proximité, de boucherie… », témoigne Serge, locataire de l’autre côté de la célèbre avenue, rue de Ponthieu, et qui déplore de vivre dans « l’arrière-boutique des Champs-Elysées ». « Les Champs sont très propres, ma rue est épouvantable, résume-t-il. C’est là que se trouvent toutes les réserves, les sorties du personnel des hôtels, de Sephora, de Zara, etc., les cartons et les poubelles s’accumulent, il y a des travaux en permanence, les boîtes de nuit sont une catastrophe. » | |
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| Achats sur un coup de tête | |
| C’est un tout autre décor que propose, dans son élégante agence immobilière, avenue Pierre-1er-de-Serbie, l’enseigne Belles demeures de France, réservée aux biens de luxe et à la clientèle internationale. Ici, les prix des biens proposés place François-1er ou avenue Montaigne évoluent entre 15 000 et 60 000 euros le mètre carré pour un penthouse, une vue exceptionnelle, ou si l’immeuble propose une conciergerie ou un poste de sécurité. Les acquisitions peuvent se faire sur un coup de tête, à l’image de cette vente de près de 6 millions d’euros, « très rapide, à un milliardaire américain qui voulait être à deux pas du pont de l’Alma pour les JO. Il a acheté comme ça », raconte, en claquant ses doigts, Marie-Hélène Lundgreen, la directrice de Belles demeures de France. | |
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| Ce qui attire les grandes fortunes internationales dans ce quartier, « ce sont les très beaux appartements classiques dans le “triangle d’or” pour être entouré de belles boutiques, de restaurants étoilés, pour se rendre à pied et prendre le thé au Four Seasons ou au Plaza », poursuit l’experte en immobilier. Ces clients-là achètent des pied-à-terre, où ils ne passent souvent que quelques jours par an. « Ils ne sont pas intéressés par le boucher ou le cordonnier en bas de la maison. Ils se font rarement à manger, ils vont au restaurant, précise Dania, conseillère dans l’agence. Dans ces appartements, la cuisine n’est pas vraiment une pièce importante, il suffit de pouvoir se faire un café ou un œuf dur. » | |
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| A quelques pas de là, dans le restaurant de quartier qu’elle tient de longue date au cœur du « triangle d’or », où elle est née, Isabelle (son prénom a été modifié) raconte sa nostalgie d’un quartier qui fut « un village, très familial ». « Des investisseurs étrangers ont joué au Monopoly dans le quartier. Aujourd’hui, les immeubles sont inhabités, explique-t-elle. Par exemple, rue de La Trémoille, vous les voyez en vous baladant à pied : tout est vide avec des bandeaux commerciaux et, quand on appelle, personne ne répond pour louer, ils ne veulent personne dedans, ça fait peut-être vingt ans que c’est inoccupé. C’étaient de beaux appartements. » | |
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| Le « Triangle d'Or » de Paris | |
| Limites du « Triangle d'Or » | |
| Propriétés d'Adrien Labi | |
| Immeubles détenus en partie par Adrien Labi | |
| Propriétés vendues en 2023 | |
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| Protomaps © | |
| OpenStreetMap | |
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| 100 m | |
| Les données cadastrales utilisées sont valides pour le 1er janvier 2024. | |
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| Ces bandeaux sont ceux de la Foncière du triangle d’or, propriété d’Adrien Labi, homme d’affaires britannique aussi discret que controversé. Au 1er janvier 2024, il détenait encore au moins 15 immeubles dans ce périmètre très prisé, par l’intermédiaire de sociétés établies au Luxembourg et au Danemark. L’origine de sa fortune reste nébuleuse, bien que des rumeurs persistantes lient ce « fantôme du triangle d’or » à la famille Kadhafi. | |
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| Aujourd’hui, son empire immobilier, évalué à plusieurs centaines de millions d’euros au bas mot, semble à l’abandon, ce qui s’explique probablement par les déboires fiscaux et judiciaires d’Adrien Labi. Selon les dernières estimations du Parquet national financier, plus de 450 millions d’euros ont été saisis sur la vente du 35-37, avenue Montaigne au groupe Kering, propriété de François Pinault, en 2023. | |
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| « Logements insalubres » | |
| Apposés sur la quasi-totalité du patrimoine du milliardaire, des panneaux de permis de construire, datant de plusieurs années, font tache dans cet écrin de luxe. Aux étages, les fenêtres cassées ou laissées ouvertes témoignent d’une inoccupation prolongée. Au rez-de-chaussée, les locaux commerciaux sont vides et les chantiers paraissent figés depuis des mois. | |
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| Le 5, rue du Boccador illustre parfaitement ce phénomène. En cause : un prêt de 30 millions d’euros accordé à Adrien Labi par la banque EFG Bank de Monaco, qui affirme aujourd’hui devant la justice ne pas pouvoir vérifier la provenance des fonds proposés pour le remboursement. En juillet 2023, la justice a ordonné la saisie de l’immeuble de six étages. Le procès-verbal d’huissier en brosse le portrait : un « immeuble cossu », mais délabré, qui n’abrite que six locataires pour une quinzaine de logements vacants et, parallèlement, des locations saisonnières extrêmement luxueuses affichées à plus de 1 000 euros la nuit. Dans un ultime revirement judiciaire, la vente aux enchères de l’immeuble, prévue le 6 février 2025 à un prix de départ de 43 millions d’euros, a été reportée à la dernière seconde. | |
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| Au dernier étage du 5, rue du Boccador, Sweett propose un penthouse de 320 mètres carrés en location saisonnière | |
| Au dernier étage du 5, rue du Boccador, Sweett propose un penthouse de 320 mètres carrés en location saisonnière CAPTURE D’ECRAN « LE MONDE » | |
| Dans le même bâtiment, au rez-de-chaussée, le procès-verbal d’huissier notait, fin 2023, un parquet « très fortement imbibé d’eau » et un faux plafond « tombé à la suite d’un dégât des eaux ». | |
| Dans le même bâtiment, au rez-de-chaussée, le procès-verbal d’huissier notait, fin 2023, un parquet « très fortement imbibé d’eau » et un faux plafond « tombé à la suite d’un dégât des eaux ». CAPTURE D’ECRAN « LE MONDE » | |
| Tout le paradoxe du quartier est que ceux qui l’habitent véritablement « sont beaucoup de personnes très simples. Il y a de nombreuses chambres de service aux derniers étages », souligne Isabelle. L’APUR révèle d’ailleurs que le nombre de logements sans salle de bains est plus élevé dans le 8e qu’il ne l’est en moyenne à Paris : 9 % du parc dans l’arrondissement, contre 7 % en moyenne dans la capitale. « Ces logements “inconfortables” sont concentrés au sud des Champs-Elysées, notamment sur le “triangle d’or” », précise l’agence d’urbanisme. Sur ce périmètre, la suroccupation des logements est également importante : plus de 30 % des résidences sont concernées entre les avenues Montaigne et Franklin-D.-Roosevelt. | |
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| A l’est des Champs-Elysées, Killian, jeune salarié dans la restauration, habite une de ces « chambres de bonne », un 9 mètres carrés au 7e étage sans ascenseur, pour un loyer mensuel de 650 euros. « J’ai une baignoire sabot en face du lavabo, qui fait office d’évier. Les toilettes sont sur le palier, à partager avec les 14 chambres de l’étage. Ce n’était pas un choix, mais, avec mon dossier, comme je n’ai pas de garant, c’est le seul appartement que j’ai pu trouver », explique-t-il. | |
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| La maire d’arrondissement ne cherche pas à le cacher. « Même dans le 8e, il y a une population qui a besoin d’aide, il y a des logements insalubres, affirme Jeanne d’Hauteserre. Ce sont beaucoup de jeunes et des retraités, pour qui grimper jusqu’en haut des escaliers de service est difficile. » Splendeurs et misères de la spéculation immobilière. | |
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| Véronique Chocron et Manon Romain | |
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