https://www.lepoint.fr/tiny/1-2596086 #Postillon via @LePoint
Faut-il supprimer l’héritage pour revaloriser le travail ?
En France, plus de 60 % du patrimoine est transmis et non acquis par le travail, qui est taxé à 46 % contre 6 % pour l'héritage.
Par Joseph Le Corre
Publié le 11/08/2025 à 07:00
Écouter cet article
9 min
«La cerisaie est vendue, c'est fini, c'est vrai, c'est vrai, mais ne pleure pas, maman, il te reste ta vie, il te reste ton âme bonne et pure », lance Ania pour consoler sa mère, effondrée, qui ne se remet pas de la perte de la maison familiale dans La Cerisaie, de Tchekhov. La France est tombée amoureuse de cette pièce, encore jouée jusqu'en mai sur les planches de la Comédie-Française. Le public éprouve de l'empathie pour cette famille russe, miroir d'un mythe profondément ancré dans l'imaginaire national : celui de l'héritage.
Pourquoi le public français aime-t-il tant cette Cerisaie ? Sûrement parce qu'il y retrouve son attachement à la transmission héréditaire. Dans le dernier sondage en date, deux tiers des Français souhaitent réduire les droits de succession (OpinionWay).
Surprenant, quand on sait que la question ne se pose pas pour l'écrasante majorité de la population : près de la moitié des Français ne touchent jamais d'héritage et 87 % des transmissions sont inférieures à 100 000 euros, et ne sont donc pas taxées. Par comparaison, en Allemagne, l'abattement est fixé à 400 000 euros pour les enfants ; et les Italiens peuvent transmettre jusqu'à 1 million d'euros sans payer de taxes.
Conséquences désastreuses
« En France, on préfère la rente à la liberté », assène Thierry Aimar, maître de conférences en sciences économiques à l'Université de Lorraine (Beta) et à Sciences Po Paris. Pour cet économiste libéral, « plus une société compte d'héritiers, moins le travail est valorisé. Il devient plus rentable d'entretenir ses réseaux ou de vivre de la rente familiale que de s'enrichir par son propre effort. Les conséquences sont désastreuses : la productivité baisse, les jeunes générations pensent que le travail ne paie pas et que la gestion de réseaux est plus efficace pour capter la richesse créée par d'autres ».
Nous sommes une société d'héritiers : en France, plus de 60 % du patrimoine est transmis et non acquis par le travail – contre 35 % dans les années 1970. Ce qui n'aurait pas calmé le mépris du Figaro de Beaumarchais, apostrophant la noblesse : « Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. »
À lire aussi : Monique Canto-Sperber : « Le libéralisme n'est pas réservé aux nantis »
Si la Révolution française a aboli les privilèges de l'Ancien Régime, si le sang n'offre plus, en principe, aucun droit, l'héritage en demeure, lui, le dernier bastion. Et que font les forces politiques libérales ? À droite, chaque suggestion de réforme soulève des tollés.
La candidate LR à la présidentielle, Valérie Pécresse, souhaitait supprimer la taxation sur l'héritage pour 95 % des Français : « J'assume qu'on puisse transmettre son patrimoine à ses enfants. C'est le fruit d'une vie de travail qui a été taxé, hypertaxé et retaxé. » Car, oui, en effet, la logique de transmission est aussi au cœur de ce genre d'opérations, et au fondement de notre société.
À droite, un débat mis sous le tapis
Pour un libéral, ce serait un comble que de proposer une taxation massive ? Non, à la condition que l'abolition de l'héritage s'accompagne d'une défiscalisation drastique du travail. Un héritier n'est pas – toujours – un rentier paresseux. Néanmoins, une critique radicale de l'héritage revient à défendre la valeur travail. C'est ainsi affirmer que l'enrichissement doit venir de l'effort et non de la naissance.
Or, en France, en moyenne, le travail est (sur)taxé et l'héritage huit fois moins : 6 % contre 46 % pour le travail. Concrètement, quand on gagne 100 euros en travaillant, on en garde 54. Quand on perçoit 100 euros en héritant, on en garde 94. Et l'abolitionnisme n'est pas un projet égalitariste.
À lire aussi : Quand l'extrême droite tente de phagocyter le libéralisme
Comme le disait Thomas Paine, figure de proue du revenu universel, « peu m'importe qu'il y ait des hommes d'une extrême opulence » – pourvu que cette richesse provienne de leur travail et non de leur naissance, pourrait-on ajouter. Que la critique de l'héritage ne fasse pas consensus, rien d'étonnant, mais que le sujet soit si peu discuté, là est le mystère. Hors des cercles universitaires, à droite, le débat est mis sous le tapis.
« Au XIXe siècle, la question est omniprésente et débattue de front par les intellectuels et les politiques de tous bords. Aujourd'hui, curieusement, on observe un relatif silence », observe Mélanie Plouviez, philosophe et autrice de L'Injustice en héritage (La Découverte, 2025). Pourtant, la querelle est fondamentale : c'est le rapport de notre société au travail qui est questionné par les libéraux.
Une forme de communisme
Selon le libéralisme pur – celui de Locke –, la seule propriété véritablement légitime est celle acquise par son travail. Ce qui constitue une contradiction philosophique majeure avec la position actuelle des partis politiques français qui se réclament du libéralisme.
« Le premier fondement de la propriété, c'est ce que les libéraux appellent la propriété de soi, de son corps. Je suis le légitime propriétaire de mes facultés, je suis donc le légitime propriétaire des fruits de mon travail, vulgarise Mélanie Plouviez. C'est un moment théorique fondateur du libéralisme, le fait d'ancrer la propriété légitime dans le travail. La difficulté avec l'héritage, c'est que les héritiers n'ont pas travaillé pour acquérir cette propriété. Leur seul mérite, c'est d'être bien nés. »
À lire aussi : Karl Polanyi, le penseur du capitalisme contemporain
Le débat entre le travail et la famille n'a jamais été tranché à droite mais il était bien plus riche au XIXe siècle. Si bien que certains libéraux auraient fait passer Jean-Luc Mélenchon pour un petit joueur. John Stuart Mill, penseur incontournable du libéralisme, préconisait un plafonnement radical de l'héritage. « Il propose un plafond au-dessus duquel on retire tout, sans donner de chiffres précis, développe Mélanie Plouviez. Ce sont des propositions qui seraient aujourd'hui le comble de la radicalité de gauche. »
L'héritage est une forme de communisme. En tout cas, c'est ce que prétend Émile Durkheim, dans ses célèbres Leçons de sociologie. Le fondateur de la sociologie moderne s'adresse aux libéraux. Provocateur, l'homme de gauche affirme que la propriété héritée est un résidu archaïque du communisme.
« Il montre que, depuis l'Antiquité, dans sa forme clanique, c'était la famille qui possédait en commun. Et il explique combien l'héritage est la survivance et le seul reste de ce communisme familial. Il déploie historiquement un développement en donnant à voir aux libéraux que ce qu'ils prennent pour du libéralisme est en fait un reste de communisme », analyse Mélanie Plouviez.
« Vous avez économiquement raison, mais politiquement tort »
Une objection (tout aussi libérale) ne peut être écartée : n'est-ce pas la liberté de chacun que de décider de transmettre son patrimoine à qui bon lui semble ? Encore faudrait-il que les futurs défunts puissent choisir la destination de leur patrimoine.
En France, nous sommes obligés, dans des conditions extrêmement strictes, de léguer la majorité de nos biens à nos propres enfants. « Il faut commencer par supprimer la réserve héréditaire. Cela permettrait de léguer tout ou partie de son patrimoine aux personnes de son choix, sans nécessairement prendre en considération le lien biologique », réclamait notamment le philosophe Gaspard Koenig lorsqu'il était encore président du think tank Génération libre.
C'est une querelle franco-française. Aux États-Unis, par exemple, la liberté testamentaire est totale. C'est ainsi que Warren Buffett a promis de donner 99 % de sa fortune aux œuvres caritatives au cours de sa vie ou à sa mort. En France, cela serait illégal. « C'est étrange que les voix libérales ne s'expriment presque pas au sujet de la réserve héréditaire, car le principal scandale, c'est celui-ci », estime Thierry Aimar.
À lire aussi : Gaspard Kœnig : « Il faut lire les auteurs anarchistes »
Selon l'économiste, le positionnement de chacun au sujet de l'héritage fait tomber les masques : « Défendre ce système, c'est être conservateur, pas libéral. Voilà la véritable ligne de fracture. Ceux qui se disent libéraux mais refusent de remettre en question l'héritage sont en réalité des conservateurs, plus soucieux de préserver leur rente privée et de jouir d'un communautarisme familial que de respecter le principe de liberté. »
En défendant ce point de vue, les conservateurs sont dans leur couloir de nage. Mais les libéraux n'osent même pas tremper le bout du pied. Le sujet est tabou. Les électeurs sont trop attachés à l'héritage. Emmanuel Macron résumait parfaitement cet impensé chez les libéraux lorsqu'un économiste lui suggérait une réforme profonde des droits de succession : « Vous avez économiquement raison, mais politiquement tort. » Tant que la critique radicale de l'héritage n'est pas associée à une réduction massive de la fiscalité sur le travail, en effet, l'abolitionnisme est condamné à avoir politiquement tort.
Pourquoi l’Espagne renonce au F-35 et déclenche la colère noire de Washington
« Traités comme des ennemis de l’intérieur » : Rokhaya Diallo fait passer la France pour une terre anti-musulmans
Orgie estivale
Donald Trump veut chasser les sans-abri de Washington
Chez LR, l’affaire Dati fait exploser les ambitions présidentielles
« Les touristes se partagent les plats » : la Corse est-elle devenue trop chère ?
Quand l’actrice Valérie Lemercier se moque des influenceuses
Les meilleurs traceurs GPS pour moto en 2025
RED casse les prix : 120 Go à 8,99 €/mois, sans engagement, c’est le moment d’en profiter
B&YOU frappe fort : Internet + 100 Go de data pour le prix d’un resto
you see this when javscript or css is not working correct