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-====== Le Monde – Comment, sans le dire, Gérald Darmanin veut faire baisser le nombre de prisonniers ======
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-SOCIÉTÉ
-Comment, sans le dire, Gérald Darmanin veut faire baisser le nombre de prisonniers
-Lors d’une réunion avec des procureurs et des directeurs de prison, le ministre de la justice a répété qu’il n’entendait pas prendre d’instructions en matière de régulation carcérale. Dans le même temps, il enjoint aux acteurs de la chaîne pénale de freiner les entrées et d’accélérer les sorties.
-Par Grégoire Biseau
-Par Grégoire Biseau
-Par Grégoire Biseau
-Aujourd’hui à 05h30, modifié à 10h18
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-Le ministre français de la Justice, Gerald Darmanin, visite le centre pénitentiaire de Saint-Maur, près de Châteauroux, dans le centre de la France, le 28 février 2025. CHARLES BURY/AFP
-Jeudi 10 juillet au matin, au premier étage de la chancellerie, place Vendôme à Paris, Gérald Darmanin a une réunion de travail dans un format pour le moins inédit. Entouré de sa directrice de cabinet, du directeur de l’administration pénitentiaire et de la directrice des affaires criminelles et des grâces, le garde des sceaux a rendez-vous, en visioconférence, avec toute la hiérarchie de la chaîne pénale : la quasi-totalité des procureurs généraux, les premiers présidents de tribunal, les directeurs de prison et des administrations pénitentiaires régionales.
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-Pas loin de 500 personnes à distance, pour un sujet brûlant : la situation alarmante de la surpopulation dans les prisons françaises. Les établissements pénitentiaires, qui comptaient 84 447 détenus à la fin juin, n’ont jamais été autant sous pression, avec un taux d’occupation de 135 %, et plus de 5 700 matelas au sol. Une bombe prête à exploser durant un été qui s’annonce caniculaire. « Tous les acteurs de la pénitentiaire disent que ça va péter », s’inquiète un directeur de prison de façon anonyme.
-Pour éviter toute mutinerie, qui risquerait de faire tache d’huile, Gérald Darmanin avance sur une ligne de crête. Avec deux impératifs a priori difficilement conciliables : réduire le nombre de détenus le plus rapidement possible, mais sans se départir de son image publique de fermeté et d’autorité. D’ailleurs, ce même jeudi, il publiait une circulaire à destination des procureurs et des présidents de tribunal, dans la perspective des célébrations du 14-Juillet, pour leur demander une « réponse pénale rapide empreinte de fermeté ». « C’est l’injonction contradictoire permanente. On a toujours eu l’habitude de la gérer, mais, là, ça prend une intensité particulière », peste un procureur de la République, sous le couvert de l’anonymat.
-Initiatives de terrain
-En matière de prison, les apories du ministre deviennent de plus en plus criantes. Jeudi matin, il commence son intervention en répétant sa règle d’or : « Je redis aux procureurs que je ne prendrai pas d’instructions en matière de régulation carcérale. » En clair, ne comptez pas sur lui pour défendre une politique dont le but serait de vider les maisons d’arrêt. Il l’a dit et répété à plusieurs reprises : ce serait interprété par les Français comme du « laxisme ». Donc, une entaille beaucoup trop profonde dans son image publique.
-Mais, en même temps, le ministre de la justice incite tous les acteurs à « se parler entre eux », pour prendre des initiatives de terrain qui pourraient contribuer à freiner les entrées et à accélérer les sorties des établissements pénitentiaires.
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-« Le ministre ne veut pas entendre parler de régulation carcérale, mais il demande à l’ensemble de la chaîne pénale de prendre de telles mesures au niveau local, et donc de prendre cette responsabilité sans politique nationale assumée », critique Jean-Francois Fogliarino, secrétaire national du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP).
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-Depuis la mi-juin, la pression est devenue de plus en plus forte. Le 20 juin, le SNDP, qui réunit une partie des directeurs de prison, prend rendez-vous au cabinet du ministre, pour lui redire que cette « surpopulation conduit les établissements pénitentiaires à un point de rupture ». Et d’appeler à des mesures nationales pour faire baisser le nombre de détenus. Dix jours plus tard, une première réunion en visioconférence de toute l’administration pénitentiaire est organisée, mais sans les magistrats.
-Puis, le 4 juillet, le lendemain de l’audition à l’Assemblée nationale de Dominique Simonnot, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté – avec son groupe de travail réunissant 28 associations et syndicats, qui appellent tous à une loi de régulation carcérale –, Gérald Darmanin convoque, toujours en visio, une deuxième réunion, cette fois avec les procureurs de la République. Il s’agit de sonner la mobilisation, mais sans le crier trop fort. « On a senti un vrai trouble, raconte un procureur général. On voyait bien qu’on parlait de régulation carcérale, mais personne ne pouvait employer le mot, comme si c’était devenu un gros mot qu’on n’avait pas le droit d’employer. »
-« Forcément, on a la trouille »
-Le garde des sceaux laisse donc la parole aux initiatives de terrain. Les procureurs de Metz, de Nantes et de Bobigny racontent leurs mesures de régulation carcérale, qui ne disent pas leur nom. Ici, on insiste pour précipiter les sorties de prison en accélérant les délais qui permettent d’accorder une réduction de peine. Là, on multiplie les aménagements de peine, pour trouver une autre solution à l’incarcération, comme le bracelet électronique. Dans le Grand-Est, le procureur général suggère le report de la mise sous écrou jusqu’à la fin de l’été, pour toutes les peines de prison au moins inférieures ou égales à six mois. Bref, il faut appuyer brusquement sur le frein d’une machine judiciaire qui s’est emballée.
-Le message est reçu. Trois jours après cette première réunion, une procureure raconte au Monde : « On nous demande de différer le plus possible l’exécution des peines au moins jusqu’à l’été. » Un cas d’école très simple s’est présenté à elle : un trafiquant de stupéfiants condamné à une peine de plusieurs mois de prison. « On a juste regardé s’il n’avait pas d’antécédent de radicalisation ou un casier judiciaire trop chargé. Et on a décidé de ne pas l’envoyer en prison, en attendant de passer l’été », décrit-elle.
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-Si elle défend le principe de la régulation carcérale, la même procureure critique la méthode de Gérald Darmanin : « Forcément, on a la trouille de laisser dehors un mec qui pourrait demain tuer quelqu’un. On sait bien que tout le monde se retournera contre nous, en nous demandant : “Pourquoi ce garçon n’était pas en prison ?” Mais puisque le politique ne dit rien de clair, c’est à nous d’assumer. »
-Un procureur général, qui a lui aussi donné des instructions pour suspendre toutes les peines d’emprisonnement jusqu’à la fin de l’été, sauf bien sûr pour les cas les plus graves, rebondit : « On a compris que le garde des sceaux ne souhaitait pas nous écrire des instructions explicites. Il préfère en rester à des consignes orales et renvoyer à des expériences locales, pour éviter que ses adversaires politiques puissent en faire des arguments politiques. »
-Stratégie des petits pas
-Le matin du jeudi 10 juillet, Gérald Darmanin commence donc par des remerciements pour la mobilisation de tous les acteurs. Déjà, dit-il, il constate un « infléchissement notable » : « La semaine dernière, on a eu 79 détenus en plus, contre 300 en 2024. » Mais d’ajouter aussitôt qu’il y a « encore des marges de progression ». En clair, tout est envisageable à la seule condition de respecter sa lettre de politique pénale envoyée en janvier, qui précisait que la prison doit être réservée avant tout aux narcotrafiquants, aux auteurs d’atteintes aux personnes, de violences sexuelles et intrafamiliales, d’actes antisémites et racistes. Et d’insister sur le fait que 50 % des détenus sont aujourd’hui en prison pour autre chose que des violences physiques.
-En plus du retour des prisonniers étrangers dans leur pays d’origine – en priorité ceux issus de l’espace Schengen –, le garde des sceaux rappelle que « 7 000 détenus sont aujourd’hui incarcérés pour des peines de moins de deux ans, et sont à trois mois de la sortie ». Tout le monde comprend que, s’ils sortent un peu plus tôt, ce ne sera pas un drame. Mais Gérald Darmanin se garde bien de le dire explicitement.
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-Est-ce que cette stratégie des petits pas peut avoir une quelconque efficacité ? Jean-François Fogliarino, du SNDP, comme beaucoup de procureurs, ne le pense pas. « Sans une loi nationale contraignante, ça ne marchera pas », assure-t-il.
-Gérald Darmanin pense, lui, avoir gagné du temps, et espère bien que les chiffres de juillet vont enregistrer, pour la première fois depuis très longtemps, une baisse du nombre de détenus. Et surtout, il compte livrer 1 500 places de prison supplémentaires avant la fin de l’année, contre seulement 500 en 2024, pour se donner un peu d’air. En attendant, la même réunion est programmée jeudi 17 juillet. Histoire de maintenir la pression.
-Grégoire Biseau
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