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| ====== Le Monde – De Mark Zuckerberg à Elon Musk, le « boys club » de Palo Alto ====== | |
| https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2025/07/23/de-mark-zuckerberg-a-elon-musk-le-boys-club-de-palo-alto_6623267_3451060.html | |
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| Les seigneurs de la tech | |
| Episode 4/6 | |
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| SEAN M. HAFFEY/GETTY IMAGES/AFP | |
| De Mark Zuckerberg à Elon Musk, le « boys club » de Palo Alto | |
| Par Raphaëlle Bacqué (San Francisco, envoyée spéciale), Damien Leloup et Alexandre Piquard | |
| Par Raphaëlle Bacqué (San Francisco, envoyée spéciale), Damien Leloup et Alexandre Piquard | |
| Par Raphaëlle Bacqué (San Francisco, envoyée spéciale), Damien Leloup et Alexandre Piquard | |
| Aujourd’hui à 20h00, modifié à 20h12 | |
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| ENQUÊTE « Les seigneurs de la tech » (4/6). Les grands patrons de la Silicon Valley baignent dans une « culture geek » majoritairement masculine, traversée depuis vingt ans par des débats houleux sur la place des femmes. | |
| Lecture 15 min Read in English | |
| Ce 10 janvier, l’ambiance est détendue et fortement testostéronée dans le studio de Joe Rogan, décoré comme un de ces bars de l’Amérique profonde, néons flashy et cloisons en bois. L’humoriste, champion d’arts martiaux et podcasteur numéro un des Etats-Unis, a pêché le gros lot pour son interview radio, l’une des plus écoutées sur les plateformes. Trois heures de discussion, face à face, avec Mark Zuckerberg, qui n’accorde jamais d’entretien à la presse, mais s’est libéré tout spécialement pour parler chasse à l’arc, dérives de la gauche américaine et progrès de l’intelligence artificielle (IA) avec Rogan, soutien revendiqué de Donald Trump. | |
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| Avec son sourire doux, le « gentil Zuck » est aussi venu glisser une déclaration qui tranche avec son discours habituellement si policé. Lui qui a fait oublier, par ses propos progressistes, que sa première tentative avant de créer Facebook fut une application pour comparer le physique des filles de Harvard, veut dire ceci : « L’énergie masculine est bonne. La société en est remplie, mais la culture d’entreprise essaie de s’en détourner. Toutes ces formes d’énergie sont positives, mais une culture qui fait un peu plus la part belle à l’agressivité a ses mérites. » | |
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| Difficile, pourtant, de croire que Meta, qui ne compte que 36 % de femmes parmi ses employés et seulement quatre femmes sur les 15 membres de son conseil d’administration, soit en déficit de masculinité. Mais l’époque est ainsi : les nouveaux amis trumpistes de Zuckerberg sont convaincus que « la société est devenue neutre, émasculée », comme il le dit à Rogan. Il veut leur prouver que dans cette curieuse guerre des sexes, il est bien de leur côté. | |
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| « Des sujets qui plaisent plus aux mecs » | |
| En vérité, la Silicon Valley a toujours été et reste une affaire d’hommes. Aucune des plus grandes sociétés du secteur n’a été fondée par une femme. Les directrices se comptent sur les doigts d’une main : Gwynne Shotwell chez SpaceX, Linda Yaccarino chez X, jusqu’à sa démission le 9 juillet dernier, Fidji Simo chez Instacart… « J’investis dans une centaine de boîtes, il n’y a aucun dossier porté par des femmes », constate l’investisseur franco-américain Carlos Diaz, qui anime sur YouTube « Silicon Carne », une émission consacrée à la tech. « Le milieu est redevenu brutal, plus masculin, il ne fait pas envie aux femmes. Les sujets du moment sont très centrés sur l’IA, les robots, et ce sont, de fait, des sujets qui plaisent plus aux mecs. » | |
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| Pourtant, si les femmes ont toujours été largement minoritaires dans la Silicon Valley, la situation paraît évoluer dans les années 2010. Google doit alors en grande partie son succès économique à l’embauche de Suzanne Wojcicki (morte d’un cancer en 2024), qui met en place le système de publicités ciblées de l’entreprise avant de prendre la direction de YouTube. Chez Facebook, pendant quinze ans, derrière le titre un peu flou de « directrice des opérations », c’est une femme, Sheryl Sandberg, qui prend de facto toutes les décisions en dehors des grandes orientations stratégiques et de l’ingénierie, domaines réservés de Mark Zuckerberg. | |
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| Mark Zuckerberg et Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, à la conférence Allen & Company de Sun Valley (Idaho), le 8 juillet 2021. KEVIN DIETSCH / GETTY IMAGES VIA AFP | |
| « Je veux qu’au lieu de dire aux petites filles qu’elles sont autoritaires, on leur dise qu’elles ont des qualités de leadership. » Voix posée, regard empathique, Sheryl Sandberg a, le 11 mars 2013, les honneurs de « 60 Minutes », l’émission phare d’actualité de la chaîne américaine CBS. Elle est venue donner le coup d’envoi d’une gigantesque campagne de promotion pour le livre qu’elle vient de publier, Lean In. En avant toutes dans sa version française (JC Lattès, 2013) : 11 chapitres de conseils aux femmes qui veulent grimper la pyramide hiérarchique, allant de « prenez votre place à la table » à « cherchez et dites votre vérité ». | |
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| Lire aussi | |
| Mark Zuckerberg veut plus d’« énergie masculine » et moins de politique de diversité | |
| Lean In devient la bible d’un certain féminisme à la sauce Silicon Valley. Mais ailleurs, critiques et militantes féministes éreintent un livre qui tente de généraliser l’expérience d’une élite carriériste et propose des solutions inaccessibles au plus grand nombre, reposant sur le travail d’autres femmes. Même au sein de Facebook, des employées se moquent – dans un groupe WhatsApp secret – d’une patronne qui pressure ses équipes et ses assistantes, tout en prônant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Reste que, sous l’impulsion de Sheryl Sandberg, Facebook embauche davantage de femmes. Google aussi, à la même période, sans vraiment réussir à inverser une tendance profonde : malgré des efforts de discrimination positive, ses équipes d’ingénierie restent composées à 80 % d’hommes. | |
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| Misogynie structurelle | |
| Susan Fowler, ingénieure logiciel chez Uber, connaît bien le problème : son service compte 6 % de femmes. En février 2017, après avoir quitté l’entreprise, elle publie un long texte sur son blog personnel, relatant par le menu le harcèlement sexuel qu’elle y a subi et la culture violemment sexiste de l’entreprise. Son témoignage fait une victime : Travis Kalanick, le fondateur de la plateforme de réservation de VTC, déjà confronté à de multiples crises internes pour son management violent et ses pratiques douteuses, qui quittera la direction du groupe en juin de la même année. Le récit de Susan Fowler met aussi fin à une illusion : celle de l’ouverture progressive du « boys club » de la Silicon Valley. | |
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| Lire aussi (2022) | |
| « Uber Files » : qui est vraiment Travis Kalanick, le patron qui voulait « ubériser » le monde | |
| Fin juillet 2017, un autre ingénieur, cette fois chez Google, fait la une de la presse spécialisée, puis des médias dans le monde entier. James Damore, 28 ans, vient de participer à une formation, obligatoire dans l’entreprise, de sensibilisation aux problématiques de diversité. Il en est ressorti agacé par un atelier qu’il a jugé « humiliant » et « hypocrite ». Embarquant pour un long vol vers la Chine, il rédige dans l’avion un mémorandum de dix pages, titré « La chambre d’écho de Google ». Il y critique les politiques de diversité de l’entreprise, affirme qu’elle a des œillères idéologiques trop marquées à gauche et que la moindre présence de femmes dans certains secteurs s’explique par des différences qui sont en partie biologiques. Damore n’écrit pas que « l’énergie masculine est bonne », comme Mark Zuckerberg, mais il n’estime pas anormal que quatre ingénieurs de Google sur cinq soient des hommes. | |
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| Il a envoyé son texte par e-mail sur une liste de diffusion interne, mais des employés, choqués par son contenu, le font fuiter vers des médias. Le 7 août, Damore apprend qu’il est licencié, désavoué publiquement par la direction du groupe. Toute la Silicon Valley ne parle que du « mémo Google », dans lequel les féministes voient la preuve d’une misogynie structurelle dans le monde de la tech et les conservateurs celle d’une autocensure persistante au sein d’entreprises se présentant comme les championnes de la liberté d’expression. | |
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| Après son licenciement par Google, l’auteur du manifeste sexiste reçoit une vague de soutien | |
| Trois mois avant la publication des premières révélations sur le producteur hollywoodien Harvey Weinstein et l’apparition du mouvement #MeToo, James Damore devient un symbole, pour la droite américaine, des dérives du « politiquement correct » – on ne parle pas encore de « wokisme ». Le voilà qui donne des interviews à l’agence Bloomberg et à CNN, ainsi qu’à Joe Rogan et à toute une galaxie de youtubeurs et influenceurs de la droite dure : le militant nationaliste canadien Stefan Molyneux, l’activiste Milo Yiannopoulos… Vêtu d’un tee-shirt arborant un logo « Goolag » reprenant les codes graphiques de Google, il pose devant l’objectif de Peter Duke, le photographe bénévole de l’extrême droite américaine. | |
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| Quelques mois plus tard, Damore assurera qu’il ignorait totalement qui était Duke et que le tee-shirt lui avait été offert par ce dernier. Mieux, lors de sa dernière interview au quotidien britannique The Guardian, il vient accompagné de sa petite amie, qui se présente comme une data scientist et une féministe en désaccord avec son texte. L’ingénieur licencié y fait amende honorable, expliquant le ton provocateur de son mémo par un trouble du spectre autistique le conduisant à mal mesurer les réactions des autres. | |
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| La revanche des « nerds » | |
| Il n’empêche, il y a depuis lors toujours un côté « boys club » parmi les dirigeants de la Silicon Valley, peuplée d’ingénieurs brillants qui ont étudié les maths et le code informatique, majoritairement aux côtés d’autres hommes. Certains ont connu la solitude, l’inhibition à l’égard des filles. Tous sont des esprits précoces que la légende décrit souvent comme proches du génie. A 6 ans, le fondateur de Google, Larry Page, a son premier ordinateur ; à 12 ans, Elon Musk vend à un magazine d’informatique un jeu vidéo qu’il a lui-même codé. A 8 ans, le fondateur d’OpenAI, Sam Altman, sait démonter son Mac et s’amuse à calculer des racines carrées avec ses frères. A 11 ans, Mark Zuckerberg crée un réseau pour relier les ordinateurs de la maison familiale et du cabinet dentaire de son père. | |
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| Mark Zuckerberg, lors d’un discours d’ouverture de la conférence F8 des développeurs, à San Francisco (Californie), le 21 avril 2010. JUSTIN SULLIVAN/GETTY IMAGES/AFP | |
| « Mark Zuckerberg ou Bill Gates étaient parmi les meilleurs développeurs du monde, avec une capacité intense de concentration comme je n’en ai jamais vu, se souvient un ancien employé de Meta et Microsoft. Ils avaient ce côté obsessionnel du code propre aux programmeurs, qui se foutent de l’école que vous avez faite. » Admis dans les universités les plus prestigieuses comme Stanford ou Harvard, une forte proportion de futurs patrons n’ont d’ailleurs pas hésité à abandonner leurs études, snobant cette éducation d’élite pour rejoindre le secteur de la tech : Sam Altman, Larry Page, Elon Musk ou Mark Zuckerberg, comme avant eux Steve Jobs (1955-2011) ou Bill Gates… Peter Thiel a même créé une bourse de 200 000 dollars (171 000 euros) pour inciter à la démission « les gens qui préfèrent bâtir de nouvelles choses plutôt que de rester assis dans une classe ». | |
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| Les pères ou les grands-pères jouent toujours un rôle important dans le « boys club » de la Silicon Valley, parfois comme figure antagonique dont il faut se distinguer. Le père de Jeff Bezos l’a abandonné à la naissance. Celui d’Elon Musk, Errol, paraît n’avoir de cesse de se mesurer à son fils et de le dénigrer publiquement. Après avoir obtenu des diplômes à Princeton, notamment en informatique, Bezos a côtoyé l’ingénierie lors de ses étés dans le ranch texan de son grand-père maternel, un militaire passé par l’agence de recherche de l’armée Darpa et par le programme nucléaire américain. | |
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| La figure du « nerd » de la Silicon Valley n’est pas un mythe. La tech et son formidable succès, c’est un peu leur revanche. « Chez Meta, les ingénieurs sont tous des types très bons dans leur domaine mais qui ont connu la solitude, raconte un cadre de l’entreprise. Le fait d’intégrer un grand groupe de tech a changé leur vie. Les voilà riches, enviés, ils ont des super maisons, sortent avec des super filles, qui jusque-là les ignoraient, et comme ils vivent ensemble quasiment en vase clos, ils ont enfin une vie sociale et des amis. » Comment ne changeraient-ils pas en passant de la solitude adolescente au succès vertigineux ? | |
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| Pendant une décennie, Mark Zuckerberg a enfilé, chaque matin ou presque, le même modèle de tee-shirt gris sous son hoodie. « Je veux vraiment libérer ma vie pour avoir le moins possible de décisions à prendre sur tout ce qui ne concerne pas la manière dont je sers [Facebook] », expliquait-il en 2014. Tout cela a changé au début des années 2020. Fini l’uniforme cool du développeur informatique : le patron de Meta arbore désormais de grosses chaînes en or, des lunettes Ray-Ban. En soirée, il porte des déguisements extravagants – dont une combinaison bleue moulante à paillettes pour l’anniversaire de sa femme, Priscilla. Sa carrure, aussi, a changé. Le jogging et l’escrime ont laissé place au jiu-jitsu brésilien et à la musculation. Sur son compte Instagram, il pose, biceps saillants, aux côtés de champions d’arts martiaux mixtes (Mixed Martial Arts, MMA). | |
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| Avec ce nouveau look est venue une agressivité toute masculine. En juin 2023, Elon Musk publie, quasi quotidiennement, des piques contre Mark Zuckerberg, qui s’apprête à lancer Threads, concurrent direct du Twitter (renommé X en juillet) de Musk. « Je suis prêt à l’affronter dans un match en cage lol », écrit ce dernier, en réponse à un internaute qui se moquait du patron de Meta. « Send me location » (« envoie-moi l’adresse »), répond, à la surprise générale, Mark Zuckerberg. Le cirque du combat Musk-Zuckerberg durera plus de deux mois, avant que le premier ne se dégonfle en refusant de confirmer une date. Non sans proposer, dans une dernière provocation, de remplacer l’affrontement par un « concours de mesurage de bite ». | |
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| Richesse bling-bling | |
| Jeff Bezos aussi s’est mis à la musculation. L’ancien geek au look de bibliothécaire arbore désormais des lunettes noires de motard et des bras si larges que la presse à scandale y consacre des articles. La chirurgie esthétique est parfois un recours de ces patrons. « Dans les années 1990, Peter Thiel avait amené Elon Musk à l’un de mes cours, se souvient Jean-Pierre Dupuy, professeur d’éthique des sciences à Stanford. Il n’était pas du tout connu. A moitié chauve, il était aussi très différent physiquement de ce qu’il est aujourd’hui… » | |
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| En plus de ces nouveaux muscles, de ces chevelures et de ces vêtements plus recherchés, les grands patrons de la Silicon Valley accumulent depuis peu les signes extérieurs d’une richesse bling-bling. En 2022, Jeff Bezos a fait construire pour 500 millions d’euros le Koru, un superyacht de 127 mètres de long dont la figure de proue représente une sirène modelée sur le corps chirurgicalement sculpté de sa nouvelle compagne, Lauren Sanchez. Au concours de mesurage à la bitte d’amarrage, il bat d’une courte tête les 118 mètres du Launchpad, acquis par Mark Zuckerberg en 2024 – un navire originellement construit pour l’oligarque russe Vladimir Potanine. | |
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| Jeff Bezos et Lauren Sanchez-Bezos, devant le restaurant Harry’s Bar, au lendemain de leur mariage à Venise, le 28 juin 2025. STEFANO RELLANDINI/AFP | |
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| Jeff Bezos aperçu lors de son mariage avec Lauren Sanchez, le 27 juin 2025, à Venise. ERNESTO RUSCIO/GC IMAGES | |
| Bezos, qui a longtemps continué de conduire sa Honda Accord 1997, en faisant un symbole de la frugalité d’Amazon, collectionne désormais les voitures de sport, dont une très voyante Lamborghini Veneno. Sam Altman (OpenAI) a été aperçu au volant de sa Koenigsegg Regera – un bolide capable de passer de 0 à 400 kilomètres à l’heure en vingt secondes – du côté de Napa (où la vitesse est limitée à 65 kilomètres à l’heure). | |
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| Un paradoxe, note un chef d’entreprise qui les a tous croisés. « A part Bezos, ils ont presque tous créé leur boîte en sortant de l’université. Ils ont de l’argent, mais ils n’ont pas appris les codes qui vont avec : par exemple, ils n’ont pas vraiment de chauffeur. » Ce n’est que très récemment qu’ils ont adopté le mode de vie des multimilliardaires. « Il y a vingt ans, ils sortaient en boîte de nuit ; désormais, ils passent leur temps libre sur leurs yachts. » Ou s’offrent, comme le patron d’Amazon, le décor somptueux de Venise pour un mariage dont la mise en scène et jusqu’aux invités stars paraissent appartenir à l’esthétique des vidéos de réalité virtuelle. | |
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| Il y a certainement une part de midlife crisis, comme les Américains désignent la crise de la quarantaine, dans ces changements récents – Jeff Bezos s’est mis à la musculation après son divorce d’avec sa première femme, MacKenzie Scott. Mais pas seulement. « Ces leaders de la tech ont trouvé une forme de validation, à titre personnel, sur les réseaux sociaux, note un ancien cadre de Google. Pour la première fois, ils ont des admirateurs ! Pensez à Mark Zuckerberg : il se fait éreinter sur les réseaux sociaux, tous les jours depuis quinze ans. » En se mettant aux sports de combat, « il trouve des fans, dans un groupe soudé de jeunes hommes mécontents. Il comprend qu’il peut attirer beaucoup plus de likes en postant des photos de lui avec des combattants ». | |
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| Ce renouveau viril, voire viriliste, ne surprend pas Paul N. Edwards, directeur du programme science, technologie et société à Stanford, qui observe, tant chez ses étudiants que dans la Silicon Valley, le poids important des idées masculinistes. « Ils ont l’idée que le génie va avec un certain type de corps, un corps de Superman ou de héros de jeu vidéo. Ce culte du corps, de la machine, du masculinisme, tout cela va avec l’argent, mais aussi avec la distance à l’égard de la loi et de l’Etat ou le mouvement anti-impôts : l’idée est que ce n’est pas l’intérêt collectif qui prime. » Symbole parmi d’autres : les grands patrons californiens s’intéressent au MMA, aux sports extrêmes, comme Sergey Brin, de Google, ou au cyclisme, comme Tim Cook, d’Apple, mais « aucun de ces types ne s’intéresse aux sports collectifs », grimace un ancien cadre de Meta. | |
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| Cette transformation physique déborde aussi le cliché toujours vivace dans les lycées aux Etats-Unis d’une séparation irréconciliable entre les « nerds » (intellos) et les « jocks » (sportifs, pom-pom girls et adolescents « populaires »). Ancrée dans toute la culture populaire outre-Atlantique, de la comédie The Revenge of the Nerds (1984) à la série The Big Bang Theory (2007-2019), cette frontière entre le club d’échecs et l’équipe de football américain a volé en éclats dans la Silicon Valley. Ces grands patrons adorent les jeux vidéo, à l’instar de Larry Page, d’Elon Musk ou de Mark Zuckerberg, et se rêvent en héros de science-fiction. Ils sont fans absolus du Seigneur des anneaux, dont ils se sont inspirés pour nommer leurs entreprises, comme Peter Thiel (Palantir, Mithril Capital) et Palmer Luckey (Anduril). | |
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| Elon Musk assiste à la 21ᵉ fête d’Halloween organisée par Heidi Klum, au restaurant Sake No Hana, à New York, le 31 octobre 2022. EVAN AGOSTINI/INVISION/AP | |
| Mais Mark Zuckerberg s’affiche désormais bien plus avec Joe Rogan, l’ancien champion de sports de combat, et Dana White, le président de l’Ultimate Fighting Championship, qu’il a fait entrer au conseil d’administration de Meta, qu’avec des stars de la culture geek. « C’est chouette de savoir que des événements épiques ont lieu quelque part dans le monde, même si on n’y sera pas », a commenté, acide, Elon Musk à l’annonce du mariage Bezos-Sanchez. A l’exception de Bill Gates, aucun patron de la tech n’était d’ailleurs invité aux noces. | |
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| « Patron alpha » | |
| Dans la microsociété qu’est Palo Alto, au cœur de la Silicon Valley, les amitiés ne durent pas. Il ne reste rien de celle entre Elon Musk et Larry Page, à part quelques photographies granuleuses hébergées dans les tréfonds d’Internet. Le premier squattait souvent chez le second, dans les années 2000, pour des soirées jeu vidéo endiablées, mais ils sont désormais fâchés, officiellement sur fond de désaccords sur les dangers de l’IA. L’origine de la brouille entre Elon Musk et l’autre cofondateur de Google, Sergey Brin, pourrait aussi avoir une tout autre cause, selon la presse américaine : Nicole Shanahan, l’ex-femme de Brin, aurait eu une liaison avec Musk, ce que ce dernier dément. | |
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| « Tout le monde se déteste dans la Silicon Valley, sourit l’investisseur Carlos Diaz. Peter Thiel déteste Elon Musk, qui déteste Sam Altman, etc. » Les patrons de la tech sont parfois partenaires d’affaires et font la fête ensemble, mais ce sont surtout des rivaux qui se battent pour le statut de « patron alpha », dans un microterritoire vivant en vase clos. « A Palo Alto, à 21 heures, tout est fermé, note Michel Ktitareff, conseiller pour la French Tech. Les gens sont riches, vivent dans leurs maisons de luxe, voyagent en avion privé, mais n’ont pas une vie quotidienne ou sociale raffinée. » Dans ce petit territoire où les millionnaires sont si nombreux au kilomètre carré, on ne trouve ni galerie d’art ni restaurant multi-étoilé, et un seul musée, consacré… à la technologie. | |
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| Cette microsociété a aussi ses médias, dont le podcast « All-In », animé par l’investisseur conservateur David Sacks, et ses propres réseaux sociaux – dont « Chatham House », un groupe de discussion sur l’application Signal rassemblant 300 personnes, parmi lesquelles figurent beaucoup de hauts responsables de la Silicon Valley. Et ses réseaux d’influence internes, dont le plus connu est sans doute la « mafia PayPal », le groupe d’ingénieurs qui ont fait fortune lors de la vente du service de paiement à eBay, en 2002. Elle compte dans ses rangs Peter Thiel, Elon Musk et David Sacks (les trois principaux soutiens de Donald Trump dans la Silicon Valley), mais aucune femme. « On n’en connaissait aucune à l’époque », se justifiera, quinze ans plus tard, Max Levchin, l’un des cofondateurs de PayPal. | |
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| Ce « boys club » dans le « boys club » est l’un des plus puissants réseaux du monde de la tech. Ses membres siègent les uns les autres dans les conseils d’administration de leurs entreprises. Lorsque Elon Musk a rejoint l’administration Trump pour lancer le département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), il a puisé dans ce vivier pour trouver de jeunes ingénieurs dévoués à sa cause. Politiquement, la « mafia » n’est pas homogène – le puissant capital-risqueur Reid Hoffman, qui en fait partie, soutenait la démocrate Kamala Harris lors de la présidentielle de novembre 2024. Mais les influents Peter Thiel et David Sacks sont de longue date des adversaires des mouvements féministes. | |
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| Donald Trump, Elon Musk et l’Américain Bo Nickal, après son combat des poids moyens contre l’Ecossais Paul Craig, lors de l’UFC 309, au Madison Square Garden, à New York, le 16 novembre 2024. JEFF BOTTARI/ZUFFA LLC | |
| En 1995, ils coécrivaient The Diversity Myth (« le mythe de la diversité », Independent Institute, non traduit), un essai résolument conservateur, dont certains passages mettaient en cause la parole de femmes portant plainte pour viol. Thiel a depuis regretté publiquement ces propos, mais, en 2009, il semblait surtout regretter l’obtention du droit de vote par les femmes, estimant que cela avait porté « un coup dur aux idées libertariennes » qu’il défend. Elon Musk, lui, rediffuse des messages sur X assurant qu’une « république de mâles à haut statut » est la meilleure forme de gouvernement, parce que « seuls les mâles alpha à fort taux de testostérone et les personnes neuroatypiques » seraient « objectives ». En comparaison, les déclarations de Mark Zuckerberg appelant à « davantage d’énergie masculine » semblent modérées… | |
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| « Le procès fait à Mark n’est pas très juste, défend un ancien employé de Facebook. J’ai réécouté ce qu’il a dit chez Joe Rogan, après son commentaire masculiniste : il rappelle aussi qu’il a été élevé avec trois sœurs, qu’il a trois filles, et il dit qu’il faut le féminin et le masculin. C’est dit maladroitement, mais il y a dans son discours une sorte d’opinion sincère pour une forme d’universalisme. » | |
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| « L’énergie masculine » peut aussi se lire comme un instinct de survie guerrier. Fin 2024, alors que la campagne de Donald Trump s’annonçait victorieuse, Mark Zuckerberg a rencontré Stephen Miller, le bras droit du futur président, dans la résidence de ce dernier à Mar-a-Lago, en Floride. Il voulait lui annoncer en avant-première la fin des programmes de « diversité et d’inclusion » chez Meta et la modification des règles de modération de Facebook dans le sens souhaité par les conservateurs. Selon le New York Times, il a aussi désigné une responsable de ce que les républicains voient comme une dérive « wokiste » de Meta : Sheryl Sandberg, partie de l’entreprise en début d’année 2024. Ce n’était pas forcément par misogynie. Dans le monde impitoyable de la Silicon Valley, trahir son bras droit est parfois juste le business as usual. | |
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