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| ====== Le Monde – Entre les patrons de la Silicon Valley et la gauche américaine, histoire d’un divorce ====== | |
| https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2025/07/21/entre-les-patrons-de-la-silicon-valley-et-la-gauche-americaine-histoire-d-un-divorce_6622867_3451060.html | |
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| Les seigneurs de la tech | |
| Episode 2/6 | |
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| JIM YOUNG/REUTERS | |
| Entre les patrons de la Silicon Valley et la gauche américaine, histoire d’un divorce | |
| Par Raphaëlle Bacqué (San Francisco, envoyée spéciale), Damien Leloup et Alexandre Piquard | |
| Par Raphaëlle Bacqué (San Francisco, envoyée spéciale), Damien Leloup et Alexandre Piquard | |
| Par Raphaëlle Bacqué (San Francisco, envoyée spéciale), Damien Leloup et Alexandre Piquard | |
| Hier à 20h00, modifié à 02h30 | |
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| ENQUÊTE « Les seigneurs de la tech » (2/6). Le mythe de l’inventeur génial et « cool » a longtemps masqué la vraie nature des grands dirigeants d’entreprises californiens, hostiles aux souhaits des démocrates de réguler certains aspects du secteur des nouvelles technologies. | |
| Lecture 14 min Read in English | |
| Le ranch est un peu compliqué à localiser : dans ce coin de Californie, à moins de deux heures de la Silicon Valley, la connexion Internet ne passe plus, pas de GPS donc, et aucune station-service ne vend plus de carte routière, cet archaïsme à l’heure de l’intelligence artificielle (IA). Après avoir parcouru un peu plus de 100 miles (160 kilomètres) au nord de San Francisco, à travers des collines desséchées et des champs recouverts de panneaux solaires, on finit par trouver la petite route où, au XIXe siècle, circulait la diligence. | |
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| C’est là que les ancêtres de l’ancien gouverneur de Californie Jerry Brown, venus d’Allemagne en 1849, tenaient un relais où l’on changeait les chevaux, « avant, raconte-t-il, que l’arrivée du chemin de fer ne tue la petite route, son auberge, et ne bouleverse totalement la donne ». Un siècle plus tard, Jerry Brown a transformé l’ancien relais en maison de campagne. A 87 ans, c’est un beau vieil homme, dans le style chic et cultivé des Wasps (pour white anglo-saxon protestants, « protestants anglo-saxons blancs ») du Parti démocrate, qui lit des essais politiques et produit une huile extraite des champs d’oliviers longeant la vallée. Autant dire, un bout de l’ancien monde, à moins de deux heures des rois de la tech. | |
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| Il les connaît bien. « Ils gravitaient presque tous autour de moi, comme ils l’ont toujours fait autour du pouvoir », assure-t-il. Mark Zuckerberg et les géants d’Apple ont longtemps financé ses campagnes : « Après tout, ils disaient se préoccuper du pays et faisaient partie des plus riches. » Jerry Brown inaugurait les sièges de leurs entreprises, y compris celui de Tesla, à Palo Alto, même si « Elon Musk était l’un des rares à ne jamais vraiment répondre » à ses campagnes de levée de fonds pour le Parti démocrate de Californie, reconnaît-il. | |
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| Son père, Pat Brown (1905-1996), avait déjà été élu gouverneur de Californie, de 1959 à 1967, avant que lui-même n’accomplisse quatre mandats dans la même fonction. Il s’est aussi présenté trois fois à la primaire du Parti démocrate pour l’élection présidentielle et a longtemps été procureur général de Californie, avant que Kamala Harris ne lui succède. Comment les patrons de la tech auraient-ils pu l’ignorer ? | |
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| Jerry Brown, alors gouverneur de Californie, signe un projet de loi autorisant le test des voitures autonomes en conditions réelles, sur les routes publiques, au siège de Google, à Mountain View (Californie), le 25 septembre 2012. Il est applaudi par le sénateur Alex Padilla et le cofondateur de Google, Sergueï Brin (à droite). GARY REYES/MEDIANEWS GROUP/BAY AREA NEWS VIA GETTY IMAGES | |
| Avant eux, le soft power américain, cette manière de diffuser sans conflit et par la séduction ses valeurs culturelles, s’était fabriqué à Hollywood. Par deux fois, Jerry Brown a succédé à un ancien acteur. En 1975, pour sa première élection, son prédécesseur s’appelait Ronald Reagan. Il avait marqué les esprits dans des films de cow-boys et devint président des Etats-Unis. Vingt-cinq ans plus tard, pour ses deux derniers mandats (2011-2019), Brown prit la suite d’un comédien d’un autre genre, non moins populaire et tout aussi républicain, Arnold Schwarzenegger, le cyborg des films de science-fiction Terminator. En moins de vingt ans, la puissance d’Hollywood a cependant cédé le pas devant l’ascendant de l’Internet et des réseaux sociaux, nés à quelque 600 kilomètres au nord de Los Angeles, dans le creuset de la Silicon Valley. | |
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| « Rendre le monde meilleur » | |
| Dans les années 1980, les élus regardaient d’un peu loin ces ingénieurs aux cheveux longs. La génération de Jerry Brown avait manifesté contre la guerre du Vietnam, mais ces garçons-là bidouillaient de gros ordinateurs dans des garages en se revendiquant d’un new age, un « nouvel âge » dont la technologie serait la clé de la renaissance de l’ère moderne. Des hippies, ils avaient gardé la culture psychédélique et les champignons hallucinogènes, toujours très en vogue aujourd’hui. « Cool », le mot avait été utilisé un siècle plus tôt par les esclaves noirs pour décrire, dans un ironique second degré, leur terrible condition. « Cool » devint l’adjectif préféré de ces jeunes gens en jean et tee-shirt qui moquaient les conventions du pouvoir, mais affichaient l’ambition de « rendre le monde meilleur ». Une sorte de force tranquille à l’américaine. | |
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| Steve Jobs, cofondateur d’Apple, avec la première version du Mac, chez lui, en 1984, à Woodside (Californie), dans la Silicon Valley. NORMANSEEF/PHOTO12 | |
| Steve Jobs (1955-2011), le créateur d’Apple avec Steve Wozniak et Ronald Wayne, a beaucoup contribué à diffuser ce mythe de l’inventeur génial et « cool », qui a longtemps induit en erreur sur la véritable nature des géants de la tech. Jean-Louis Gassée, l’un des premiers Français à rejoindre Apple, en 1985, se souvient de leur première rencontre : « Je sortais de l’entreprise pétrolière Exxon, je portais encore un costume-cravate. Lui était pieds nus, sur la crédence, en train de se curer les ongles. Il avait un charme fou et une réputation non usurpée d’intello. » L’époque n’est encore ni au smartphone ni aux réseaux sociaux, et l’on croit à la diffusion générale, grâce à Internet, d’un savoir universel et émancipateur. | |
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| Cette illusion s’est légèrement décalée. Autrefois, les pionniers de l’informatique affirmaient à longueur d’interviews vouloir rendre le monde meilleur. Désormais, le long des routes de la Silicon Valley, embouteillées dès 7 heures, des dizaines de panneaux publicitaires pour les géants de la tech proclament : « We are inventing the future of humanity » (« nous inventons l’avenir de l’humanité ») sans prétendre avec autant de certitude que ce sera pour le meilleur. | |
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| Dès les années 1990, l’argent facile a commencé à affluer dans la Silicon Valley. Le 9 août 1995, Netscape, qui domine alors 80 % du marché de la navigation sur Internet, réussit brillamment son entrée en Bourse : le cours de son action double en un jour. En un an, son chiffre d’affaires est multiplié par quatre, sonnant le début d’une nouvelle ruée vers l’or. Les investisseurs affluent. A côté du mot « cool », le vocabulaire s’est enrichi des nouvelles expressions en vogue dans les start-up : « disruption » et « globalisation ». | |
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| Les démocrates sont les premiers à s’intéresser à cette Silicon Valley dont l’indicateur de richesse dépasse bientôt celui du Chili et qui contribue de plus en plus à la croissance américaine. Depuis 1986, un jeune sénateur du Tennessee, Al Gore, pousse le Congrès à créer des réseaux à haut débit à destination du grand public. En 1991, il réussit à faire adopter le High-Performance Computing Act, qui alloue 600 millions de dollars (l’équivalent de 1,4 milliard de dollars actuels, soit 1,2 milliard d’euros) au développement de super-serveurs. Il accélérera le mouvement en devenant le vice-président de Bill Clinton, en 1993. | |
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| Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, rédige un message électronique sur un ordinateur, le 25 octobre 1996, à Atlanta (Géorgie), qui sera posté le lendemain sur le site de la Maison Blanche pour célébrer le premier anniversaire de la Journée du Net. LUKE FRAZZA/AFP | |
| Avec ces « autoroutes de l’information », ils sont plusieurs millions au milieu des années 1990, et bientôt des centaines de millions à l’orée des années 2000, à se connecter au réseau Internet. Clinton est le premier président à avoir une adresse e-mail. Wired, le magazine de la tech fondé en 1993, est dirigé par un militant républicain, Louis Rossetto, mais le mouvement libertarien dont il se réclame paraît marginal. Le gros des troupes est libéral, au sens américain, c’est-à-dire progressiste. | |
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| Barack Obama ne s’y trompe pas. Pour sa première campagne présidentielle, en 2008, il utilise si largement les réseaux sociaux et toutes les innovations de la tech que plusieurs journaux appellent le scrutin l’« élection Facebook ». « Plus tard, en août 2011, Obama est venu au siège de Facebook pour une conversation filmée en direct avec Mark Zuckerberg. Les employés étaient super-enthousiastes, la salle était bondée. Quelques mois auparavant, Mark avait accueilli George W. Bush et il y avait beaucoup moins de spectateurs… », se souvient Katie Harbath, membre des équipes des affaires publiques de l’entreprise de 2011 à 2021. Le président s’y présente ainsi : « Bonjour, je m’appelle Barack Obama et je suis celui qui a réussi à faire porter à Mark une veste et une cravate. » Immense succès. | |
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| Le président américain, Barack Obama, et le fondateur de Facebook (devenu Meta), Mark Zuckerberg, au siège de l’entreprise, à Palo Alto (Californie), le 20 avril 2011. JUSTIN SULLIVAN/GETTY IMAGES/AFP | |
| L’idylle de la tech et des démocrates ne tient pas qu’à l’art d’Obama pour la communication « cool ». Les réseaux sociaux sont devenus une puissante voie d’accès aux électeurs pour les politiciens. Les géants du numérique se découvrent un extraordinaire moyen de peser sur ces pouvoirs publics qui menacent, avec leurs lois et leurs réglementations, de brider leur expansion. L’Europe l’apprend souvent à ses dépens. En 2010, le président français, Nicolas Sarkozy, tempête contre Google, qui, comme d’autres géants de la tech, a opté pour l’Irlande, dont la fiscalité est plus avantageuse que dans le reste de l’Union européenne. | |
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| « Lorsqu’il avait reçu le patron de Google, Eric Schmidt, raconte un témoin de l’époque, celui-ci l’écoutait à peine, pianotant ostensiblement sur son téléphone. » Un an et demi plus tard, le même Sarkozy renonce à la « taxe Google ». Mieux, il vient inaugurer en personne le nouveau siège parisien du moteur de recherche, glissant même, charmeur, à Schmidt : « J’aimerais bien travailler ici, mais je ferais sans doute augmenter la moyenne d’âge… » Le lobbying est plus affirmé encore aux Etats-Unis. En 2012, Eric Schmidt mettra une partie de son réseau au service de la réélection de Barack Obama. | |
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| Assurer leurs arrières | |
| C’est le début d’un grand malentendu. Une étude réalisée en 2017 par des chercheurs de Stanford, auprès de « 600 dirigeants et fondateurs d’entreprises technologiques d’élite », presque tous millionnaires, révèle que 96 % d’entre eux sont favorables au mariage entre personnes du même sexe, 82 % défendent des soins de santé universels, même si cela doit entraîner des hausses d’impôts, 82 % souhaitent un contrôle strict des armes à feu et 79 % sont favorables à l’avortement. Ils sont aussi une immense majorité à considérer la lutte contre le changement climatique comme extrêmement importante. En somme, la Silicon Valley est plus progressiste que le Parti démocrate. Seuls 8 % de l’échantillon étudié ont voté pour Donald Trump en 2016. Cela n’empêche pas les grands patrons de la tech d’assurer leurs arrières. | |
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| Dès 2011, Facebook a embauché comme vice-président chargé des affaires publiques un républicain, Joel Kaplan, un ancien du cabinet de George W. Bush à la Maison Blanche, devenu en janvier chef du lobbying de Meta. Mark Zuckerberg peut bien se féliciter du rôle de Facebook dans les « printemps arabes » qui, à partir de décembre 2010, ont vu des foules tunisiennes ou égyptiennes renverser leurs dictateurs, il peut bien défiler à la Gay Pride en 2013 et s’afficher dans toutes les manifestations progressistes, il ne coupe pas les ponts avec les conservateurs. Il a d’ailleurs maintenu au sein de son conseil d’administration, malgré des protestations internes, l’un de ses premiers investisseurs, Peter Thiel, soutien trumpiste de la première heure. | |
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| Les républicains ont, eux aussi, compris la leçon. En 2016, Donald Trump a largement utilisé les réseaux sociaux, et sa victoire trouble soudain les esprits. Quelques mois plus tôt, l’Angleterre a voté pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et, soudain, le soupçon est partout. La société britannique Cambridge Analytica, qui, via Facebook, a siphonné illégalement les données personnelles de plusieurs dizaines de millions d’Américains et de Britanniques, se vante d’avoir développé une technologie d’avant-garde, capable de tirer parti d’un profilage psychologique des électeurs pour les convaincre de changer d’avis ou de s’abstenir de voter. La méthode a, en réalité, une efficacité limitée et n’a pas fait gagner Trump… Mais, pour la première fois, voilà Mark Zuckerberg sommé de s’expliquer devant une commission d’enquête du Sénat américain impulsée par les démocrates. | |
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| L’implication de Cambridge Analytica dans la campagne du Brexit était limitée… tout comme l’efficacité de ses outils | |
| L’audition filmée et diffusée largement dure quatre heures et demie, et elle n’est pas à l’avantage du jeune patron de Facebook, engoncé dans son costume-cravate. « Accepteriez-vous de nous donner le nom de l’hôtel où vous avez dormi hier soir ? », commence benoîtement le président de la commission. « Euh, non… », répond Zuckerberg, dans un rire gêné. « Accepteriez-vous de nous transmettre le nom des destinataires des textos que vous avez échangés cette semaine ? » « Sénateur, non, je ne le ferais pas… » Le piège se referme sur lui. « C’est bien cela le problème : le droit à la vie privée, les limites de ce droit et à quel point on est prêt à le sacrifier aujourd’hui sous prétexte de connecter les gens dans le monde entier. » Pour la première fois, le patron de Facebook doit concéder : « Nous n’avons pas mesuré l’ampleur de notre responsabilité et c’était une erreur. C’était mon erreur, et je m’en excuse… » | |
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| Alors qu’ils sont de plus en plus un vecteur d’information, notamment pour les plus jeunes, les réseaux sociaux continuent d’échapper aux règles auxquelles sont soumis les médias et peuvent vendre aux annonceurs des publicités ciblées en fonction des données collectées sur leurs utilisateurs. D’ailleurs, l’audition a montré que la plupart des sénateurs ne comprenaient même pas que Facebook vivait de la publicité. | |
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| Mark Zuckerberg, fondateur et PDG de Facebook (Meta), lors d’une audition devant une commission d’enquête du Sénat, à Washington, le 10 avril 2018. SAUL LOEB/AFP | |
| Mark Zuckerberg, lui, entreprend, dès l’année suivante, un tour de l’Amérique profonde. Les électeurs de Trump sont là. Ce sont aussi souvent des utilisateurs de Facebook et eux ne réclament pas davantage de modération des contenus sur le réseau social. Pourquoi, dès lors, consacrer tant d’énergie et d’argent à supprimer les messages de haine, racistes ou pornographiques, si c’est pour se retrouver quoi qu’il en soit mis en accusation par une commission d’enquête au Sénat ? | |
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| Possible réconciliation future | |
| Donald Trump et son conseiller le plus droitier, Steve Bannon, n’ont pas eu de mots assez durs sur les géants du numérique. Mais ils entrevoient une possibilité de réconciliation future avec ce secteur si essentiel de la croissance américaine qui, jusque-là, se tenait aux côtés de leurs adversaires. C’est ce que ne comprend pas Joe Biden, le président démocrate élu en 2020. Dans son ranch californien, l’ancien gouverneur Jerry Brown se souvient avec amertume de la méprise dans laquelle est tombée une grande majorité de son parti : « Croire que le progressisme affiché des géants de la tech suffisait à les placer définitivement à nos côtés, en oubliant les revendications plus sociales de nos électeurs. » | |
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| Répondant aux attaques répétées de l’administration Trump contre les femmes, les Noirs et les immigrés, les démocrates affichent résolument leur progressisme. En Californie, et plus encore dans la Silicon Valley, les grandes universités comme les entreprises de la tech adoptent de nouvelles politiques d’inclusion. Dans les années 1960, la lutte des Noirs américains pour les droits civiques avait donné lieu au vote d’une série de mesures d’affirmative action, une discrimination positive visant à augmenter la représentation de certaines minorités, notamment dans les universités. Peu à peu, l’affirmative action est remplacée par le DEI, une série de règles encourageant la diversité, l’équité et l’inclusion notamment par des politiques de quotas à l’embauche. | |
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| Aux Etats-Unis, les politiques de promotion de la diversité dans les entreprises reculent, sous l’influence de Donald Trump | |
| La tech, parce qu’elle s’adresse aux jeunes, et aussi par souci marketing et politique, est « woke », ce mot sous lequel on range désormais tout et n’importe quoi. « En vérité, relève Jean-Pierre Dupuy, professeur de philosophie à Stanford depuis plus de quarante ans, dès les années 1990, nous avions connu un mouvement semblable que nous appelions à l’époque “politiquement correct”. » Le « wokisme » est la poursuite du mouvement, en plus radical, souvent. | |
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| Comme toujours aux Etats-Unis, le goût du profit s’en mêle et des entreprises spécialisées organisent les sélections à l’embauche ou la formation des employés selon les nouvelles règles « woke ». Peu importe que les entreprises de la Silicon Valley restent souvent majoritairement masculines et que les ingénieurs soient le plus souvent blancs ou asiatiques. Peu importe que les employés qui font tourner la restauration, les hôpitaux et les services soient des Mexicains obligés de loger dans des camping-cars garés le long des routes de Palo Alto ou bien loin de ces quartiers où la moindre maison en bois vaut plus de 1 million de dollars. | |
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| Des camping-cars garés sur Bay Road, à East Palo Alto (Californie), le 4 octobre 2018. Cette année-là, la ville a instauré une zone de parking sécurisée pour faire face à la crise du logement dans la Silicon Valley. « THE WASHINGTON POST »/GETTY IMAGES | |
| Aux revendications pour l’égalité des droits se sont aussi mêlés, dans les universités, des mouvements plus radicaux. Des professeurs se voient intimer de changer l’appellation de leurs cours d’history en herstory, et d’y faire enfin une place aux femmes. La présidente de Berkeley signe ses e-mails avec une série de « médailles » certifiant les programmes qu’elle a suivis contre le racisme, pour la promotion des femmes et des LGBT+, la façon dont on doit prononcer son nom et le pronom par lequel elle veut être désignée : « elle », « il », ou « iel » pour les personnes non binaires, ne se reconnaissant ni homme ni femme. | |
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| Tendance ultralibérale | |
| Ce dernier mouvement pour la non-binarité puis la transidentité a fait sortir de ses gonds Elon Musk. Jusqu’à l’orée des années 2020, il passait pour un démocrate, soucieux du réchauffement climatique et humaniste. En 2020, il a détesté les mesures de confinement – jugées trop strictes pour ses usines – prises par l’administration Biden pendant l’épidémie de Covid-19. Mais jusqu’ici, le grand public n’avait vraiment perçu ni ses engouements ni ses colères. | |
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| En mai 2022, Xavier, l’un des premiers enfants – un jumeau – que Musk a eus avec sa compagne Justine Wilson, rompt avec fracas avec son père. Leurs relations étaient déjà exécrables du fait du marxisme radical et de l’anticapitalisme du garçon, qui ne cessait de s’opposer à son multimilliardaire de géniteur. Mais, à 18 ans, Xavier a décidé de devenir Vivian Jenna Wilson et de réaliser une transition de genre. Au juge, Vivian déclare : « Je ne vis plus avec mon père biologique ni ne veux garder le moindre lien de parenté avec lui, en aucune manière, d’aucune sorte ni sous quelque forme que ce soit. » Elon Musk a trouvé un nouvel adversaire, le « virus woke », selon lui à l’origine du choix de cet enfant, qui l’a renié au point d’abandonner son nom. | |
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| Au mois d’octobre 2022, le voici qui rachète Twitter, pour 44 milliards de dollars. Se posant en « absolutiste de la liberté d’expression », il licencie aussitôt la majeure partie des employés, notamment les équipes de modération. Le réseau social s’appelle désormais X et fait la part belle aux opinions polarisées. La tribu trumpiste MAGA (Make America Great Again) a désormais un puissant porte-voix. | |
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| Le « wokisme » n’est pourtant que l’un des éléments de l’éloignement progressif des grands patrons de la tech avec les démocrates. Car le « business » reste au cœur de tout. Pour Musk, le divorce est consommé en août 2021, lorsque Joe Biden organise, à la Maison Blanche, un grand raout pour célébrer les constructeurs de voitures électriques. Il y convie General Motors, Ford et Chrysler, ainsi que le secrétaire général du syndicat United Auto Workers (UAW). Pas Elon Musk, alors même que Tesla vend bien plus de voitures électriques que tous ces constructeurs réunis. En vérité, l’UAW n’a jamais réussi à s’implanter dans les usines de Musk – qui est opposé aux syndicats jusqu’à l’obsession, se remémore un ex-salarié – et compte dans cette mise à l’écart de la Maison Blanche. Le président considère Musk comme un hurluberlu, « avec son voyage sur la Lune », comme s’il ignorait que SpaceX collaborait étroitement avec la NASA. « Biden est une marionnette, une vieille chaussette mouillée à forme humaine », réagit aussitôt Elon Musk, sur X. | |
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| Les patrons de Google, d’Apple et d’Amazon sont moins véhéments, mais eux aussi se mettent à douter de ce président qui proclame vouloir réguler la tech. Dès 2021, Mark Zuckerberg a dû faire face aux pressions de l’administration Biden sur la modération de contenus liés au Covid-19 sur Facebook. Il a aussi supprimé temporairement les partages d’un article accusant Hunter Biden, le fils du président, de corruption en Ukraine, après que le FBI lui eut assuré que l’article relevait de la désinformation russe. Il s’en plaindra en août 2024, dans une lettre adressée à la commission judiciaire de la Chambre des représentants des Etats-Unis. « Mark ne voulait plus se mêler des contenus politiques, il pensait que c’était trop sensible », se souvient Mme Harbath. Le free speech, mantra des militants MAGA, devient aussi celui du patron de Meta, de plus en plus hostile à la modération. | |
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| Meta assouplit fortement sa modération des contenus haineux sur Facebook ou Instagram | |
| Déjà, le 16 juillet 2019, les plus hauts responsables d’Amazon, d’Apple, de Facebook et de Google avaient été réunis dans la salle 2141 du Capitole pour être auditionnés par le Congrès. Le mois précédent, la sous-commission antitrust avait ouvert une enquête, la plus ambitieuse depuis des décennies. Il s’agissait d’évaluer les abus potentiels des acteurs de la Big Tech et de déterminer si Amazon, Apple, Facebook et Google constituaient ou non de puissants et dangereux monopoles. | |
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| Affiche de campagne pour la primaire démocrate, en vue de l’élection présidentielle américaine de 2020, de la candidate et sénatrice Elizabeth Warren appelant à « démanteler » les géants de la tech. A San Francisco, le 30 mai 2019. JUSTIN SULLIVAN/GETTY IMAGES/AFP | |
| Le rapport, dirigé par Lina Khan, est rendu public en octobre 2020. C’est une offensive très rude contre les géants du numérique. Pendant la campagne présidentielle, plusieurs figures de l’aile gauche démocrate, comme Lina Khan, Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, militent ouvertement, à la Chambre des représentants et au cœur du Parti démocrate, pour démanteler et réguler les géants du numérique, et promouvoir une vigoureuse loi antitrust. | |
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| Sous le mandat du président Biden, les désirs de réguler certains aspects de la tech, comme l’IA ou les cryptomonnaies, accentuent l’hostilité du secteur. Les papes du capital-risque et donateurs démocrates historiques de la Silicon Valley, Marc Andreessen et Ben Horowitz, montrent du doigt ces deux projets de réforme, lorsqu’ils annoncent, en juillet 2024, leur ralliement surprise à Donald Trump, renforçant le basculement des élites de la tech. | |
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| L’aile plus centriste du Parti démocrate s’inquiète de l’éloignement des puissants patrons de la tech. En Californie, Gavin Newsom a pris la succession de Jerry Brown. L’ambitieux gouverneur – qui affronte aujourd’hui Donald Trump, dont la politique d’immigration a déclenché des manifestations tendues à Los Angeles – a pris conscience du danger dès le début de la campagne présidentielle. En septembre 2024, il met son veto au projet de loi californien SB 1047, qui aurait rendu les entreprises de l’IA responsables en cas de dommages causés par leurs modèles, ce dont la tech ne voulait pas. Mais trop tard pour que les démocrates remontent leur retard. | |
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| La tendance ultralibérale peut s’épanouir au cœur de la Silicon Valley. Innover sans frein, entreprendre en dehors du contrôle de l’Etat, limiter la fiscalité et échapper aux règles administratives : c’est depuis longtemps le rêve des libertariens. Et voici qu’ils offrent soudain à ces patrons autrefois si « cool » leur idéologie radicale et leurs liens avec le nouveau pouvoir. | |
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