A l'entrée de la ferme, une belle vache étincelle sous le soleil du Midwest. L'élevage familial de Dan Pedersen prospère. Cette grosse exploitation familiale de 12.000 têtes de bétail, perchée sur les collines de loess de l'Iowa, profite à plein du boom de la consommation de viande aux Etats-Unis.
Dan Pedersen, rond et affable, en jean et casquette, désigne un enclos où se pressent de luisantes angus noires. « Vous voyez ce lot ? Sa valeur aujourd'hui est d'un million de dollars, pour 300 têtes », s'extasie-t-il. A côté, des charolaises à la robe crème et au regard tendre partiront pour 750.000 dollars. « Les montants sont fous. Avant le Covid, ces deux lots auraient valu 750.000 et 600.000 dollars », poursuit le fermier.
Il y a des agriculteurs heureux dans le Midwest, en dépit des droits de douane de Donald Trump qui sèment le chaos sur les marchés mondiaux et menacent l'équilibre économique de certaines exploitations.
Profits record dans l'élevage
Dan Pedersen vit dans une grosse maison. Il possède 3.600 hectares où il fait pousser du maïs, du soja et fait paître ses bêtes. Deux de ses trois fils se préparent à lui succéder. Diplômés en agronomie, ils sont en train de déployer des drones pour économiser 100.000 dollars en épandage de fongicides.
« L'année dernière, l'industrie de l'élevage a réalisé les plus gros profits jamais vus. Cette année, on bat tous les records, avec une demande incroyable des restaurants américains. On n'arrive pas à répondre à la demande », raconte-t-il. Même à 50 dollars dans l'assiette, voire 80 dollars à New York, les Américains raffolent de leurs steaks, « T-bones » et autres « ribeyes ».
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A en croire le fermier, il reste encore un an ou deux avant le retournement de cycle. D'ici là, ce ne sont pas les vapeurs de Wall Street qui vont le démoraliser : « S'il n'y avait pas les médias qui effraient à mort les gens, ça irait beaucoup mieux. Quand la Bourse chute de 500 points, ils pensent que le monde s'écroule, mais le lendemain elle remonte de 700 points », relativise-t-il.
Les trois quarts des fermiers qu'il connaît alentour ont voté Trump. L'électorat rural est la base arrière du leader populiste. En novembre, il a remporté 78 % des voix dans les comtés « agricoles » (tirant 25 % des revenus de l'agriculture). L'ex-promoteur immobilier new-yorkais a continué à accroître ses scores dans les campagnes : ils étaient de 73 % en 2016 et de 76 % en 2020.
Pourtant, son obsession protectionniste va à l'encontre des intérêts d'une industrie très tournée vers l'exportation. « Aux grands fermiers des Etats-Unis : préparez-vous à produire beaucoup de produits agricoles à vendre dans les Etats-Unis. Des droits de douane vont s'appliquer sur les productions extérieures le 2 avril. Amusez-vous ! » les a-t-il prévenus via Truth Social.
L'électorat rural constitue une base fidèle pour Donald Trump.
L'électorat rural constitue une base fidèle pour Donald Trump. Jerry Mennenga/Zuma/SIPA
Cela n'a pas donné envie de rire à tout le monde. La première guerre commerciale menée par le président Trump contre la Chine, sous son premier mandat, s'était soldée par des faillites en série, notamment chez les petits agriculteurs.
Les producteurs américains de soja s'étaient vu fermer le marché chinois en rétorsion. Leurs exportations ont chuté de 74 % en 2018, et le nombre d'exploitations a chuté de 11 % en quatre ans, selon l'association The Environmental Working Group. Le gouvernement Trump a dû débloquer 28 milliards de dollars pour secourir les paysans.
En 2025, les nouveaux droits de douane renchérissent l'achat d'herbicides en Chine ou de fertilisants au Canada. Et le yo-yo des tarifs crée de l'incertitude et complique les décisions d'investissement. De surcroît, la fermeture de la frontière mexicaine et la chasse aux sans-papiers vont priver les agriculteurs d'une main-d'oeuvre clé au moment des récoltes.
Nous faisons réellement confiance à cette administration qui sait pourquoi elle fait ce qu'elle fait. Ils voient loin.
Lucy, agricultrice dans l'Iowa
« Si nous avons deux, trois, quatre mois de guerre commerciale, ce n'est pas vraiment de la douleur, minore Dan Pedersen, et si on obtient un meilleur accord avec la Chine et que ça fait monter les prix dans six mois, ça sera positif. »
En réalité, l'éleveur est moins exposé que d'autres au commerce international. Ses acheteurs sont américains. Il fertilise ses champs avec la bouse de ses vaches, puis nourrit ses bêtes avec son grain, plus des montagnes de tacos et de pain rassis que les boulangeries industrielles voisines viennent déverser chaque jour.
De plus, l'élevage est moins intensif en main-d'oeuvre que la cueillette. Il n'a pas besoin de saisonniers. Ses voisins, quand ils en ont besoin, recrutent des Sud-Africains via le programme de visas de travail H-2A sur dix mois.
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Certes, il vend son soja à des intermédiaires qui pourraient subir le contrecoup des droits chinois, mais la demande de biocarburant pour les avions devrait changer la donne « dans trois ans », espère-t-il.
A vrai dire, Dan Pedersen est moins préoccupé par les droits de douane que par l'évolution des conditions de financement. « Si les taux d'intérêt baissaient, ça nous aiderait pour acheter les veaux », explique-t-il. Faire baisser les taux longs, c'est justement l'objectif que s'est fixé le secrétaire au Trésor, Scott Bessent. Pour l'instant, il n'est pas arrivé à ses fins.
A quelques miles de là, à la ferme Kate Ridge, Lucy veille sur son petit-fils Eddie, qui manie la fourche. « Edward sera la septième génération, avec sa soeur », dit la grand-mère, 66 ans, dont le large visage buriné s'éclaire de fierté.
« Make America Healthy Again »
L'exploitation est bien plus modeste que celle de Dan Pedersen. Il y a moins de 1.000 vaches, du soja et du maïs. Mais ici aussi, on croit aux promesses d'âge d'or de Donald Trump. « Parfois, il faut souffrir pour avoir du plaisir. Nous faisons réellement confiance à cette administration qui sait pourquoi elle fait ce qu'elle fait. Ils voient loin », explique Lucy.
Les partenaires commerciaux de l'Amérique se sont comportés en prédateurs pour les agriculteurs américains, estime-t-elle : « Nous avons été taxés pendant des années, je pense qu'il est temps que ça ait des conséquences. »
Pour autant, Lucy ne cracherait pas sur de nouvelles subventions agricoles : « Nous avons toujours été subventionnés d'une façon ou d'une autre. Nous aimerions tenir sur nos deux jambes, mais on ne contrôle pas les prix. Un jour, je vends mon grain 4,50 dollars le boisseau, trois jours après, c'est 4,75 dollars… Ça a toujours été comme ça », philosophe-t-elle.
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Graham Christensen aussi espère que les pouvoirs publics vont intervenir pour aider les exploitations familiales, mais d'une autre façon : en luttant contre les monocultures agricoles qui exposent les agriculteurs au commerce international, et en créant un marché national pour une agriculture durable et diversifiée.
Le quadragénaire désabusé par des démocrates qui « négligent la ruralité » se dit « très populiste, mais pas comme Trump ». Il place ses espoirs dans Robert Kennedy Junior. Le secrétaire à la Santé a promis de rendre l'Amérique en meilleure santé, avec une alimentation moins industrielle. « Make America healthy again », Maha, c'est une promesse qui parle, ici.
Tout en conservant leur job, Graham et son frère Matt ont repris l'exploitation, qui ne leur permet pas encore de se rémunérer. Ils veulent faire de leur exploitation un modèle d'agriculture qui n'épuise pas les sols et n'empoisonne pas les hommes.
Le « foutoir » au Congrès
« Cette administration a fait de l'agriculture régénérative un pilier du futur, et veut rebâtir des marchés agricoles domestiques », salue Graham Christensen, en cheminant le long de plants de noisetier. « Mais ça me semble un peu imprudent de balancer des droits de douane et de faire sauter nos marchés d'exportation avant d'avoir créé l'infrastructure nationale ».
Il se méfie aussi parce que la secrétaire à l'Agriculture, Brooke Rollins, une avocate texane qui a fondé le think tank America First Policy Institute, « n'est pas Bobby Kennedy Junior » et « a un peu l'air d'une amatrice ».
Le mouvement Maha tiendra-t-il ses promesses ? « J'attends de voir ce que ça donne d'ici à deux ans », se réserve-t-il, déplorant « le foutoir au Congrès », qui n'a toujours pas voté la loi de programmation agricole quinquennale, avec plus de deux ans de retard. Comme Dan et Lucy, Graham souscrit à la sagesse paysanne, et pense qu'il faut savoir attendre. Mais les fermiers ne se morfondront pas indéfiniment. Donald Trump va devoir leur montrer des résultats.
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