La stratégie du Trésor a fonctionné à plein régime sous la politique monétaire accommodante de la BCE, avec des primes d'émission rapportant chaque année entre 10 et 30 milliards d'euros.
La stratégie du Trésor a fonctionné à plein régime sous la politique monétaire accommodante de la BCE, avec des primes d'émission rapportant chaque année entre 10 et 30 milliards d'euros. (Photo Shutterstock)
Publié le 29 juin 2025 à 17:00Mis à jour le 30 juin 2025 à 09:08
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Une petite musique s'invite aux discussions sur le déficit français : une baisse des recettes expliquerait la dérive actuelle. Sa cause ? La baisse des charges. Le recul des recettes est en effet avéré depuis 2022, et si la baisse des charges en était vraiment le point de départ, pourquoi alors se focaliser sur la dépense de l'Etat ?
En réalité, il s'agit d'un artifice comptable dont nous sortons péniblement. Les tensions budgétaires actuelles ne sont que l'effet retardé d'un passé dispendieux.
Le principe repose sur la technique d'assimilation des Obligations Assimilables du Trésor (OAT). L'Etat peut créer de nouvelles souches ou renforcer des émissions existantes. Comme les échéances sont concentrées autour des mois d'avril et d'octobre, on privilégie souvent le renforcement de souches existantes. Prenons un exemple simple : en avril 2017, l'Etat souhaite emprunter à dix ans. Le taux de référence du marché est alors de 1 %. Il pourrait émettre une nouvelle OAT avec un coupon de 1 %, allégeant ainsi la charge d'intérêts future. Mais il choisit de rouvrir une souche 2027, déjà émise avec un coupon de 4 %. Sur le marché, cette obligation cote 125 % du nominal.
Comptablement, l'Etat inscrit 100 de dette supplémentaire, mais encaisse 125, l'écart de 25 étant enregistré en « prime d'émission » dans les recettes de trésorerie. En contrepartie, il devra payer chaque année un coupon de 4 %, bien supérieur aux taux du marché. Autrement dit, une recette immédiate contre une charge future. La stratégie de l'Agence France Trésor (AFT) a fonctionné à plein régime sous la politique monétaire accommodante de la BCE. Les primes d'émission ont rapporté chaque année entre 10 et 30 milliards d'euros, soit en moyenne plus de 1 % du PIB. Dans le même temps, la baisse continue des taux a réduit la charge annuelle d'intérêts dans les mêmes proportions. En 2019, par exemple, l'Etat a encaissé 21,4 milliards d'euros de primes d'émission et économisé 17,4 milliards sur les intérêts par rapport à 2012. Soit un effet d'aubaine cumulé de 38,8 milliards d'euros. Cela représente 1,6 % du PIB, qui ont permis de ramener le déficit à un « honorable » 3 %, contre près de 4,6 % sans ces effets favorables - et cela dans une période de croissance solide.
Le retournement monétaire des banques centrales face à l'inflation a mis fin à cette parenthèse historique. Les taux des BTF sont passés de -0,67 % en 2021 à +3,76 % en 2023. Les OAT à dix ans, longtemps proches de zéro, dépassent désormais 2,5 %. Conséquence directe : la charge d'intérêts est passée de 28 milliards d'euros en 2020 à 58 milliards en 2024. Dans le même temps, les primes d'émission se sont évaporées. Les dépenses augmentent, les recettes de trésorerie chutent : l'effet ciseau dégrade mécaniquement le déficit.
Rétrospectivement, les primes d'émission n'ont jamais résorbé le déficit structurel. Elles ont seulement permis à l'Etat de financer son train de vie de manière plus discrète. Mais lorsque la marée des taux bas se retire, le pays apparaît bien nu. La fin de cette « parenthèse enchantée monétaire » oblige à présent l'Etat à arbitrer entre hausses d'impôts et réduction des dépenses, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint. Avec une démographie désormais en berne, l'équation ne s'annonce pas plus simple demain.
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