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En amont de l'UNOC-3, Emmanuel Macron a annoncé vouloir “limiter l'activité” des chaluts de fond dans certaines zones des aires marines protégées françaises.
Le sujet est central pour la protection des océans.
Mais l'efficacité de ces zones conçues pour assurer une conservation pérenne des écosystèmes marins fait débat.
Trois lettres pour un enjeu fort autour de la protection de l'océan. Alors que la troisième conférence de l'ONU sur l'océan (UNOC-3) s'ouvre lundi 9 juin, les Aires marines protégées (AMP) font partie des sujets centraux dans les discussions. Pour preuve : à deux jours de l'ouverture du sommet, Emmanuel Macron a annoncé, samedi 7 juin, dans un entretien pour Ouest-France, vouloir “limiter l'activité” des chaluts de fond dans certaines zones des aires marines protégées (AMP) françaises.
Cette annonce faisait partie des déclarations attendues en amont de l'UNOC. Car les aires marines protégées sont un enjeu important pour la protection des océans. Cette appellation regroupe les zones océaniques conçues pour préserver la biodiversité d'un site et y gérer durablement les activités humaines. Selon le dernier rapport 2024 de Protected Planet (nouvelle fenêtre), 8,4% de l'océan est aujourd'hui protégé par ce dispositif, représentant une surface d'environ 29.028.224 km².
Cette superficie correspond à 17,79% des eaux nationales des États, et 1,18% des eaux internationales. Les AMP ont connu un important développement ces dernières années, avec une surface de l'océan bénéficiant de ces protections multipliée par 15 depuis 1993, date à laquelle la Convention sur la diversité biologique (CDB) est entrée en vigueur, selon les chiffres de l'Union internationale pour la conservation de la Nature (UICN), organisme qui fait référence dans ce domaine. Mais de quoi parle-t-on vraiment ? TF1info vous explique.
Une AMP, qu'est-ce que c'est ?
Selon la définition donnée par l'UICN, une aire marine protégée est “un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d'assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés”. Elles sont classées depuis 2006 en fonction du niveau de protection mis en place, de la protection “minimale” à la protection “intégrale” qui exclut de ces zones toute activité “extractive ou destructive” et vise à minimiser “tous les impacts émanent d'activités que l'AMP peut gérer”. Un classement établi de façon non contraignante, chaque État étant libre de déterminer un niveau de protection pour ses AMP.
Le plus haut niveau selon les standards de l'UICN concerne aujourd'hui 2,8% de l'océan. Mais il est essentiellement dû à la déclaration, par plusieurs pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie ou le Canada, de très grandes AMP. “Les 20 plus grandes constituent ainsi la majorité de la couverture mondiale des aires marines protégées”, pointe l'organisation sur son site.
Qu'est-ce que ça protège ?
Les AMP ne protègent pas toutes la même chose. Selon les zones, elles ont pour vocation la protection des oiseaux, la préservation des habitats marins ou encore la sauvegarde des mammifères marins. “Elles sont généralement choisies pour couvrir des 'zones d'intérêt' du fait de leur importance pour le maintien des populations de différentes espèces sensibles” comme les baleines et les dauphins ou les oiseaux marins ou migrateurs, pointe Lénaïck Menot, chercheuse à l'Ifremer sur le site de l'organisme (nouvelle fenêtre). Elles peuvent aussi prévoir “la protection de certains habitats rares et fragiles, peuplés d’espèces sédentaires comme les coraux, les éponges et les herbiers marins, qui sont souvent vulnérables aux activités humaines”, poursuit-elle.
Pourquoi elles font débat en France ?
La France, deuxième plus grand domaine maritime mondial, est particulièrement concernée par cette question. Le territoire compte d'ailleurs deux des 10 plus grandes aires marines protégées au monde : le parc naturel de la mer de Corail en Nouvelle-Calédonie et la Réserve naturelle des Terres australes françaises (TAAF) depuis son extension en 2017. Ces deux zones cumulées représentent à elles seules près de 11% de la superficie mondiale des AMP.
Selon les chiffres de l'Ifremer, la France compte au total 565 AMP, couvrant 33% de sa Zone économique exclusive (ZEE). Ces espaces ont de multiples appellations : Parcs nationaux (Port-Cros, Calanques, Guadeloupe), Parc naturels Marins (Iroise, Golfe du Lion, Mayotte…), réserves naturelles (Bouches de Bonifacio), Parcs Naturels (Mer de Corail)… Au total, le Code de l’environnement prévoit 11 typologies de protection (nouvelle fenêtre). Et leur niveau de protection est au cœur des critiques de la part de scientifiques et d'organisations de défense des océans. Car Paris a défini lui-même ses critères de protection, créant les “zones de protection forte”.
Carte des AMP en France métropolitaine - Office Français de la Biodiversité
Selon le décret publié en 2022, une ZPF en France est ainsi une “zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce, de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d'une protection foncière ou d'une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées”. Soit l'équivalent, dénoncent les ONG et certains chercheurs, du niveau de protection le plus bas défini par l'UICN.
Si dans certaines zones toute activité est interdite, elles concernent principalement des espaces très éloignés de toute terre habitable. La majorité des aires définies autour de l'Hexagone, elles, accueillent toujours des activités considérées comme néfastes pour l'environnement : l'extraction de sable et surtout le chalutage de fond. Selon les chiffres, seuls 0,01% de la zone Atlantique-Manche-mer du Nord est en protection forte et 0,1% de la Méditerranée, dont la Réserve naturelle nationale de Cerbère-Banyuls, dans les Pyrénées-Orientales, exemple de réussite dans le domaine. On peut aussi citer le parc national de Port-Cros, l'une des plus anciennes Aire Marine Protégée établies en Méditerranée qui a vu revenir une importante biodiversité, dont le retour mérou, avec une population passée, par exemple, de 40 à près de 1.000 individus en quelques années.
Pourquoi le chalutage de fond est au cœur des débats ?
Si les activités de mouillage, notamment en Méditerranée avec les massifs de posidonie, ou l'extraction de sable font partie des activités en cause dans la préservation des AMP, c'est bien le chalutage de fond qui cristallise les tensions. Les Aires marines protégées en France font partie des plus concernées par cette activité : celle du talus du Golfe de Gascogne est la plus chalutée en Europe, juste devant celle du Banc des Flandres, qui accueille régulièrement des “méga-chalutiers” venus y pêcher, par exemple, du hareng.
“Dans les eaux européennes, le chalutage est désormais interdit au-delà de 800 mètres de profondeur. Néanmoins, une part significative de l'activité de chalutage et de dragage se déroule encore dans les aires marines protégées en France”, constate Clara Ulrich, chercheuse à l'Ifremer. Selon les chiffres du Comité Scientifique, Technique et Économique des Pêches (nouvelle fenêtre) (CSTEP), qui demandent à être affinés selon les spécialistes, environ un tiers des jours de mer et un quart de la valeur des débarquements français des arts traînant de fond (des bateaux de plus de 12 mètres) proviennent des AMP.
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Si les ONG de défense des océans demandent l'interdiction de cette activité dans les zones protégées, avec plusieurs actions en justice lancées ces dernières années (nouvelle fenêtre), la question est complexe. “La France s'est tendu un piège en faisant de très grandes aires marines protégées un peu partout, mais peu protégées”, pointe auprès de TF1info Joachim Claudet, chercheur au CNRS. L'interdiction du chalutage de fond porterait ainsi un coup important aux pêcheurs artisanaux français qui utilisent cette technique. Par ailleurs, l'interdiction de la pratique dans ces grandes AMP pourrait “entraîner un déplacement de l'effort de pêche vers d'autres zones, augmentant la pression sur les écosystèmes non protégés”, pointe Clara Ulrich d'où la nécessité de réfléchir en profondeur sur ces questions.
De leur côté, les organisations de pêche dénoncent un “faux procès” fait aux professionnels. Dans un communiqué commun, l'Union des Armateurs à la Pêche de France (UAPF) et l'Association Nationale des Organisations de Producteurs (ANOP) estiment que “la notion d'AMP a été dévoyée” et demandent une “gestion au cas par cas” qualifiant “de dérive inacceptable” le fait de “pointer les pêcheurs comme destructeurs de l'océan”.
Le Comité National des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CNPMEM) (nouvelle fenêtre) demande, lui, que “la mise en place d’aires marines protégées soit réfléchie en prenant en compte la globalité des mesures existantes, les particularités de la zone et en gardant à l’esprit les limites de son efficacité”. Une approche au cas par cas également défendue par l'Ifremer et par le gouvernement français qui prône des “aires marines protégées à la française”. Lors de ses annonces, Emmanuel Macron a d'ailleurs assuré qu'un travail “très précis” avec des scientifiques et les pêcheurs avait été réalisé pour aboutir à une “cartographie qui fait l’objet d’un consensus”, et qui sera présentée par la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher.
Comment ça se passe à l'étranger ?
Si la France est souvent qualifiée de “mauvais élève” dans le domaine des AMP, elle n'est pas la seule. Selon Le Guide des AMP (nouvelle fenêtre), sur les 100 plus grandes aires marines protégées au monde, qui représentent près de 90% de la couverture déclarée, un quart n'est pas mis en œuvre et un tiers est incompatible avec la préservation de l'océan. Le document avance que “beaucoup manquent de réglementations ou de capacité de gestion et/ou autorisent des activités à fort impact”. Une étude publiée par le CNRS confirme cette donnée (nouvelle fenêtre), pointant que “plus d'un tiers des AMP autorise des activités industrielles telles que la pêche commerciale à grande échelle, principale cause de la perte de biodiversité dans les océans, normalement incompatible avec la conservation marine”.
Par ailleurs, selon les études, un tiers seulement de ces AMP est hautement ou intégralement protégée. En Europe, où l'UE vise à protéger 30% de ses eaux dont 10% en protection stricte (nouvelle fenêtre), l'évaluation montre que 11,4% des eaux nationales des États membres se trouvent dans des AMP mais seules 0,2% bénéficient d'une protection intégrale ou haute. “La plupart de ces AMP autorisent des activités industrielles, 86% n'offrant que des avantages minimes, voire nuls en matière de conservation”, pointe encore le document.
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À l'inverse, on compte quelques “bons” élèves en la matière : l'Afrique du Sud, par exemple, qui a pour but de protéger 10% de ses eaux d'ici à 2036. L'an passé, 41 AMP avaient été créées pour 5,4% des eaux continentales protégées, des aires “mises en œuvre ou gérées activement” avec 70% de leur superficie intégralement ou hautement protégée, selon le Guide des AMP. Au Canada, la politique récemment mise en place semble également porter ses fruits, avec 14% de ses eaux protégées, même si la plupart le sont faiblement. “Sur les 18 AMP analysées, seules sept bénéficient d'une protection solide, tandis que d'autres manquent de mesures de protection suffisantes”, pointe le document.
Face à ces données, et alors que la mise en œuvre de ces aires marines est un outil clé pour atteindre l’objectif fixé par les Nations Unies de protéger au moins 30% des océans d’ici à 2030, les scientifiques proposent de ne plus prendre en compte les AMP dont le niveau de protection est inconnu ou insuffisant, d’étendre les aires marines protégées à l'ensemble des écosystèmes marins et de ratifier le traité international de protection de la haute mer en y incluant seulement les AMP offrant un niveau de protection élevé.
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