Industrie lourde
Interview
« Le pire qui puisse arriver, c'est que les patrons partent en silence investir ailleurs » : la dernière sommation du patron de France Industrie
Face à une Europe jugée trop lente et inefficace, le président de France Industrie Alexandre Saubot, exhorte à une révision des politiques industrielles. Les patrons européens, désabusés, réclament des mesures concrètes pour contrer la concurrence chinoise et américaine, et éviter un déclin industriel irréversible.
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Alexandre Saubot, président de France Industrie.
Alexandre Saubot, président de France Industrie. (Stephane Audras/REA)
Par Matthieu Quiret
Publié le 26 mai 2025 à 06:15Mis à jour le 26 mai 2025 à 06:31
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Dans une enquête publiée ce lundi par le BCG, 80 % des patrons s'attendent à un déclin irréversible de l'Europe si elle ne se ressaisit pas face aux agissements de la Chine et des Etats-Unis. Alexandre Saubot explique que l'inquiétude des patrons vire progressivement à la désillusion face l'action trop lente et inefficace des institutions européennes pour relancer la compétitivité des entreprises et les protéger contre la concurrence déloyale.
Dans quel état d'esprit se trouvent les patrons aujourd'hui ?
Il y a une désillusion certaine. Les dirigeants d'entreprises ont fait valoir leurs griefs de façon modérée pendant le premier mandat d'Ursula Von der Leyen car les effets négatifs de cette politique étaient limités à court terme. Mais l'absence d'écoute et l'effet cumulatif des mesures ont changé les choses.
Nous avons aussi espéré de nouveaux équilibres issus du plan de simplification avec la révision de la CSRD ou du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) par exemple mais ce premier paquet omnibus a été une vraie déception. Des signes positifs ont été donnés ces derniers jours par Emmanuel Macron qui, lors de Choose France, a appelé l'Europe à se réveiller, et a réclamé, avec Friedrich Merz, l'abrogation de la CS3D, la directive européenne sur le devoir de vigilance.
Pourquoi leur opinion se radicalise-t-elle ?
L'inquiétude s'est exacerbée avec les annonces du président américain. L'Europe a longtemps eu un regard équilibré sur la Chine, un nouveau concurrent commercialement agressif, fort de ses soutiens publics, mais aussi un marché en forte croissance riche d'opportunités.
Aux Etats-Unis, il y a trois opérateurs télécoms contre 40 en Europe, Il nous est donc plus difficile de peser face au Gafam.
Mais le ralentissement économique de la Chine a changé la donne, l'offensive de leurs industriels est devenue plus marquée, dans les panneaux solaires, la chimie, la mécanique, l'acier, etc. Cette offensive va s'amplifier encore si le marché américain se ferme davantage aux produits chinois suite aux dernières initiatives de l'administration Trump.
Les patrons insistent sur la nécessité de constituer de gros champions européens. L'Europe s'est quand même engagée à assouplir sa doctrine anti-concentration…
Les règles anti-concentration européennes ont été élaborées dans les années 1960. L'époque a complètement changé : le Japon, la Chine, les Etats-Unis, la Corée ont créé des champions mondiaux. Les entreprises ne cherchent pas à réduire la protection du consommateur européen ou à constituer des monopoles, mais les règles dans ce domaine doivent évoluer profondément.
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Aux Etats-Unis, il y a trois opérateurs télécoms contre 40 en Europe, Il nous est donc plus difficile de peser face au Gafam. Le projet de rapprochement dans les satellites soumis à Bruxelles par Airbus, Thales et Leonardo va être un premier test.
L'Europe est-elle condamnée au déclin ?
Il faut reconnaître que certaines choses ont bien évolué en Europe. La commission regarde depuis deux ou trois ans avec plus de considération les dossiers de concurrence déloyale qui lui sont soumis. Mais comme les procédures n'ont pas évolué, l'exécution n'est pas économiquement efficace avec un temps d'instruction trop long et des niveaux de droits souvent insuffisants.
Le plan acier par exemple est, sur le papier, une bonne réponse aux demandes de la sidérurgie européenne mais le calendrier de mis en place est très incertain.
Le pire qui peut arriver, c'est ce qu'a connu la France pendant la première phase de désindustrialisation à la fin du siècle dernier.
Prenez l'accord de libre-échange avec l'Amérique latine, le Mercosur. Pourquoi suscite-t-il tant d'inquiétudes alors qu'il est porteur de nombreuses opportunités pour beaucoup de secteurs en particulier dans l'industrie ? Parce que, fort de leur expérience récente, ils ne croient plus à la capacité de l'Europe à faire respecter aux contreparties les normes qu'elle impose à ses propres entreprises, à faire notamment appliquer de vraies clauses miroirs.
Le pire qui puisse arriver, c'est ce qu'a connu la France pendant la première phase de désindustrialisation à la fin du siècle dernier : des patrons qui se lassent de ne pas être entendus, qui ne croient plus en un projet de réindustrialisation en France et en Europe et qui, progressivement, partent en silence investir ailleurs.
Matthieu Quiret
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