Photo d'illustration.
Elle est un événement emblématique de la commune. La foire aux chevaux de Chénérailles, l’une des plus grosses du département, est ancrée depuis 1902 dans le paysage rural de la Creuse. Organisée deux fois par an, chaque deuxième dimanche de mai et d’octobre, elle accueille une grande diversité d’équidés – chevaux de trait (percherons, ardennais, comtois, bretons, etc.), chevaux de loisirs, poneys, ânes, mulets – et de nombreux stands. Si une partie des chevaux est destinée à la filière de viande équine, la majorité d’entre eux sont des chevaux de loisirs. Ce rendez-vous attire un public hétérogène, certaines personnes viennent parfois de loin pour acheter, d’autres simplement pour vendre ou bien admirer les animaux.
Maltraitance ou diffamation ?
Alertée par un habitant local, une membre de l’association animaliste FUTUR s’est rendue sur place. Camille Bari, qui se définit elle-même comme enquêtrice, a filmé des images dans lesquelles elle dénonce des actes de maltraitance. « Si les chevaux n’étaient pas tous en état de malnutrition sévère, leur entretien laissait néanmoins à désirer, explique-t-elle. Mais certains avaient des problèmes visibles, notamment au niveau des sabots et l’organisation des espaces générait du stress. Beaucoup de bruits, d’agitation, des hennissements, les chevaux étaient paniqués. » La vidéo publiée sur les réseaux sociaux a cumulé des dizaines de milliers de vues. On y voit une succession de séquences avec notamment un cheval dans un abattoir à la fin. Ceci afin de dénoncer la filière de viande équine.
« Il y a aussi eu des coups de bâton qui ont été portés aux animaux, commente l’activiste de l’association animaliste. J’ai pu voir également trois chevaux, dont un cheval massif qui était enfermé dans un box exigu avec deux poulains, leur provoquant des blessures. J’ai pu alerter des éleveurs mais je n’ai vu aucun organisateur, ni de vétérinaires. »
« Aucun cheval vendu à Chénérailles ne part directement à l’abattoir. Une fois l’animal acheté, il devient la propriété de l’acheteur qui en décide son devenir ».
Thierry Jamot (président de la foire)
Des accusations qui ont provoqué l’ire des organisateurs et du maire de la commune. « Contrairement à ce qu’affirme l’association, un vétérinaire est systématiquement présent sur place, mandaté par la Direction des services vétérinaires (DSV), veut déjà rappeler Thierry Jamot, président de la foire. Et cette foire est un lieu de dialogue et de transmission où les réalités du monde agricole peuvent être partagées sans filtre, ce qui explique aussi la présence de groupes militants qui viennent acheter des animaux sans doute pour les replacer… » Lui, comme le maire de la commune, Alexandre Verdier, s’oppose toutefois vigoureusement à la vidéo tournée et à l’usage qui en a été fait. Le maire insiste aussi sur la rigueur du dispositif sanitaire en place pendant la foire. « Trois niveaux de contrôle sont mis en œuvre : d’abord à l’entrée, où les identités des chevaux sont vérifiées?; ensuite à l’intérieur du foirail, par des bénévoles expérimentés, souvent agriculteurs, qui confirment la concordance entre les documents et les animaux?; enfin, des vétérinaires contrôlent l’état de santé des chevaux (température, sabots, état général). Ce processus vise à garantir un haut niveau de sécurité et de bien-être animal. »
Il insiste également sur le fait que certaines séquences intégrées aux vidéos ne sont pas liées à l’événement local et proviennent d’autres lieux. Il nie catégoriquement l’existence d’un abattoir équin à Chénérailles comme le suggère la vidéo. Puis Thierry Jamot d’ajouter : « Aucun cheval vendu à Chénérailles ne part directement à l’abattoir. Une fois l’animal acheté, il devient la propriété de l’acheteur qui en décide son devenir ».
Un sujet sociétal
Pour dénoncer ces images qu’ils estiment « diffamantes » pour l’image de la foire et de la commune, Thierry Jamot a déjà déposé plainte pour diffamation tandis qu’Alexandre Verdier s’apprête à le faire lui aussi.
Au final, si cette foire de Chénérailles symbolise l’attachement à une tradition rurale et représente une vraie économie, elle soulève des questions sur l’avenir de la filière équine et notamment sur la place de la viande chevaline dans l’alimentation et les considérations éthiques liées à l’abattage des chevaux. « Aujourd’hui, les chevaux sont de plus en plus perçus comme un animal de compagnie, et la majorité de ceux qui sont vendus dans ces foires partent à l’export, notamment vers l’Italie et le Japon, avance Camille Bari. Il faut, à l’instar du chien, qu’il soit définitivement exclu de l’alimentation humaine en France. C’est pourquoi on veut informer le grand public, modifier le regard porté sur ces événements et remettre en question les pratiques qui y sont associées. »
« Ce que je déplore, c’est qu’on associe la boucherie, l’abattage, de manière générale, à de la maltraitance. »
Alexandre Verdier (maire de Chénérailles)
Un débat sur lequel Thierry Jamot a un avis tranché. Il insiste sur une distinction essentielle selon lui. « Le cheval n’est pas reconnu comme un animal de compagnie, mais comme un animal de rente. C’est cette classification qui autorise le commerce et permet la continuité de l’élevage. En d’autres termes, sans débouchés économiques – notamment via la filière viande – la reproduction et la conservation des races équines seraient en danger. » Selon lui, vouloir abolir l’élevage de chevaux à des fins alimentaires, c’est remettre en cause toute une filière. « Si on perd la possibilité de les vendre, on perd la possibilité de les faire naître », affirme-t-il.
Le maire de la commune, quant à lui, tient à faire une distinction claire : il dénonce l’amalgame entre l’abattage et la maltraitance animale. « Ce que je déplore, c’est qu’on associe la boucherie, l’abattage, de manière générale, à de la maltraitance. Je trouve que c’est un raccourci complètement stérile. Que les personnes soient contre la consommation de la viande de cheval, c’est une chose. C’est louable. Chacun a le droit de penser ce qu’il veut, a sa propre opinion. Mais employer des images manipulées pour faire passer ce message nuit à la qualité du débat. Ça desserre leur action et c’est contre-productif. » Un débat qui, pour l’instant, n’a pas pu avoir lieu. En somme, la foire aux chevaux de Chénérailles demeure un évènement emblématique du territoire mais illustre toutefois les tensions entre héritage culturel, évolutions économiques et préoccupations éthiques.
Une consommation de viande équine en déclin
Malgré son succès populaire, la foire aux chevaux de Chénérailles reflète les défis économiques auxquels est confrontée la filière équine. La consommation de viande de cheval en France est en déclin depuis plusieurs décennies. En 2021, seulement 7 % des foyers français en consommaient, contre plus de 20 % en 2011 (*). Cette baisse s’accompagne d’une diminution du nombre de boucheries chevalines en France, passées de plus de 1.000 en 2005 à moins de 300 en 2022. Ce recul s’explique par des facteurs culturels, éthiques et sanitaires. Le cheval est perçu par beaucoup comme un compagnon plutôt qu’un animal de consommation. Paradoxalement, la France exporte une partie de sa production vers des pays comme l’Italie, l’Espagne ou le Japon, tout en important de la viande chevaline pour répondre à la demande résiduelle. (*) Source : Institut français du cheval et de l’équitation.
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