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L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Merci Trump !
Grâce soit rendue à Donald Trump d’avoir montré à l’Europe, avec son vice-président J. D. Vance, qu’il n’y avait plus rien à attendre de l’Amérique dans un proche avenir. Les États n’ont pas d’amis, seulement des intérêts, disait de Gaulle. Soit. Si le président américain n’avait qu’une logique mercantiliste, il y aurait encore de l’espoir. Mais non, on sait depuis l’affreux sketch de Washington avec Volodymyr Zelensky que c’est beaucoup plus grave, notre Vieux Continent ne pouvant dépendre de rodomonts qui ne carburent qu’à l’hubris.
Fort avec les faibles et faible avec les forts, Trump a mis au jour, depuis sa réélection, les limites de ce que l’Europe croit être le parapluie américain : il est troué. Il est vrai que la tectonique des plaques géopolitiques est à l’œuvre depuis longtemps : à l’exception de Joe Biden, les derniers présidents américains ont cessé de « calculer » l’Europe, et, de ce point de vue, l’actuel n’est que le continuateur de Barack Obama. En bien pire, il va de soi. Indigne était le harcèlement de cour d’école auquel il s’est livré devant les caméras, avec Vance, contre Zelensky, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche.
Après avoir volé à Ronald Reagan son célèbre slogan électoral « Make America Great Again », Trump tente de se faire passer pour l’héritier du 40 e président des États-Unis (1981-1989), celui qui a ressuscité l’Amérique et porté les coups fatals à l’Empire soviétique. Il n’en est que l’avatar frankensteinien, grisé et narcissique. La preuve, oubliant face à Poutine le vieux précepte reaganien de « la paix par la force », il a très mal engagé la négociation sur l’Ukraine en donnant, d’entrée de jeu, raison à la Russie, qu’il entend arrimer à son pays pour son face-à-face avec la Chine. S’il n’est pas le caniche de Poutine, il a au moins été son « idiot utile » et n’a fait qu’accroître ses exigences.
Il n’y a pas une minute à perdre : la France et l’Europe ne peuvent plus continuer à laisser leur destin stratégique à l’Otan sous la tutelle de présidents américains qui regardent ailleurs, vers le Pacifique, ou qui, comme l’actuel, sont sans doute prêts à nous considérer demain comme une variable d’ajustement ou une monnaie d’échange avec les ex-empires qui, à nos portes, rêvent de s’agrandir, le soviétique et l’ottoman. Comment avoir confiance ? Pour foutraque qu’il soit, Trump n’est certes pas un va-t-en guerre, mais il n’est apparemment tenu par aucun principe, et, à ses yeux, pour paraphraser la fameuse formule de Clausewitz, la paix n’est que la continuation de la prédation par d’autres moyens.
Pour Emmanuel Macron, c’est le moment, c’est l’instant. Il peut jouer un rôle historique en jetant les bases de la défense européenne, l’un de ses vieux dadas. Par quelle absurdité notre Vieux Continent devrait-il dépendre indéfiniment des États-Unis s’il était attaqué ? Contrairement aux dirigeants européens, Giorgia Meloni exceptée, notre président a su nouer une relation d’estime réciproque avec Trump, ce qui n’est pas rien. Et, dans cette affaire, il dispose d’un allié de poids en la personne du démocrate-chrétien Friedrich Merz, le futur chancelier allemand, dont il faut saluer le courage politique : longtemps aligné, comme son pays, sur les positions américaines, il a dit ses doutes sur la volonté des États-Unis de respecter leurs engagements de défense mutuelle et proposé de se mettre sous les parapluies nucléaires français et britannique, les deux ne totalisant encore que 515 têtes nucléaires, presque neuf fois moins que la Russie (4 380).
Ce n’est pas parce qu’on est amis qu’il faut vivre sous le même toit. Il est temps pour l’Europe de s’affranchir de l’Amérique pour devenir, enfin, elle-même. Rien à voir avec le projet, mort-né, de la CED, qui fit polémique dans les années 1950 avant d’être rejeté par notre Assemblée nationale : il regroupait les armées de notre continent sous la houlette du commandant en chef de… l’Otan, nommé par les États-Unis. La défense européenne façon Macron était déjà inscrite dans une instruction aux armées du général de Gaulle en 1964 : « La France devrait se sentir menacée dès que les territoires de l’Allemagne fédérale et du Benelux seraient violés. » L’Europe est apparemment prête à entrer dans l’âge adulte.
Un grand merci, mister Trump ! §
illustration : sylvie Faur pour « le point »
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