https://www.lesechos.fr/economie-france/social/letude-qui-relance-lobjectif-du-plein-emploi-2151906
Depuis le départ de Gabriel Attal de Matignon et encore plus avec le coup d'arrêt sur le marché du travail qui a suivi, l'objectif du plein-emploi en 2027 est passé aux oubliettes. Ni Emmanuel Macron, qui en avait fait un objectif cardinal de son second quinquennat, ni François Bayrou, ni la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, ne se hasardent à évoquer un taux de chômage ramené à 5 %, ou même de 6 %, alors qu'il stagne autour de 7,3 % actuellement.
Le plein-emploi reste pourtant un objectif atteignable, assure une étude du Conseil d'analyse économique - le CAE, un centre de réflexion rattaché à Matignon - publiée ce mardi. A condition de changer le thermomètre pour mieux cibler les crédits budgétaires.
Quantité de travail plutôt que de taux de chômage
« L'objectif d'atteindre le plein-emploi est généralement présenté comme une politique visant à réduire le taux de chômage […]. Mais cette approche peut être très réductrice dans la mesure où certaines politiques publiques augmentent la participation au marché du travail sans réduire le chômage et, à l'inverse, il est parfois possible de réduire le taux de chômage sans véritablement augmenter l'emploi », avancent ses auteurs.
Plutôt donc que sur le taux de chômage, mieux vaut se focaliser sur la quantité de travail, un thème cher au chef de l'Etat, et au « socle commun ». Se basant sur plus de cinquante ans de comparaison internationale, les travaux montrent qu'en France, le nombre d'heures travaillées pour les 16-74 ans, après avoir beaucoup baissé de 1968 à 1994, est remonté doucement depuis pour atteindre 990 heures par an en 2023, contre 1.070 heures en Allemagne, 1.100 heures au Royaume-Uni et 1.270 heures aux Etats-Unis.
Avec 100 heures de plus outre-Rhin et 300 outre-Atlantique, il y a donc d'importantes marges de manoeuvre pour rattraper les écarts « qui peuvent avoir leur importance dans le cadre des débats budgétaires actuels », des retraites notamment, poursuit l'étude.
Point notable : si on travaille moins globalement en France, ce n'est pas parce que ceux qui ont un emploi font moins d'heures que leurs voisins européens (le cas des Américains, avec beaucoup moins de congés est à part), mais parce que beaucoup moins d'actifs sont en emploi. « Contrairement à une idée largement répandue, ce n'est donc pas le nombre d'heures de travail des personnes en emploi qui explique le plus faible nombre d'heures travaillées en France par rapport à ses voisins européens, mais bien le taux d'emploi plus faible », assure le CAE.
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Face à ce constat, la solution n'est donc pas, comme certains le préconisent régulièrement, de réduire le nombre de jours de congé, de déréguler les heures de travail ou de défiscaliser les heures supplémentaires. « Non pertinent », juge le centre de réflexion. Au contraire, pour remonter le taux d'emploi il faut agir en priorité là où il est le plus faible par rapport aux autres pays, c'est-à-dire aux deux extrémités de la pyramide des âges, sachant que le problème remonte aux années… 1960.
Pour les jeunes, la comparaison internationale est frappante : même si l'on sait qu'ils sont moins nombreux à travailler pendant leurs études, et malgré l'apport de la réforme de 2018 de l'apprentissage, les 16-29 ans, une fois diplômés, mettent beaucoup plus de temps en France à s'insérer professionnellement. Sans oublier que les décrocheurs - les fameux Neet (ni en emploi, ni en études, ni en formation) - sont plus nombreux chez nous.
Seniors : un retard rattrapé en partie
Côté 60-64 ans, la France a rattrapé son retard, mais en partie seulement, sous l'effet des réformes des retraites depuis celle de François Fillon. Sauf à revenir dessus, ce qui sortira du conclave retraites est donc peu susceptible d'arrêter le mouvement même si la question du maintien des seniors dans l'emploi reste à régler, malgré le récent accord entre patronat et syndicats.
Il faut mettre le paquet en priorité sur les jeunes, et ensuite les peu qualifiés
Camille Landais, chercheur
Un autre gisement pour augmenter le taux d'emploi ressort de l'étude, celui des peu qualifiés, souvent des jeunes : le nombre total d'heures de travail de ces actifs s'est effondré de 40 % en trente ans, une situation spécifique à la France dont les causes ne sont pas vraiment connues. Elles ne viennent en tout cas pas du coût du travail ou du SMIC, ni de la générosité de l'assurance-chômage, assure le CAE. Dernier vivier identifié enfin, celui des femmes, dont la participation au marché du travail a très fortement augmenté avec le temps mais qui s'essouffle désormais.
« Ce qui m'a vraiment frappé dans cet exercice, c'est d'abord les jeunes, pour lesquels il faut mettre le paquet en priorité, et ensuite les peu qualifiés avec une main-d'oeuvre qui ne trouve pas à se faire employer », résume Camille Landais, l'un des auteurs de l'étude, chercheur à la London School of Economics. Reste maintenant à en tirer les conséquences en termes de politiques publiques. « En France, on met pas mal d'argent sur des politiques publiques à très faibles rendements », ajoute-t-il. Rendez-vous en avril avec une étude du CAE sur le système éducatif en France et son arrimage au marché du travail.
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