Elaborée par Locke et Montesquieu, la théorie de la séparation des pouvoirs plaide en faveur de la distinction claire des différentes fonctions de l'Etat, donc de l'autorité, afin de limiter l'arbitraire et d'empêcher les abus liés à l'exercice de leurs prérogatives.
Outre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, le quatrième pouvoir - celui de la presse et de l'information en général - a en outre vocation à servir de régulateur supplémentaire. Pour notamment faire en sorte que l'accès à la connaissance, l'esprit critique et le droit d'inventaire offrent au grand public l'opportunité de disposer des données et avis lui permettant d'agir de la manière la plus éclairée possible. Et cela dans les différentes dimensions de l'existence des individus qui composent la communauté nationale : en tant qu'électeurs, pour exprimer un vote qui reflète au mieux leurs convictions, dans leurs actes d'achat comme consommateurs, lors de l'exercice de leurs activités professionnelles ou pour déterminer leurs choix sur des sujets de société.
Pas d'autonomie sans mémoire ni expertise
L'information de qualité est un bien rare qui exige de réunir principalement deux savoir-faire essentiels de la part de ceux qui sont chargés de la produire et de la diffuser. Ces deux prérequis sont l'expertise et la mémoire. Notamment dans un environnement technologique qui rend désormais accessible à tous la capacité de publication, longtemps érigée au rang de privilège réservé à une minorité.
Lire aussi :
Biden dénonce l'oligarchie naissante derrière Trump
ENQUÊTE - Des muscles, de la sueur et des cryptos : ces mâles qui reprennent le pouvoir avec Trump
Aujourd'hui, les journalistes de métier côtoient les membres du monde académique ainsi que des particuliers qui prennent l'initiative d'afficher leurs analyses sur des plateformes numériques. La connaissance approfondie du sujet traité, afin d'en saisir les tenants et aboutissants théoriques et pratiques, permet d'éviter de sombrer dans le désormais trop répandu effet Dunning-Kruger.
Surconfiance
Un sentiment de surconfiance qui conduit le moins familier d'une matière complexe à prendre des postures et jeter des anathèmes inenvisageables pour les vrais spécialistes. Tandis que la mémoire, c'est-à-dire l'aptitude à comparer et à mettre en perspective des affirmations du moment avec des annonces ou des circonstances du passé, est de nature à relativiser certaines proclamations de nouveauté, ou de prétendues révolutions qui, finalement, n'en sont pas.
L'information de qualité est un bien rare qui exige de réunir principalement deux savoir-faire essentiels : l'expertise et la mémoire.
Cette appropriation de la mémoire informationnelle, avec la capacité de rendre partiellement ou totalement indisponibles des pans entiers de la connaissance de faits antérieurs , est un levier de pouvoir sur les êtres comparable au plus fourni des arsenaux. George Orwell nous avait prévenus : « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » La faculté des algorithmes, délibérément paramétrés selon les critères politiques de leurs concepteurs et financeurs, à valoriser une information ou, au contraire, à invisibiliser des sources ou des documents jugés problématiques par les mêmes, tend à colorer les orientations et thèmes du débat public.
Lire aussi :
CHRONIQUE - Peut-on être raisonnable sans être contraint ?
Cette maîtrise de l'agenda éditorial s'exerce de manière indolore pour les consommateurs des médias sociaux, puisque l'abondance de publications peut donner une illusion de complétude de la connaissance. Suscitant l'application de la loi de Gresham au tissu informationnel : quand les fausses nouvelles finissent par chasser les vraies informations. Il ne s'agit certainement pas d'attribuer des mandats de gardien de la Vérité à quelques-uns, mais bien de donner à chacun les moyens de disposer et d'entretenir l'autonomie de ses prises de décision. Un moyen salutaire de donner raison à l'étymologie en rendant du pouvoir au peuple, donc en renforçant la démocratie. Elle en a besoin.
Nicolas Arpagian est vice-président du cabinet HeadMind Partners.
you see this when javscript or css is not working correct