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Pourquoi les importations de gaz russe repartent à la hausse en Europe
Alors que le contrat de transit entre l'Ukraine et Gazprom prend fin au 31 décembre, certains pays européens refusent toujours de rompre le lien. En partie en raison des prix.
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Le contrat de transit liant l'Ukraine à Gazprom doit s'arrêter au 31 décembre.
Le contrat de transit liant l'Ukraine à Gazprom doit s'arrêter au 31 décembre. (Maxim SHIPENKOV/Epa/Maxppp)
Par Nicolas Rauline
Publié le 30 déc. 2024 à 07:40Mis à jour le 30 déc. 2024 à 07:41
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L'année 2024 n'aura pas été celle de la fin du gaz russe en Europe. Bien au contraire : pour la première fois depuis l'invasion de l'Ukraine, le Vieux Continent aura, cette année, importé plus de gaz russe que l'année précédente. Sa part totale dans les importations européennes (par gazoduc et liquéfié) est passée de 14 % en 2023 à 18 % en 2024. Sur certains mois, elle a même frôlé les 20 %.
C'est là tout le paradoxe de la politique énergétique européenne. Malgré l'objectif affiché d'éliminer tout gaz russe de sa consommation en 2027, certains Etats refusent toujours de s'en passer, son prix demeurant assez nettement inférieur à celui du gaz naturel liquéfié (GNL), en provenance des Etats-Unis en particulier.
Et Moscou en profite pour mettre au jour les dissensions européennes et tenter de charmer ceux qui pourraient être sensibles à l'argument prix. « Le gaz russe est plus attractif en termes de prix et de logistique », affirmait cette semaine dans une interview à la chaîne russe Rossiya 24 le vice-Premier ministre Alexander Novak.
Gazoduc et GNL rebondissent
L'année 2024 aura clairement marqué un tournant - ou une pause - dans la stratégie européenne : alors que, les deux années précédentes, l'Europe avait fortement réduit sa dépendance au gaz russe, elle a recommencé cette année à faire appel à ce produit bon marché (+19 % par gazoduc sur les trois premiers trimestres selon les chiffres du Bruegel Institute). Les derniers contrats semblent les plus difficiles à éliminer et la proximité de certains gouvernements avec Vladimir Poutine, en Hongrie et en Slovaquie, n'aide pas.
Le GNL, lui-même, n'échappe pas au phénomène. En 2022 et 2023, l'Europe s'était surtout tournée vers les Etats-Unis pour diversifier ses sources d'approvisionnement. Cette année, les importations de GNL russe ont bondi en Europe à leur plus haut niveau historique : de 15,2 millions de tonnes en 2023, elles sont déjà passées à plus de 17 millions de tonnes à quelques jours de la fin de l'année 2024, selon les chiffres de Kpler.
Transit par l'Ukraine en suspens
Les négociations sur le contrat liant l'Ukraine à Gazprom sont le symbole de ce jeu de poker menteur. L'accord se termine ce 31 décembre, et tout le monde se prépare à l'arrêt des flux, qui représentent encore cette année environ 5 % des approvisionnements européens de gaz (contre 11 % en 2021).
Le gaz russe qui utilise cette route est essentiellement destiné à la Slovaquie, les autres pays ayant cessé de s'approvisionner par ce biais. La Hongrie importe toujours du gaz russe, mais celui-ci passe par la Turquie et le gazoduc TurkStream. La Pologne fait, elle, appel au GNL.
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Mais un exemple est particulièrement frappant : celui de l'Autriche. Mi-novembre, Gazprom a cessé ses approvisionnements après une décision de justice favorable à l'opérateur local OMV. La fin du plus vieux contrat gazier russe en Europe a fait flamber les prix pendant quelques jours… Mais le gaz a continué de circuler et les volumes restent aujourd'hui quasiment à leur niveau d'avant. Un mystérieux trader fait désormais passer le gaz russe vers l'Autriche, empochant au passage un précieux pactole.
Les positions affichées depuis des mois n'ont pas ou peu varié. Kiev affirme ne pas vouloir prolonger le contrat de transit et se dit prêt à renoncer à des commissions représentant 0,5 % de son PIB. Seule inflexion ces derniers jours : une prolongation serait possible si le paiement à la Russie était différé après la fin de la guerre.
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L'Union européenne, elle, veut poursuivre la réduction de sa dépendance au gaz russe, mais un arrêt immédiat aurait des conséquences importantes sur les prix. Le calcul européen est qu'en 2027 le marché du GNL retrouvera des marges de manoeuvre avec des projets importants mis en service aux Etats-Unis, au Qatar et en Afrique. De quoi diversifier les approvisionnements.
D'ici là, les importations russes ne devraient donc pas cesser, qu'elles passent ou non par l'Ukraine. La solution azérie, qui consistait à utiliser le gaz d'Azerbaïdjan en remplacement du gaz russe - et d'exporter le gaz russe, en échange, vers l'Azerbaïdjan, semble enterrée : cela n'aurait pas réglé le problème du financement de la guerre russe.
Nouvelle hausse des prix ?
Restent dès lors deux solutions sur la table : trouver d'autres acheteurs (traders, consortium de pays européens) pour le gaz russe qui continuerait de transiter par l'Ukraine, ou compenser ces pertes par du GNL, avec le risque d'une nouvelle hausse des prix en Europe.
Selon l'institut Bruegel, toutefois, l'impact pourrait être limité. Le think tank estime que les stocks européens étaient suffisamment remplis à l'entrée de l'hiver pour que d'autres nations, comme la République tchèque, puissent réexpédier du gaz vers leurs voisins. Une partie des flux pourrait aussi être absorbée par TurkStream, une autre par les terminaux de GNL récemment mis en service en Italie, en Croatie, en Grèce ou en Turquie.
Dans tous les cas, le nouveau commissaire européen à l'Energie, Dan Jorgensen, a promis de dévoiler l'an prochain son plan pour parvenir à se passer des hydrocarbures russes. Il sera peut-être temps, alors, de siffler la fin de la récréation…
Nicolas Rauline
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