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-====== Le Monde – Comment la gauche peut-elle combattre l’extrême droite ? Les pistes de deux philosophes pour contrer l’essor des nationalismes ====== https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/08/comment-la-gauche-peut-elle-combattre-l-extreme-droite-les-pistes-de-deux-philosophes-pour-contrer-l-essor-des-nationalismes_6383954_3232.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default 
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-https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/08/comment-la-gauche-peut-elle-combattre-l-extreme-droite-les-pistes-de-deux-philosophes-pour-contrer-l-essor-des-nationalismes_6383954_3232.html 
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-DÉBATS 
-Comment la gauche peut-elle combattre l’extrême droite ? Les pistes de deux philosophes pour contrer l’essor des nationalismes 
-Michaël Foessel et Bruno Karsenti analysent, dans un entretien au « Monde », les ressorts de la montée des mouvements xénophobes, remettant en cause l’Etat de droit – de Marine Le Pen à Donald Trump –, et la façon dont les progressistes peuvent leur résister. 
-Propos recueillis par Nicolas Truong 
-Propos recueillis par Nicolas Truong 
-Propos recueillis par Nicolas Truong 
-Le 08 novembre 2024 à 18h15, modifié à 12h52 
-Lecture 15 min Read in English 
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-Un gouvernement sans majorité parlementaire, un premier ministre membre d’un parti de droite qui a refusé le front républicain, une gauche divisée et à l’écart du pouvoir après être arrivée en tête aux élections législatives, une extrême droite en arbitre et en embuscade qui impose ses thématiques dans l’espace public : l’actuelle confusion politique conduit les intellectuels progressistes à tenter de comprendre cette période de brouillage idéologique. 
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-Philosophe et professeur à l’Ecole polytechnique, Michaël Fœssel vient de publier, avec le sociologue Etienne Ollion, Une étrange victoire. L’extrême droite contre la politique (Seuil, 192 pages, 19 euros), ouvrage qui décrypte la façon dont « la langue de l’extrême droite a contaminé le débat public ». Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, le philosophe Bruno Karsenti a publié Nous autres Européens (PUF, 200 pages, 16 euros), un dialogue avec le sociologue Bruno Latour au cours duquel il élabore une philosophie politique de l’Europe aux prises avec les « néonationalismes ». Membre de la revue K, publication en ligne dont les articles portent sur « les juifs, l’Europe et le XXIe siècle », il a également dirigé La Fin d’une illusion (PUF, 216 pages, 16 euros), ouvrage collectif sur « Israël et l’Occident depuis le 7 octobre [2023] ». Pour Le Monde, les deux penseurs de l’émancipation confrontent leurs analyses sur la recomposition politique en cours et lancent des pistes de réflexion pour sortir de l’ornière réactionnaire. 
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-Le « front républicain » qui s’est manifesté lors des élections législatives (30 juin et 7 juillet) n’est-il qu’un sursaut en forme de sursis avant l’accession de l’extrême droite au pouvoir en France ? 
-Bruno Karsenti : Le grand danger actuel en Europe et dans le monde, c’est celui de la montée des nationalismes les plus agressifs. C’est un énorme échec. Nous pensions que le conflit politique pertinent était celui entre le progressisme et le néolibéralisme, et l’on voit partout des réactions nationalistes se déployer. Les élections européennes [le 9 juin] ont confirmé cette tendance, mais elles ont enclenché une dynamique positive, et c’est ce que je voudrais qu’on voie, parce que c’est sur cela qu’on peut bâtir. Le taux de participation élevé était en soi une bonne nouvelle : c’est bien entre la nation et l’Europe que les questions devaient être posées et se jouer, si l’on veut contrer le nationalisme. Ces élections furent un moment de repolitisation, lors duquel l’opinion pouvait enfin prendre conscience de l’impossibilité de prolonger le libéralisme de l’ère Macron et de la nécessité de la recomposition d’une gauche où la social-démocratie reprend corps. 
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-Lire aussi 
-« Nous autres Européens », une philosophie politique de l’Europe 
-Michaël Fœssel : Il me semble qu’il faut d’abord noter la mauvaise nouvelle des élections européennes : en France, l’extrême droite a réalisé son score électoral le plus important de toute l’histoire [31,37 %]. Certes, le vainqueur des élections législatives qui ont suivi, c’est le front républicain. Les électeurs de gauche et ceux du centre se sont retrouvés dans un même refus. En dépit de tout ce qui a été dit sur le fait que la mémoire historique est absente du jugement politique, qu’on ne combat pas l’extrême droite avec des arguments moraux, les électeurs ont refusé que le Rassemblement national [RN] gouverne le pays. Mais le soulagement a été de courte durée et le sursaut risque de n’être qu’un sursis. Il est surprenant d’observer que le président a confié le pouvoir à un premier ministre, issu d’un parti, Les Républicains [LR], qui n’a précisément pas appelé au front républicain. C’est un nouveau brouillage dans les coordonnées politiques issues de 1945. 
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-Quelle est la nature de l’extrême droite contemporaine dont le Rassemblement national est, en France, l’une des expressions ? 
-M. F. : Le nationalisme actuel est essentiellement réactif. C’est un nationalisme de repli. L’ethnodifférentialisme qui valorise les différences culturelles l’a emporté sur le dogme des hiérarchies raciales : il ne s’agit plus d’affirmer la supériorité d’une nation mais seulement de revendiquer sa légitimité à survivre à la mondialisation ou à l’« islamisation ». Le RN ne défend plus la supériorité ontologique de la France, mais seulement son droit à maintenir sa singularité dans un monde bouleversé. C’est pourtant une même réaction négative à la modernité qui explique cette résurgence. L’extrême droite affirme qu’il existe une inégalité de fait que les individus ne peuvent pas rattraper. Il ne s’agit pas de valoriser la concurrence ou le mérite comme le fait la droite, mais d’affirmer le caractère inassimilable de certaines personnes en raison de leur naissance ou de leur foi. En ce sens, le nationalisme trahit la vocation universelle de la nation telle qu’elle s’est élaborée au XVIIIe siècle. 
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-B. K. : Le nationalisme a en effet trahi la notion moderne de nation. La déviation ne date pas d’hier, elle remonte à la fin du XIXe siècle, quand le mot a commencé à être dérobé à la gauche. Mais le conflit d’appropriation était encore très vif dans l’entre-deux-guerres. La nation au sens moderne est fondée sur trois grands principes. Le premier, c’est la citoyenneté qui affirme l’égalité de tous les citoyens au sein d’une même communauté politique. Puis, il y a cette idée, qui ne va pas du tout de soi, d’une autolégislation non dogmatique, où la société se donne à elle-même sa loi et ne la reçoit pas d’en haut, et donc s’ordonne à la laïcité et à la critique. Ce point, le nationalisme le déforme, en réintroduisant du dogmatisme identitaire là où il a été destitué. 
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-Lire aussi 
-« L’étrange victoire », anatomie du discours réactionnaire 
-Enfin, ce qu’on oublie toujours, et ce que le nationalisme s’empresse de récuser, c’est qu’une nation moderne sait qu’il y a d’autres sociétés nationales qui se transforment dans le même sens qu’elle, et l’intègre là aussi à son fonctionnement. C’est paradoxal, mais la nation implique à son principe ce que Marcel Mauss [1872-1950] appelait l’ « inter-nation ». Internationalisme et « nationalisation » moderne [processus par lequel les nations se font et refont en permanence] vont ensemble. Egalitaires, critiques et autonomes, ces nations s’ouvrent forcément à des niveaux d’intégration supérieurs. Comme l’est justement l’Europe. 
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-Pourquoi non seulement le mot « nation », mais aussi le terme « république » semblent être passés de la gauche à la droite ? 
-B. K. : C’est un fait, une partie de ceux qui invoquent la république tombent du côté réactionnaire, qu’ils en aient conscience ou non. Le mot « république » est souvent un socle un peu vague, et parfois le fer de lance d’un néonationalisme. La déviation, ici, naît lorsqu’on fait primer l’idée de moi commun sur l’idée de chose commune, de res publica. C’est dans la façon dont des individus – appartenant souvent à des groupes différents, qui composent toute société – s’occupent de problèmes qu’ils reconnaissent comme leur étant communs que se forge leur identité commune. Et pas l’inverse. Ce n’est pas parce qu’ils partageraient déjà, par nature ou par une histoire faite nature, une substance commune, qu’ils traitent les problèmes en commun. 
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-Ce point « républicain », le socialisme le comprend mieux que n’importe quelle autre idéologie parce qu’il ne part pas – comme le libéralisme – des actions individuelles pour les faire converger, mais des problèmes sociaux et environnementaux ressentis de toutes parts pour articuler une action commune. 
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-M. F. : La synthèse républicaine est une tentative pour démocratiser la nation. L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme affirme que « la souveraineté réside essentiellement dans la nation ». Mais l’article 2 dit que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ». Il y a donc une hiérarchisation : l’association politique est plus vaste que la nation et ne saurait s’y réduire. Car la nation a aussi un sens prépolitique, renvoyant à une identité de naissance (c’est l’étymologie du terme). C’est cette conception identitaire et non démocratique de la nation que valorise le nationalisme. Aujourd’hui, l’extrême droite a réussi le tour de force d’identifier la nation au sens culturel à la république : dans son discours, la république ne renvoie plus à la « chose de tous », mais à la chose de « quelques-uns », par exclusion des supposés intrus. 
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-C’est également la droite gouvernementale qui, par la voix du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, considère que « l’Etat de droit, ça n’est pas intangible ni sacré ». Un nouveau seuil idéologique est-il en train d’être franchi ? 
-M. F. : C’est une fuite en avant qui oppose la souveraineté populaire à l’Etat de droit, comme le fait Viktor Orban en Hongrie. La nation, cela peut être la République, mais aussi la France du sang et du sol. Cette confusion s’exprime à la faveur de la disparition de la droite authentiquement libérale du champ politique français. Qu’aurait pensé Raymond Aron d’une phrase comme celle prononcée par le ministre de l’intérieur ? L’idée que le droit limite l’Etat et même la volonté populaire provient du libéralisme politique, une doctrine qui n’est plus réellement défendue aujourd’hui. Il est étonnant d’entendre des libéraux expliquer que l’Etat de droit, c’est le gouvernement des juges et faire ainsi valdinguer Montesquieu ! 
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-Lire aussi le décryptage 
-L’Etat de droit, un principe attaqué par une partie de la droite 
-Ce concept est d’ordre constitutionnel : il signifie que l’Etat est soumis dans ses décisions au respect des libertés publiques et individuelles : car il y a des principes qui se situent au-dessus des lois. C’est pourquoi la préférence nationale, inscrite dans la proposition de référendum d’initiative partagée des députés et sénateurs Les Républicains, a été déclarée anticonstitutionnelle en avril, et que le RN et LR ont alors proposé de changer la Constitution. L’idée selon laquelle la souveraineté du peuple, donc la démocratie, est indifférente au respect du droit est profondément nocive. 
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-B. K. : Lorsqu’on parle de l’Etat, il importe de rappeler qu’il est un organe social. C’est pourquoi, dans la modernité, il marche avec les droits sociaux et les politiques publiques, et pas seulement comme une puissance repliée sur sa souveraineté. L’extrême droite, tout autant que les néolibéraux, oppose des blocages ou des régressions à ce mouvement de socialisation de l’Etat, et c’est à cela qu’il faut parer. L’Etat de droit – la hiérarchie des normes, l’égalité devant la loi, le respect des droits… – n’est rien d’autre que le portrait juridique d’une société nationale où les droits des individus s’affirment d’autant plus que progressent leurs droits sociaux, dans l’éducation, la santé, la culture, le travail… Bref, ce débat sur l’Etat de droit est mal posé, tant qu’on néglige le fait que l’Etat de droit est au fond un Etat social des droits, lesquels sont aussi bien individuels que collectifs. 
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-Michaël Foessel et Bruno Karsenti. ERWAN FAGES 
-L’essor de l’extrême droite n’est-il pas une réaction à toute une série de bouleversements anthropologiques qui concernent tout autant les domaines écologiques, intimes ou géopolitiques, et qui se manifeste dans son aversion pour le « wokisme » ? 
-M. F. : Une nation demeure démocratique dans la mesure où elle est douée d’autoréflexivité. Le nationalisme bloque cette autoréflexivité et la fige. Son opposition viscérale au « wokisme », une attitude dont on peut souligner certaines dérives, est une contestation de la réflexivité qu’une société démocratique adopte sur elle-même. Dans son rapport aux femmes, aux minorités sexuelles ou aux populations anciennement colonisées, il s’agit de se poser la question des torts et des injustices. Prenons le fameux « on ne peut plus rien dire » : d’après l’extrême droite, avant on pouvait dire parce qu’on était entre nous. « On », ce sont des hommes plutôt blancs, « plus », on avait une liberté de parole qui nous permettait notamment de répandre des préjugés racistes ou sexistes. En réaction à ce que Michel de Certeau appelait à propos de mai 1968 les « prises de paroles », il s’agit de restaurer d’anciens privilèges discursifs. 
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-Lire aussi 
-Comment les idées d’extrême droite se sont banalisées dans le monde intellectuel français 
-Quelle est la responsabilité de la gauche dans l’essor de l’extrême droite ? Et quel rôle peut-elle jouer à présent dans la recomposition politique ? 
-M. F. : La première responsabilité incombe à la gauche gouvernementale, qui a certes adopté le mariage homosexuel sous la présidence de François Hollande, mais a également proposé la déchéance de nationalité et voté le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, un dispositif fiscal sans contrepartie sociale réelle. L’effondrement du PS a joué un rôle important dans le succès du RN dont l’électorat était en attente de solidarités et dont la désillusion fut totale. Les bons scores relatifs du Nouveau Front populaire [NFP] nous rappellent d’abord que la gauche n’est pas morte en France. Ces partis sont-ils à la hauteur de cette responsabilité ? C’est une autre question. 
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-B. K. : De mon point de vue, la responsabilité actuelle de la gauche, c’est d’éviter sa dérive sociale-libérale d’un côté, populiste de l’autre, et de refonder une véritable social-démocratie. Cette dénomination, surtout en France, est galvaudée et mal comprise. Ses sources allemandes et autrichiennes sont oubliées, ce qui est dommage. On verrait mieux alors que pour se relancer, le socialisme doit reprendre les concepts de nation et d’internationalisme, seule parade au RN. 
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-Lire aussi 
-La social-démocratie, un modèle politique dans la tempête 
-Or le populisme de gauche joue sur toutes les mauvaises cordes : l’indignation facile, la haine des élites, la critique négative et, au bout du compte, le repli sur des identités, censées condenser l’appartenance au « vrai peuple », tout aussi figées que celles que flattent les nationalistes. Etre dans la posture de l’insoumission ne fait pas une politique. Il est plus facile de dénoncer le mal, au besoin en le grandissant, que de définir les normes guidant la construction d’un bien qui soit celui de la société tout entière, toutes classes comprises. 
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-M. F. : On s’est ému de ce que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale [formée après l’élection présidentielle de 2022] puis le NFP aient repris pour l’essentiel le programme de La France insoumise [LFI], mais c’est parce qu’il n’y en avait pas d’autre ! Quoi que l’on pense de ce programme, il est structuré autour de deux pôles consistants : l’éco-socialisme et, ce qui est tout aussi urgent dans le contexte actuel, une transformation profonde des institutions de la Ve République. 
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-On s’attendrait à ce que les réformistes proposent un contre-programme pour que la gauche marche sur ses deux pieds. Toutefois, force est de constater que les autres partis de gauche n’ont pas travaillé pendant les dernières années, peut-être parce que la perspective de la prise de pouvoir leur paraissait chimérique. Que LFI s’adresse à ce qu’il est convenu d’appeler la « France des tours » autrement que comme à des populations reléguées dans des « territoires perdus de la République » n’a rien de choquant. Ce qui est problématique, ce sont les moyens rhétoriques mis en œuvre dans cette adresse et la tentation de vouloir susciter un nouveau peuple alternatif à l’ancien que l’on abandonne au vote d’extrême droite. 
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-B. K. : Il y a à mes yeux un déficit sociologique structurel à la gauche de la gauche. Les sciences sociales dont elle se réclame d’ailleurs sont exclusivement critiques, et les connaissances qu’elles produisent sont indexées sur des situations de domination postulées plutôt que décrites dans leurs ambivalences. Un effet direct est la dénégation de la violence des dominés – violence qui s’incarne dans le débat public derrière la thématique de l’« insécurité » brandie par la droite et l’extrême droite –, véritable point aveugle de ces approches. C’est ce qui fait aussi que dans ces disciplines, quand elles restent sous l’emprise d’un schéma critique qui se veut radical, la question de l’intégration est en général négligée, jugée réactionnaire et oppressive. Or elle fait partie des fondamentaux des sciences sociales. 
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-N’est-ce pas justement le rapport dominants-dominés qui fracture la gauche autour du conflit israélo-palestinien ? 
-B. K. : Ce conflit rend évident ce point aveugle, justement. Il arrive que les dominés, objectivement victimes d’injustice, soient aussi les auteurs d’une violence intolérable. Et il arrive que la gauche, non seulement ne veuille pas la voir, mais aille plus loin et la cautionne. C’est ce qui s’est produit, en Europe et ailleurs, immédiatement après le 7-Octobre. L’événement a ainsi été le catalyseur d’un antisémitisme spécifique à la gauche, dont l’essor a commencé au début des années 2000. 
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-Lire aussi la tribune 
-« Une partie de la gauche radicale a disséminé un antisémitisme virulent et subverti les valeurs qu’elle prétend défendre » 
-Pour commencer à voir clair sur ces questions, il faut faire l’effort de comprendre que l’antisémitisme est une question qu’on ne peut dissoudre dans ce qu’on appelle génériquement le racisme. Car il a l’un de ses ressorts profonds dans la haine des dominants, et dans le fait de se sentir dominé par des puissants fantasmés. Il faut alors se poser franchement la question : qu’est-ce qui alimente l’antisémitisme de gauche, le plus souvent dénié par ses porteurs, et source de violences parfois inouïes ? Ce n’est pas l’islam, contrairement à ce que disent les conservateurs, et cela même si l’islamisme fait incontestablement partie du tableau. C’est plutôt une critique de la domination sortie de ses rails. Or combattre cet antisémitisme-là, depuis la gauche, est devenu extrêmement difficile. C’est pourtant le passage obligé pour qu’elle puisse vraiment se relancer. 
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-M. F. : L’aveuglement d’une partie de la gauche dans ce conflit provient selon moi d’un court-circuit dans la pensée décoloniale. Celle-ci envisage souvent Israël comme un Etat intrinsèquement colonial. Or Israël n’est pas un Etat colonial, mais un Etat qui pratique la colonisation en Cisjordanie. La nuance est essentielle et n’entrave aucune critique, sinon celle de la légitimité de cet Etat à exister. C’est pourquoi on peut reconnaître cette légitimité et dire aussi qu’il est intolérable de suspecter d’antisémitisme toute forme de soutien aux Palestiniens. 
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-Lire aussi l’entretien 
-Eva Illouz et Derek Penslar : « La gauche ne sait plus parler de ce qui se passe au Proche-Orient » 
-Condamner sans appel les actes de violence dont sont capables les dominés ne doit pas conduire à minorer la brutalité d’une riposte qui, à Gaza ou en Cisjordanie, a sacrifié le droit de la guerre à la lutte contre le terrorisme. Le fait de porter un keffieh ou de brandir un drapeau dans une manifestation n’est pas, en soi, un acte antisémite. Mais la cause palestinienne doit tenir compte du fait que le Hamas s’est hélas substitué à l’Organisation de libération de la Palestine. C’est effectivement une défaite du projet national démocratique au profit d’un idéal théocratique. Pour la gauche, cela devrait impliquer un soutien aux civils et une critique des dirigeants actuels qui les instrumentalisent. 
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-B. K. : Le schème réducteur de la domination, en s’amplifiant, a mis les juifs et Israël du côté des mauvais objets. L’effet majeur, c’est que le conflit israélo-palestinien n’est plus perçu pour ce qu’il est : une lutte entre deux prétentions nationales dont l’une s’est réalisée et l’autre pas. C’est là que s’enchaînent les déformations en cascades. Faute de savoir comment aborder des mouvements de libération nationale, on a fait du sionisme un colonialisme de type racial. 
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-Le camp progressiste peut-il espérer se ressouder dans un projet d’émancipation commun ? Et comment pourrait se structurer une gauche du XXIe siècle ? 
-B. K. : Raphaël Glucksmann, dans sa campagne pour les élections européennes, a très justement mis l’accent sur le soutien à Kiev. Mais surtout, il a compris que l’Ukraine a été pour l’Europe une épreuve décisive pour se mettre au clair sur le genre de politique qui nous définit, contre un nationalisme russe qui nous est complètement opposé. L’Ukraine défend son autonomie, son projet national n’est pas nationaliste et réactionnaire, mais démocratique et tourné vers l’Europe. 
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-Or, c’est précisément à la gauche de reprendre et d’expliciter ce sens émancipateur et progressiste du processus de nationalisation, dans un contexte d’intégration internationale toujours plus poussée. C’est précisément ce qu’elle fait en mettant au premier plan les services publics, les droits sociaux et environnementaux, la justice fiscale, l’intégration des minorités. Des épreuves que nous avons traversées depuis 2020, la gauche peut sortir plus forte, parce qu’elle a les moyens de montrer que la réponse nationaliste à la crise profonde du libéralisme que nous traversons est une impasse. 
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-M. F. : Je ne crois pas que la social-démocratie puisse porter un projet capable de résister au nationalisme qui vient. Elle désigne une solution politique qui, comme le marxisme des origines, est trop solidaire de l’âge industriel et d’une volonté de partage des richesses fondé sur l’impératif de croissance productive. 
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-Ce n’est pas un hasard si la social-démocratie s’est abîmée dans le social-libéralisme : elle s’est ajustée à un capitalisme de plus en plus financiarisé. C’est plutôt ce dernier qui devrait être au centre de la critique, surtout à un moment où il menace de se renationaliser sous une forme agressive, comme le montre le programme de Donald Trump. Rompre avec une telle évolution demeure un impératif pour la gauche puisque les espoirs d’adaptation ont fait long feu. Une synthèse authentiquement progressiste pour notre temps devrait travailler à envisager comme indissociables justice sociale, urgence climatique et nouvelles aspirations démocratiques. 
- 
-Quelle est la signification de la victoire de Donald Trump ? Et quelles leçons de cette défaite les progressistes peuvent-ils tirer ? 
-M. F. : A la différence de ce qui se passe en France, Trump n’a en rien lissé son discours. Au contraire, il a, plus encore qu’en 2016, assumé de porter la haine du droit au cœur des institutions. Son coup de force est d’avoir réussi à faire se rencontrer son désir de revanche de milliardaire méprisé par l’establishment libéral et le ressentiment des classes moyennes en voie de déclassement social et symbolique. Il a gagné dans le registre de l’angoisse, parvenant à convaincre quantité d’électeurs que la menace existentielle qui pesait sur leurs vies résidait dans un mixte d’immigration incontrôlée et de « wokisme ». 
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-L’arrogance d’un certain discours élitiste dénonçant hier les « déplorables », aujourd’hui les « ordures » [comme le président américain, Joe Biden, a semblé appeler les partisans de Trump, mardi 29 octobre], a aussi joué un rôle dans sa victoire. Trump a réussi une sorte d’OPA sur les revendications de fierté émanant des classes laborieuses, et cette fois-ci pas seulement blanches. Partout dans le monde, l’extrême droite a intérêt à présenter le sursaut identitaire comme le seul moyen de salut pour un peuple méprisé par ses gouvernants. 
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-Lire aussi l’enquête : 
-Immigration : tolérance de la société, vote à l’extrême droite, le paradoxe français 
-B. K. : Que la plus grande puissance bascule dans le nationalisme illibéral est catastrophique pour l’ordre mondial. Pour moi, c’est le signe de ce que l’ensemble des mouvements progressistes ont manqué depuis plusieurs décennies : la réponse à donner aux réflexes nationalistes les plus brutaux qui naissent de la dévastation produite par le libéralisme économique, la prise en charge des attentes qui viennent de cette misère politique et morale dans un cadre national où le bien commun retrouve un sens pour tous. 
- 
-Une chose est sûre : ce n’est pas le cosmopolitisme abstrait et l’amplification des droits purement individuels qui y répondront. L’enjeu, pour faire barrage à la vague néonationaliste dont Trump est le champion, c’est de rebâtir en reprenant le problème du monde commun depuis l’échelon des sociétés politiques nationales, où le particulier et l’universel s’articulent. Prenez l’expérience du Covid-19, que nous avons si vite oubliée. Elle n’a pas du tout été un moment nationaliste, tout au contraire, mais un moment de solidarité réelle et novatrice à l’échelle des nations, et de construction internationale. Et souvenons-nous : Trump a directement conduit l’Amérique dans le mur, comme les autres nationalistes l’ont fait ailleurs. 
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-Deux ouvrages pour penser nos temps troublés 
-Une étrange victoire. L’extrême droite contre la politique (Seuil, 192 pages, 19 euros), du philosophe Michaël Fœssel et du sociologue Etienne Ollion, analyse la manière dont l’ascension de l’extrême droite a été facilitée par la « disparition progressive des repères qui permettaient de s’orienter et d’agir dans l’espace politique ». Ainsi de la disqualification de l’opposition entre la droite et la gauche ou de la brutalisation du débat public, qui transforme l’argumentation en polémique. Spécialiste de la philosophie allemande et analyste des dilemmes de la raison progressiste (Quartier rouge. Le plaisir et la gauche, PUF, 2022), Michaël Fœssel poursuit sa réflexion sur les reconfigurations de la démocratie contemporaine et sur les dangers qui pèsent sur elle, comme dans Récidive. 1938 (PUF, 2018). 
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-Nous autres Européens (PUF, 200 pages, 16 euros), du philosophe Bruno Karsenti, est un dialogue mené avec le sociologue Bruno Latour (1947-2022) sur une Europe aux prises avec la crise climatique, les conflits théologico-politiques et les tensions entre l’Est et l’Ouest, dont la guerre en Ukraine est le symptôme le plus tragique. Aiguillé par Bruno Latour, qui lui a appris à « refaire de la politique à la hauteur du présent », Bruno Karsenti prolonge son travail de philosophe des sciences sociales, développant l’idée, émise dans Socialisme et sociologie (avec Cyril Lemieux, EHESS, 2017), selon laquelle le nationalisme est une réaction au libéralisme, mais que seul le socialisme peut réellement contrer par sa conception de la nation comme construction de solidarités. 
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-Nicolas Truong 
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-« L’étrange victoire », anatomie du discours réactionnaire 
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