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Qui aurait pu penser que la remarque d'Erasto Mpemba, jeune lycéen tanzanien des années 1960, allait faire la une des plus grandes revues scientifiques du monde entier soixante ans après ? « Nature », « PNAS », et rien que cette année, pas moins de cinq articles déjà parus dans « Physical Review Letters », la revue de référence numéro un en physique.
Le sujet de ces articles ? L'effet Mpemba quantique. La version quantique du phénomène totalement contre-intuitif que l'adolescent tanzanien a redécouvert par hasard en 1963 lors d'un cours de cuisine : un liquide chaud peut dans certaines conditions geler plus vite qu'un liquide froid. Etonnant, non ?
« Redécouvert », car cet effet qui défie la logique et les lois usuelles de la thermodynamique avait en fait déjà été observé maintes fois depuis l'Antiquité, entre autres par Aristote, mais également par Francis Bacon, René Descartes et bien d'autres éminents observateurs attentifs de la nature.
Un effet déroutant, longtemps ignoré, voire moqué, car difficilement reproductible et, surtout, qui échappe jusqu'à très récemment à toute tentative sérieuse d'explication rationnelle. En 2012, la célèbre Société Royale de Chimie anglaise a même lancé un appel à candidatures pour tenter d'en percer définitivement le mystère…
Un effet quantique qui ne laisse pas de glace
Mais ce qui rend cet effet Mpemba si attirant ces dernières années, c'est que des chercheurs ont montré que non seulement il pouvait être présent dans de très nombreux autres systèmes macroscopiques (milieux granulaires ou magnétiques, polymères, colloïdes, etc.), mais qu'il pouvait également se manifester dans le si désarçonnant monde quantique . Et de façon extrêmement intense, qui plus est.
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Comme le soulignent John Goold et son équipe du Trinity College de Dublin dans un article publié dans « Physical Review Letters » le 4 octobre dernier, certains systèmes physiques, comme des qubits réalisés à partir d'ions piégés par exemple, peuvent en effet, après avoir subi une transformation qui les « réchauffe », se refroidir naturellement de façon exponentiellement plus rapide que s'ils n'avaient pas été chauffés. Dans le paysage énergétique des qubits, la trajectoire la plus courte en temps n'est donc pas nécessairement la plus courte en distance parcourue.
Une découverte majeure lorsque l'on sait à quel point le refroidissement des systèmes quantiques et, plus généralement, le contrôle précis de leur température sont vitaux pour la stabilité des nouvelles technologies quantiques. Au premier lieu desquelles les fameux ordinateurs du même nom.
Mais il y a plus. Car cet effet Mpemba quantique pourrait également aider à comprendre, voire à totalement refonder, un domaine encore largement inexploré : celui de la thermodynamique quantique hors équilibre. Un domaine aussi complexe que passionnant, et en pleine… ébullition.
Charles Antoine est chercheur au Laboratoire de physique théorique de la matière condensée et maître de conférences à l'université Pierre-et-Marie-Curie.
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