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Un monde de solutions
(Toulouse) Ain’t no mountain high enough… Les voix de Marvin Gaye et de Tammi Terrell résonnent plusieurs fois par jour dans le collège des Chalets, pour indiquer le début et la fin des cours. Dans les corridors, les élèves de 11 à 15 ans se mélangent joyeusement au son de la musique.
Narek Sargsyan, 14 ans, est l’un d’eux. Le matin, il part de chez lui, dans La Reynerie, un quartier défavorisé, pour venir à cette école.
Quand on lui demande s’il sait pourquoi il fréquente un établissement situé à une dizaine de kilomètres de sa maison, il répond simplement : « Parce que c’est une bonne école. Elle est réputée. » Narek rêve de devenir « combattant » (il adore les sports de combat), dit qu’il s’est bien adapté à son collège et qu’il a des amis de divers quartiers.
L’idée qui a germé à Toulouse il y a bientôt dix ans paraît presque insensée : pour que les jeunes de différents milieux socioéconomiques se côtoient, deux collèges de quartiers défavorisés ont été progressivement vidés de leurs élèves et l’un d’eux a été carrément démoli. Les jeunes ont été répartis dans une dizaine de collèges plus favorisés de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
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Dans son bureau du conseil départemental de la Haute-Garonne, le vice-président chargé de l’éducation se tient devant une grande carte colorée, qui montre un redécoupage complet de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
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Au fil du temps, explique Vincent Gibert, Toulouse a vu se développer des « quartiers ghettoïsés ».
PHOTO MARIE-EVE MORASSE, LA PRESSE
Vincent Gibert, vice-président du conseil départemental de la Haute-Garonne
On avait des concentrations de population à faible revenu, à faibles ressources, dans les mêmes quartiers, et les établissements étaient la copie de ce qu’était la sociologie du quartier. On le sait, lorsqu’il n’y a pas de mixité de population, il n’y a pas de connaissance de l’autre, pas de partage, pas d’échange, et il y a une capacité à réussir qui est moindre.
Vincent Gibert, vice-président du conseil départemental de la Haute-Garonne
« On s’est dit qu’il fallait trouver des solutions. C’est le plan mixité qu’on a choisi », dit-il. Un « risque » pour un enjeu qu’on jugeait « non négociable ».
Aux grands maux, les grands remèdes
Ce plan mobilise de grands moyens. Les élèves qui viennent des quartiers défavorisés ont des navettes à leur disposition, matin et soir. Dans les collèges qui reçoivent des élèves de milieux défavorisés, les groupes des plus jeunes (en 6e) sont limités à 25 élèves plutôt qu’à 30, comme dans les autres écoles.
PHOTO VALENTINE CHAPUIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Mathieu Bourdel, directeur du collège des Chalets
Le but, c’est de mettre des moyens pour l’adaptation. Les élèves doivent se sentir bien soutenus pour leur entrée au collège.
Mathieu Bourdel, directeur du collège des Chalets
Pour assurer le lien entre les enseignants, les familles et préparer les enfants qui quitteront leur quartier l’an prochain pour intégrer ce collège, une enseignante tient le rôle de « référente mixité sociale ».
Au collège des Chalets, c’est Ingrid Lavoignat, enseignante de français, qui a ce rôle. Elle le reconnaît, tout n’est pas parfait dans le « plan mixité ».
Le « point d’achoppement », c’est le trajet entre la maison et l’école, dit-elle. Il est par exemple difficile de convaincre les parents de venir à l’école pour des réunions, même si le trajet en transports en commun est remboursé.
Pour le reste, elle ne voit que du positif à ce remaniement de la carte scolaire.
Les écoles qui ont été fermées étaient « des collèges-ghettos », dit-elle.
Il y avait très peu d’espoir d’être tiré vers le haut, les résultats n’étaient pas bons. Il y avait des problèmes de vie scolaire, de violence, peu d’ouverture culturelle. On est un collège où il y a beaucoup de projets socioculturels mis en place. [Les élèves] bénéficient de cette ouverture : il y a des sorties au cinéma, au théâtre…
Ingrid Lavoignat, enseignante de français au collège des Chalets et « référente mixité sociale »
« Les élèves ne sortaient pas de leur lieu de vie », confirme Mathieu Bourdel, directeur du collège des Chalets. L’école primaire et le collège étaient, pour beaucoup, à quelques mètres seulement de leur domicile.
Il considère le temps consacré au transport comme « un sas » pour ces élèves qui, avant, rapportaient les problèmes du collège chez eux. Sur les 600 élèves que compte ce collège, environ une centaine viennent de La Reynerie.
PHOTO MARIE-EVE MORASSE, LA PRESSE
Matin et soir, des autobus transportent les élèves des quartiers défavorisés vers le collège des Chalets, dans le quartier du même nom.
Qu’importe, « tout le monde se mélange », dit Elya Taoui, 12 ans. « Mon quartier, c’est très calme, mais La Reynerie, ça peut être un peu moins calme », on y trouve « plus de jeunes avec des motos », dit-elle.
« Ce sont des questions de destins humains »
Avant d’être mis en œuvre, le plan de mixité a été préparé de longue date par de vastes consultations qui ont réuni un millier de personnes. Habitants, parents d’élèves, syndicats, élus, enseignants, principaux, directeurs d’école, associations : plus de 130 réunions ont été tenues.
« Ça n’a pas été facile », dit Vincent Gibert. Il a fallu convaincre les familles des quartiers défavorisés de laisser leurs enfants aller à l’école à l’autre bout de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia, mais aussi convaincre ceux des milieux favorisés d’accueillir ces nouveaux venus.
« Ce sont des questions de destins humains. Il y a beaucoup d’émotions », dit Vincent Gibert, vice-président du conseil départemental de la Haute-Garonne. Il y a eu des discours « parfois violents », ajoute-t-il.
Au collège des Chalets, on a dû convaincre certains parents que leurs enfants n’allaient pas « être tirés vers le bas » par l’arrivée d’élèves de quartiers défavorisés.
PHOTO MARIE-EVE MORASSE, LA PRESSE
Le collège des Chalets, à Toulouse
Des parents « voyaient des problèmes de discipline arriver », dit le directeur Mathieu Bourdel, qui assure que les problèmes de discipline des élèves de son école n’ont rien à voir avec leur quartier d’appartenance.
Encore récemment, des parents ont « montré du doigt » les élèves de la mixité sociale, leur imputant certains problèmes vécus à l’école.
Il suffit de « recentrer le débat », dit le directeur adjoint de l’établissement, Cyril Oury.
Aujourd’hui, difficile de dire quel adolescent vient de quel quartier, affirment les profs à qui l’on parle. Les classes sont hétérogènes et les élèves qui viennent des quartiers défavorisés « ne sont pas de meilleurs ni de moins bons élèves » que les autres, assure quant à elle Agnès Houbin, enseignante d’anglais.
PHOTO MARIE-EVE MORASSE, LA PRESSE
Agnès Houbin, enseignante d’anglais au collège des Chalets
« On ne voit pas la différence », dit-elle.
Elle a choisi de travailler au collège des Chalets pour la mixité sociale qu’on y retrouve.
« L’école n’est pas là que pour apprendre des choses, pour avoir un métier : c’est surtout pour avoir des citoyens éclairés qui connaissent le pays dans lequel ils vivent. Pour ça, il faut comprendre que tout le monde n’a pas exactement les mêmes réalités au quotidien », rappelle Agnès Houbin.
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Un monde de solutions
Le plan mixité était au départ une « expérimentation », mais il est maintenant bien implanté. Si bien qu’on voit des résultats concrets.
« Quand on regarde les taux de réussite au brevet des élèves issus des quartiers populaires qu’on a scolarisés dans d’autres établissements, ils sont bien supérieurs à ce qu’il était dans les établissements qu’on a détruits. La différence est de près de 20 % de réussite en plus », dit Vincent Gibert, vice-président du conseil départemental.
Mais il n’y a pas que les résultats scolaires. Quand ils quittent le collège pour aller au lycée, les élèves du « plan mixité » ont deux options : soit ils vont dans un lycée près de chez eux, soit ils restent dans le quartier de leur collège d’accueil.
Jusqu’ici, sur l’ensemble des élèves issus des collèges qui participent à ce plan, quatre sur cinq ont choisi de rester dans leur quartier d’accueil.
Leurs perspectives s’ouvrent, explique le directeur du collège des Chalets, Mathieu Bourdel. Alors qu’avant, bien des élèves choisissaient certaines formations par dépit ou par manque de choix, des portes se sont ouvertes.
« Ils n’hésitent pas à demander des choses qui leur plaisent », explique Mathieu Bourdel. Ça se vérifie d’année en année, dit-il.
Mais tous ne partagent pas l’enthousiasme du conseil départemental. Enseignant de technologie au collège des Chalets depuis plus de dix ans, Fred Aptel dit que « l’idée est bonne sur le principe », mais que « sur l’application, c’est plus compliqué ».
On les sort du collège dans lequel ils auraient pu se retrouver dans leur quartier, au Mirail. Pour autant, ils y sont toujours, dans leur quartier : ils y habitent, ils y vivent, ils subissent le ghetto. On les sort ponctuellement.
Fred Aptel, enseignant de technologie au collège des Chalets
À la Fédération des conseils de parents d’élèves de la Haute-Garonne (FCPE), on juge que les résultats sont « plutôt positifs ».
« Les questions que ça pose, c’est plus l’accompagnement territorial des élèves et la mobilité qui leur est demandée », dit Béatrice Malleville, présidente régionale de la FCPE.
N’empêche que l’« ampleur du dispositif » et la collaboration entre tous les acteurs concernés retiennent l’attention, en France.
« Aujourd’hui, on a des dizaines et des dizaines de familles qui nous disent combien elles sont contentes d’avoir vu leurs enfants fréquenter le collège le plus favorisé du centre-villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia de Toulouse », conclut-il.
« On y est arrivés », dit Vincent Gibert.
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Un monde de solutions
Qu’en est-il, au Québec, de la mixité sociale ? À Montréal, des données font état d’une réelle homogénéité à certains endroits.
Comme l’a rapporté La Presse récemment, des données du Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal (CGTSIM) montrent que les Québécois dont la langue maternelle est le français sont largement majoritaires dans plusieurs écoles privées, tandis que dans d’autres écoles, un groupe ethnique est nettement prépondérant.
La concurrence entre les réseaux privés, les programmes particuliers et les programmes dits « réguliers » est visible dans les grands centres. À Montréal, les effets du « magasinage » des écoles secondaires se font sentir dans certains quartiers, où les écoles publiques sont boudées. Par exemple, seuls 45 % des élèves qui fréquentent l’école secondaire Georges-Vanier, dans Villeray, vivent dans ce quartier. Lisez l’article « Écoles secondaires de Montréal : de plus en plus homogènes »
Devant ces constats, des groupes ont réclamé, au cours des dernières années, une plus grande mixité sociale dans les écoles du Québec.
Le collectif Debout pour l’école ! a demandé au gouvernement de « prendre les moyens nécessaires pour assurer une plus grande hétérogénéité dans les écoles et dans les classes, en cessant toute forme de sélection fondée sur le rendement scolaire ou sur la capacité de payer des parents », notamment dans la sélection pour les programmes particuliers.
L’ancien ministre de l’Éducation Jean-François Roberge a déjà lui-même estimé que la prolifération des programmes particuliers, assortis de frais facturés aux parents, fragilisait « l’équité sociale » dans les écoles publiques. Depuis, la CAQ a instauré des mesures pour diminuer les frais demandés pour ces programmes, qui peuvent s’élever à plusieurs centaines de dollars par année.
La sélection des élèves selon les notes qu’ils obtiennent n’est toutefois pas interdite.
Effets sur la réussite
Les disparités économiques se font aussi sentir sur la réussite scolaire. En 2022-2023, le ministère de l’Éducation a rapporté que 30 % des élèves du Québec fréquentaient des écoles considérées comme défavorisées.
SOURCE : COMITÉ DE GESTION DE LA TAXE SCOLAIRE DE L’ÎLE DE MONTRÉAL
Carte de la réussite scolaire et de la défavorisation sociale sur l’île de Montréal
« Pour nous, la mixité sociale est une priorité », dit Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’Alliance des profs de Montréal. « On a beaucoup d’élèves qui quittent les écoles du quartier, particulièrement au secondaire, mais aussi au primaire », ajoute-t-elle.
« Ça crée des écoles avec beaucoup d’élèves en difficulté, défavorisés, ou dont le français n’est pas la langue maternelle. Et dans d’autres programmes, on a l’opposé », illustre Mme Beauvais-St-Pierre.
La mixité sociale profite à tous les élèves, soutient-elle.
« Mais ça prend une volonté politique, un gouvernement qui va vouloir qu’on ait une école plus égalitaire, une mixité sociale », dit-elle.
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