26/12/2025/H00:50:19
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Politique
Derrière le budget 2025, la menace d’une crise politique
La préparation du budget de l’Etat pour 2025 ne cesse de prendre du retard. Malgré sa démission, Gabriel Attal va envoyer des « lettres plafonds » aux ministres. Trouver un consensus s’annonce ardu.
Par Denis Cosnard
Par Denis Cosnard
Par Denis Cosnard
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La France aura-t-elle un budget en 2025 ? Pas si sûr. Alors que le gouvernement devrait être en train d’affiner les derniers chiffres après la virgule, la préparation du projet de loi de finances ne cesse de prendre du retard et l’incroyable hypothèse d’un pays sans budget au 1er janvier 2025 ne paraît plus totalement irréaliste. « Aboutir à une impasse et se retrouver sans budget, oui, un séisme de ce type-là est possible », admet Eric Coquerel, président (La France insoumise, LFI) de la commission des finances à l’Assemblée nationale.
« A part deux ou trois fous, personne ne le souhaite, mais le risque existe », confirme son vice-président, Philippe Brun, député (Parti socialiste, PS) de l’Eure. Une menace suivie de près par les marchés financiers, où l’écart de taux entre les rendements français et allemand à dix ans, le fameux « spread », campe à un niveau record depuis la mi-juin, un signe de la défiance des investisseurs envers la France.
Du fait de la crise provoquée par Emmanuel Macron avec la dissolution de l’Assemblée nationale, une première étape-clé dans l’élaboration du budget a déjà été ratée. En principe, les arbitrages politiques sont rendus entre le 1er juin et la mi-juillet, de façon que le gouvernement présente les premières lignes du budget, côté dépenses, « avant le 15 juillet », comme le prévoit la loi organique relative aux lois de finances. Cette année, les arbitrages avaient à peine débuté que la dissolution, annoncée le 9 juin, les a stoppés net.
Pris par les élections législatives puis démissionnaire après les avoir perdues, le gouvernement de Gabriel Attal n’a pas remis au Parlement le document prévu dans les temps. Un mois après la date légale, le texte n’est toujours pas disponible. Bercy évoque sa possible diffusion vers « la fin du mois d’août ».
Gabriel Attal a tranché
Une deuxième étape a tardé elle aussi : l’envoi aux ministères des lettres fixant leurs futurs plafonds de dépenses. Ces lettres, issues des discussions entre Bercy et les différents ministres, sont traditionnellement envoyées par Matignon début août. Cette année, le ministre des comptes publics, Thomas Cazenave, avait entamé le travail en s’entretenant avec ses collègues Stanislas Guerini, ministre de la fonction publique, et Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports, quand la dissolution a tout suspendu.
Depuis, plus question pour le gouvernement démissionnaire de prendre des décisions politiques. Pour ne pas bloquer la très complexe mécanique budgétaire, Thomas Cazenave et son ministre de tutelle, Bruno Le Maire, chargé de l’économie et des finances, ont néanmoins préparé des « lettres plafonds » et les ont transmises à Matignon, fin juillet. Elles conduiraient à une baisse des crédits de l’Etat en 2025, pour « tenir la trajectoire » de redressement des comptes publics, précise l’entourage de Bruno Le Maire.
Après avoir hésité, Gabriel Attal a finalement annoncé, mercredi 14 août au soir, qu’il allait signer ces lettres et les adresser « dans les prochains jours » aux ministères. Objectif, faire en sorte « que les administrations disposent d’une base sur laquelle conduire les travaux préparatoires au projet de loi de finances, et que celui-ci puisse être présenté début octobre comme chaque année ». Le premier ministre démissionnaire assure cependant qu’il se limite ici à gérer les affaires courantes, selon sa mission : « Cette première base budgétaire, respectant les engagements de la France, ne préempte pas les arbitrages finaux qui seront rendus par le prochain gouvernement », précise Matignon.
A ce stade, rien de dramatique dans ces atermoiements. A Bercy, malgré les aléas politiques, la direction du Trésor a poursuivi son travail technique, fait tourner ses modèles économétriques, préparé des documents, et le prochain gouvernement ne partira pas d’une page blanche. Chaque jour qui passe complique néanmoins la donne. « Cela devient tendu », constate le rapporteur général de la commission des finances au Sénat, Jean-François Husson (ex-Les Républicains).
La « mère des lois »
Pour qu’un budget soit présenté le 1er octobre au Parlement, il doit être validé par le conseil des ministres fin septembre, et transmis une dizaine de jours auparavant au Haut Conseil des finances publiques, afin que celui-ci ait le temps de rendre son avis, ce qui implique que le texte soit bouclé à la mi-septembre. Une audition du ministre des finances à l’Assemblée nationale sur le sujet est programmée pour le 11 septembre. Avant le 20 septembre, la France doit par ailleurs présenter son plan pluriannuel de redressement des comptes à la Commission européenne, qui l’a placée en procédure pour déficit public excessif. Mais un premier ministre et un gouvernement seront-ils nommés d’ici là ? Et, si oui, auront-ils le temps de construire un budget et un plan pluriannuel correspondant à leurs priorités ?
Surtout, cet hypothétique budget bouclé dans l’urgence pourra-t-il ensuite être adopté ? « Personne ne le sait », reconnaît Véronique Louwagie, vice-présidente Les Républicains de la commission des finances à l’Assemblée. En 2023, le budget de l’Etat pour 2024 n’est passé que grâce au recours massif à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de valider un texte sans vote.
Cette fois-ci, dans une Assemblée morcelée, où aucun bloc n’approche la majorité, même de loin, l’exercice sera fatalement encore plus ardu. Les oppositions pourraient être tentées de s’associer pour faire tomber le futur gouvernement lors du débat sur le budget, considéré comme la « mère des lois », celle qui, plus que toutes, condense l’essence d’une politique.
Désaccords fondamentaux
Arrivée en tête des législatives, la gauche a des idées précises sur ce qu’elle souhaite voir dans le budget. Elle veut augmenter les bas salaires, investir dans les services publics et la transition écologique. Les dépenses nouvelles seraient compensées « grâce à une hausse des ressources fiscales concentrée sur les foyers les plus aisés, les multinationales et la lutte renforcée contre la fraude et l’évasion fiscale », indique la lettre envoyée le 12 août aux parlementaires par Lucie Castets et les responsables de LFI, du PS, des Ecologistes et du Parti communiste français.
Les macronistes et la droite, eux, se montrent rétifs à tout alourdissement de la fiscalité. « Redresser nos comptes publics » et « réduire la dette » figurent à la première ligne du « pacte d’action » proposé aux autres partis par Gabriel Attal, le 13 août. Le premier ministre y avance une « règle d’or » : « Pas de hausse d’impôts, notamment pour les Français qui travaillent. » L’augmentation des impôts constitue aussi une « ligne rouge » du « pacte législatif d’urgence » présenté le 22 juillet par les ténors de LR au Parlement, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau. Quant au Rassemblement national, il souhaite baisser ou supprimer de nombreux impôts, par exemple l’impôt sur le revenu des moins de 30 ans, un projet farouchement combattu par les autres partis.
Au-delà de ces désaccords fondamentaux, tout l’enjeu des prochains mois sera, pour le nouveau gouvernement, de voir quelles mesures peuvent susciter un semblant de consensus. Cela pourrait aboutir à un texte minimaliste, reprenant le budget 2024 à quelques ajustements près, comme le relèvement de la taxe sur les superprofits des compagnies d’énergie ou l’instauration d’une taxe sur les rachats d’action. Pour Philippe Brun, il devrait aussi être possible de réunir une majorité pour rétablir l’impôt sur la fortune, si c’est dans une version plus légère que celle proposée par le Nouveau Front populaire. « En ne donnant de majorité absolue à personne, les Français nous ont demandé de travailler ensemble, commente Véronique Louwagie. Mais c’est compliqué, dans un pays qui n’a pas cette culture du compromis… »
En cas de blocage total, une solution est prévue par l’article 47 de la Constitution. Si aucun budget n’est adopté dans les délais, le gouvernement doit demander en urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et d’ouvrir par décret les crédits, en reconduisant ceux de l’année précédente. La mesure permet que les fonctionnaires continuent d’être payés, et que les services publics continuent de fonctionner. Mais sans cap précis. Et au prix d’une crise politique qui se doublerait probablement d’une crise financière.
Mise à jour du 14 août à 22 h 40 : l’annonce de l’envoi des lettres plafonds par Matignon a été ajoutée
Denis Cosnard
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