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====== Le programme fiscal du Nouveau Front populaire est-il confiscatoire ?  ======

Le Nouveau front populaire a permis de rouvrir le débat sur la fiscalité : des hausses d’impôts ciblées sont possibles sans craindre une baisse de l’activité, même si plusieurs mesures du programme doivent être revues.
Les élections législatives auront au moins eu cette vertu : il est de nouveau possible de débattre de fiscalité ! Depuis les propositions du Nouveau Front populaire (NFP) en la matière, les questions fusent sur quels impôts peuvent être augmentés et comment. Face à l’absence de majorité à l’Assemblée, la réponse de court terme n’est pas claire politiquement. Mais, économiquement, cela restera un marqueur du programme de la gauche.
Après plus de 20 ans de politiques publiques en faveur des entreprises et des plus aisés – à part la brève exception 2012-2013 –, le vent semble tourner. Profondément agacés, les libéraux mobilisent trois contre-attaques : la France ne devrait pas augmenter les impôts ; si elle le fait, cela aura des effets pervers ; de toute façon une grande partie des mesures sont inapplicables.
La nécessité de nouvelles recettes fiscales
La première critique est la plus connue et la plus générale : on paie déjà trop d’impôts en France. En 2023, l’ensemble des prélèvements obligatoires représentaient l’équivalent de 43,2 % du PIB, le plus haut niveau en Europe et dans le monde.
Et pourtant, le monde de demain ne pourra pas vivre sans une hausse de la fiscalité pour deux grandes raisons. D’une part, entre les transitions énergétique et numérique, la recherche, l’éducation, la dépendance, la défense, etc., il nous faudra plus de 10 points de PIB de dépenses publiques en plus qui ne pourront pas être financés uniquement par de la dette.
La maîtrise des comptes publics exige de trouver de nouvelles recettes.
D’autre part, après un déficit public de 5,5 points de PIB en 2023 et qui devrait être sensiblement à la même hauteur cette année et l’an prochain, la maîtrise des comptes publics exige de trouver de nouvelles recettes.
Espérer contrôler le dérapage budgétaire actuel par la seule réduction des dépenses est illusoire : selon une étude récente du think tank patronal Rexecode, stabiliser la dette publique réclamerait une baisse des dépenses publiques de 60 milliards dès l’année 2025. C’est mission impossible pour tout gouvernement quel qu’il soit, et cela démontre bien la nécessité de hausses d’impôts.
Le programme du NFP pose donc la bonne question : comment mobiliser de nouvelles recettes fiscales ?
La menace d’un soi-disant effet Laffer
Et là, les adversaires de toute hausse de la fiscalité abattent la même carte depuis plus de quarante ans, l’« effet Laffer », du nom de l’économiste américain Arthur Laffer. Ou dit autrement : trop d’impôt tue l’impôt.
Selon Laffer, lorsque le taux d’imposition dépasse un certain seuil, les contribuables sont désincités à travailler et à investir plus puisque les gains supplémentaires qu’ils pourraient en retirer partent en prélèvements.
Très ancienne, l’idée est déjà présente chez le penseur Ibn Khaldoun dès le XIVe siècle. Augmenter les impôts peut effectivement entraîner un effet de substitution : quand le niveau d’imposition dépasse un certain seuil, je substitue des loisirs au travail.
Mais c’est oublier qu’il peut y avoir un effet revenu : puisqu’une part plus grande de mon revenu supplémentaire part en impôt, je dois travailler et investir encore plus pour faire progresser mon revenu. Les partisans de Laffer occultent complètement cette partie du raisonnement.
Et ce n’est pas le seul problème : cette vague idée théorique ne trouve pas de vérification empirique. Ainsi pour André Barilari, ancien Directeur des impôts à Bercy, elle est juste destinée « à justifier des baisses d’impôts profitables aux riches ».
Les défenseurs de l’effet Laffer insistent également sur un point : le taux auquel il se déclenche varie selon les impôts. Ils mettent en avant un seul exemple :
Lorsqu’au début de son mandat présidentiel François Hollande a augmenté la taxation des dividendes, leur distribution a baissé et les recettes fiscales avec. Quand, à l’inverse, Emmanuel Macron a instauré le prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 %, la distribution de dividendes s’est accrue et les recettes fiscales ont eu tendance à augmenter. Preuve que la taxation Hollande a été victime d’un effet Laffer.
Ce raisonnement ne tient pas la route et pour trois raisons.
D’abord, les statistiques de l’Insee montrent que si les dividendes distribués par les sociétés non financières ont diminué en 2012-2013, ils se sont remis à croître sur la période 2014-2017, avant le PFU. Ensuite, les calculs de taux d’imposition sont réalisés sur la base des dividendes déclarés par les ménages. Or, il y a de la perte en ligne.
Le PFU à 30 % se décompose en 12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de prélèvements sociaux. Selon les données de l’Insee, entre 2017 et 2023, les ménages ont touché 353,3 milliards de dividendes. Taxés sur le revenu à 12,8 %, cela aurait dû rapporter au fisc 45,2 milliards.
Pourtant, selon les données budgétaires, seuls 31,5 milliards ont été payés en impôt sur le revenu par le PFU (dont la base taxable est plus large que les dividendes). Il manque donc près de 15 milliards de recettes, et c’est le résultat d’une sous-déclaration.
« La philosophie du programme est de collecter l’impôt sur la partie de la société qui ne paie pas son dû. C’est efficace et juste à la fois » – Anne-Laure Delatte, économiste
Même avec un taux officiel à 30 %, les très riches contribuables, qui concentrent la très grande majorité des dividendes reçus, cherchent donc à échapper à la taxation. Cela n’a rien à voir avec l’effet substitution.
Enfin, le bilan de la suppression partielle de l’ISF et de la mise en œuvre du PFU réalisé par France Stratégie a montré que la baisse de la fiscalité du capital avait eu un impact marginal sur la création d’entreprises et d’emplois et pas d’effet positif sur l’investissement. Bref, l’anti Laffer !
Tout comme le site Melchior, financé par les représentants du patronat regroupés au sein de l’Institut de l’entreprise, on peut ainsi affirmer que « la courbe de Laffer est une arme de combat bien plus qu’un instrument d’analyse » !
Quelle philosophie générale ?
Une fois posée la nécessité de nouvelles recettes fiscales et mis de côté les arguments sans fondement, quelle appréciation peut-on porter sur le programme du NFP ?
« Je ne suis pas enthousiaste. Je vois des propositions qui vont très, très loin, trop loin en termes de niveau d’imposition », explique le spécialiste des finances publiques et directeur du site Fipeco François Ecalle.
Pourtant, selon les économistes Lucas Chancel, Anne-Laure Delatte et Elise Huillery, il est possible de définir un programme sérieux qui rapporte 90 milliards d’euros dans un scénario moyen. Sur quelle base ? Interrogée par Alternatives Economiques, Anne-Laure Delatte, enseignante à l’université Dauphine, précise :
« Le programme propose d’aller chercher ces recettes pour moitié sur la taxation des très hauts patrimoines et l’autre moitié sur les multinationales, en particulier les plus polluantes. La philosophie du programme est de collecter l’impôt sur la partie de la société qui ne paie pas son dû. C’est efficace et juste à la fois. »
Même son de cloche du côté d’Eric Berr, co-responsable du département économique de l’Institut La Boétie, proche de LFI :
« On peut accroître la taxation des plus aisés qui ont bien profité de la période macroniste. »
Reste quand même un problème : « tous les programmes de ces législatives proposaient des dépenses nouvelles financées par des recettes nouvelles en oubliant que cela ne permet pas de diminuer le déficit public ! Dans ces conditions, la dette publique dépassera les 120 points de PIB en 2030 », avertit François Ecalle.
« Les calculs de recettes ont été faits sans prendre en compte les effets de relance du programme. Il y a donc des recettes à venir, même si l’on sait que les rentrées fiscales arriveront après les dépenses. Du côté des concepteurs du programme, la volonté est claire de s’inscrire dans une trajectoire maîtrisée des finances publiques à moyen terme », répond Eric Berr.
Deux scénarios sont possibles, ajoute Anne-Laure Delatte :
« Pour rassurer les créanciers et les citoyens, une partie des nouvelles recettes peut être utilisée afin de viser le retour à un déficit public de 3 %. Avec le risque que ce ne soit jamais suffisant pour les marchés et en réduisant d’autant les marges de manœuvre pour les politiques publiques. »
L’autre option consiste, la première année, à consacrer toutes les nouvelles recettes à des mesures d’urgence (Smic, etc.) : « Cela montrerait une véritable rupture. Ensuite, davantage de recettes seraient destinées à la réduction des déficits. »
La nécessaire maîtrise des dérapages budgétaires hérités des sept dernières années obligera à des arbitrages politiques clés sur le sujet.
Impôt sur le revenu, CSG, PFU : copie à revoir
Mais il reste à entrer dans le dur, c’est-à-dire dans le concret des mesures.
Le programme du NFP prévoit de remplacer les cinq tranches actuelles de l’impôt sur le revenu par 14 tranches et de faire passer la Contribution sociale généralisée (CSG) de forfaitaire à progressive. Avec quels taux ? Ce n’est pas précisé.
Les commentateurs se sont alors référés à une ancienne proposition de députés LFI, portant sur ces 14 tranches d’imposition. Dans un amendement déposé à la fin 2021, ils prévoyaient une tranche marginale, la plus haute, à 90 % pour les personnes touchant un revenu supérieur à 411 683 euros.
« Avec la tranche maximale d’impôt sur le revenu à 90 % et l’instauration d’une CSG progressive, la fiscalité devient confiscatoire au-dessus de 500 000 euros. On passe dans un autre monde », analyse François Ecalle.
Les Etats-Unis ont pourtant connu des taux de ce niveau pendant plusieurs décennies. « Certes, rétorque ce spécialiste des finances publiques, mais c’était pour des montants équivalents à 5 millions d’euros aujourd’hui, il y avait des dérogations et pas une CSG progressive et un ISF en plus ! ».
« La focalisation du débat sur le taux de 90 %, une proposition LFI ancienne, passe à côté du sujet, juge de son côté Anne-Laure Delatte. Le principe est d’introduire plus de progressivité : aujourd’hui, que l’on gagne tout juste 29 000 euros ou près de 82 000 euros, on est taxé au même taux marginal à 30 %. Il faut rendre la fiscalité plus progressive. »
Et pour le taux le plus élevé ? Lorsque François Hollande a voulu instaurer une taxe à 75 %, le Conseil d’Etat a indiqué que « les principes à valeur constitutionnelle font obstacle (…) à une taxation marginale cumulée des revenus supérieure à 66 % pour les revenus les plus élevés », impôt sur le revenu et prélèvements sociaux cumulés. Il va donc falloir revoir la copie sur la plus haute tranche.
« Cela pose en tout cas un principe de redistribution forte au bénéfice du plus grand nombre, tel que souhaite le mettre en œuvre le NFP », fait valoir Eric Berr.
Une autre mesure fiscale forte revient à supprimer le PFU à 30 % pour de nouveau taxer les revenus du capital (dividendes, intérêts, plus-values) au niveau du barème de l’impôt sur le revenu.
« Quand les dividendes étaient imposés au barème, il y avait un abattement de 40 % pour tenir du compte du fait qu’ils avaient déjà été taxés à l’impôt sur les sociétés (IS). Le taux de l’IS a baissé depuis et l’abattement pourrait être plus bas mais cet aspect du programme doit être précisé », prévient François Ecalle.
Dont acte, répondent Eric Berr et Anne-Laure Delatte, cette dernière confirmant qu’« il faudra effectivement des aménagements pour éviter toute surtaxation ».
Quel ISF ?
Le programme du NFP souhaite également réinstaurer un impôt sur la fortune ou un ISF climatique. Les deux sont corrélés : taxer les très hauts patrimoines qui appartiennent aux très riches – donc ceux qui polluent le plus – revient à mettre en place un ISF climatique.
« Si vous empêchez des héritiers d’entreprises familiales de toucher plus de 12 millions d’euros, ils n’auront d’autres choix que de vendre » – François Ecalle, spécialiste des finances publiques
Celui-ci serait plus facile à mettre en œuvre qu’une taxation fondée sur la contribution de chaque individu riche aux émissions de gaz à effet de serre. Ce qui n’est pas facile à calculer précisément. « Sans mauvais jeu de mots, je crains l’usine à gaz ! Cela sera difficile à traduire en un texte de loi concret », prévient François Ecalle.
Les études ont pointé que l’ISF rapportait peu car il était mité par beaucoup d’exemptions. Ce qui plaide pour une exit tax digne de ce nom qui impose les revenus de ceux tentés d’aller mettre leur argent à l’étranger. C’est d’ailleurs une pratique contre laquelle il est plus facile de lutter depuis la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations fiscales en 2014.
« Il serait nécessaire de faire démarrer le seuil de taxation à l’ISF plus haut que les 1,3 million d’euros précédents, taxés à 0,7 %. Plutôt à partir de 5 millions, ce qui concerne 1 % des contribuables, avec un taux de 1 %, 2 % au-dessus de 20 millions, 3 % au-dessus de 100 millions », poursuit Anne-Laure Delatte.
Le programme prévoit également d’inclure les biens professionnels dans la définition de l’assiette. Ils étaient exclus de l’ancien ISF, et cela conduisait à la transformation d’une partie de la fortune en entreprise pour échapper à l’impôt.
« Il reste du travail à faire sur le sujet pour préciser la mesure. Mais l’objectif est clair, il s’agit de réduire le rendement du patrimoine des personnes très aisées, estimé à 6-7 %, pour le ramener vers 2 %, un niveau qui permet de maîtriser les inégalités », complète l’économiste de l’université Dauphine.
Faut-il un héritage maximum ?
Autre sujet qui fâche, instaurer une transmission de l’héritage maximale à 12 millions d’euros.
« Instaurer une transmission maximale de 12 millions d’euros revient à sortir du système capitaliste. Si vous empêchez des héritiers d’entreprises familiales de toucher plus de 12 millions d’euros, ils n’auront d’autres choix que de vendre. Soit à des fonds étrangers, ce qui ne semble pas souhaitable, soit cela revient à l’Etat dont ce n’est pas le rôle de gérer des entreprises », dénonce François Ecalle.
Sur le sujet, Anne-Laure Delatte n’y va pas non plus par quatre chemins :
« Je pense que cela a été une erreur politique d’avoir indiqué un tel seuil. Une note du Conseil d’analyse économique a montré que la faible progressivité de l’impôt sur les successions tient à quatre niches qu’il faut remettre en cause. En fonction de différentes modalités, cela permet de rapporter entre 9 et 19 milliards d’euros. »
De son côté, Eric Berr apporte une précision importante :« Pour les concepteurs du programme, il ne s’agit pas de remettre en cause le principe du pacte Dutreil [qui permet, sous certaines conditions, de faire bénéficier la transmission d’entreprises familiales d’exonérations de droits de mutation NDLR] mais d’en encadrer les dérives. » Un point guère entendu dans le débat public.
« La fiscalité est le prix à payer pour une société civilisée », écrivait Henry Morgenthau, le ministre de l’Economie de Roosevelt en 1937. Depuis sept ans, Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont œuvré à construire une civilisation au rabais.
Le programme fiscal du NFP est loin d’être clair sur tous les sujets. Il réclame des précisions et comporte des éléments inapplicables qui offrent à ses adversaires des bâtons faciles pour se faire battre. Mais l’orientation est assumée : remettre de la démocratie fiscale dans un pays où les plus aisés font de plus en plus sécession avec le reste de la société.
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Année Bataille de Marignan Merci de laisser ce champ vide :

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