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-====== Le Monde – Aliko Dangote ou les paris audacieux de l’homme le plus riche d’Afrique  ======
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-ÉCONOMIE
-Aliko Dangote ou les paris audacieux de l’homme le plus riche d’Afrique
-« Fortunes africaines » (1/3). Au Nigeria, un pays regorgeant de pétrole, le milliardaire a bâti une immense fortune sans toucher une goutte d’or noir… Jusqu’à son nouveau défi : le raffinage.
-Par Marion Douet (Lagos (Nigeria), envoyée spéciale)
-Par Marion Douet (Lagos (Nigeria), envoyée spéciale)
-Par Marion Douet (Lagos (Nigeria), envoyée spéciale)
-Aujourd’hui à 06h00
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-L’entrepreneur nigérian Aliko Dangote, lors de la 7ᵉ édition du sommet Choose France, au château de Versailles, près de Paris, le 13 mai 2024. LUDOVIC MARIN / AFP
-Une noria de visiteurs et de coursiers défile, en ce vendredi matin de printemps, dans la minuscule réception, à peine assez grande pour contenir un bureau d’accueil, une volée de chaises et une tour de climatisation qui diffuse un froid polaire, avant de s’arrêter net à chaque coupure de courant. La touffeur moite de Lagos, la capitale économique du Nigeria, s’engouffre alors par la porte, que personne ne se soucie de refermer.
-Malgré l’attente et les nombreux appels, le responsable de la communication de Dangote est absent et les deux réceptionnistes s’excusent poliment de ne pouvoir le contacter. L’accueil du siège du puissant groupe nigérian − veillé par un austère aigle bleu fixé au mur − est à son image : sans paillettes, pragmatique et bien gardé.
-La tentaculaire mégapole compte 20 millions d’habitants, mais dites « Aliko » et chacun, de l’intelligentsia des îles centrales jusqu’aux vendeurs de rue des quartiers populaires, saura de qui vous parlez. Avec une fortune estimée à plus de 13 milliards de dollars (12 milliards d’euros) par le magazine Forbes, leur compatriote Aliko Dangote est non seulement l’Africain le plus riche, mais aussi la 144e fortune mondiale (loin devant, par exemple, la famille Bolloré). Cet homme de 67 ans a bâti son empire sur une matière grise, froide, mais cruciale sur un continent en manque de logements, de ponts et d’hôpitaux : le ciment. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique (220 millions d’habitants), où de lourds camions frappés de son emblématique aigle bleu sillonnent continuellement les routes, sa part de marché atteint les 60 %.
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-Toutefois, Dangote produit également son « or gris » dans une dizaine de pays africains, du Sénégal à l’Ethiopie. Le groupe est aussi actif dans la farine, les pâtes, le sucre (possédant 75 % des champs de canne du Nigeria), les engrais, l’automobile… « La stratégie d’Aliko, c’est de produire et de vendre des biens essentiels, dont la demande est garantie, analyse l’économiste Bismarck Rewane, un habitué des plateaux de télévision nigérians. C’est la même chose avec l’essence et le kérosène, [un pays] ne peut rien faire sans. »
-Aliko Dangote fait actuellement ses débuts dans le raffinage, avec le démarrage progressif de l’usine géante de Lekki, lui qui n’avait jamais touché une goutte de pétrole – une rareté dans ce pays de l’OPEP, où l’or noir a fait tant de fortunes. Un tournant majeur. « Ça a été une surprise pour beaucoup dans les milieux pétroliers, en Afrique et dans le monde », souligne Francis Perrin, directeur de recherche au Policy Center for the New South de Rabat. Le secteur est réputé « très particulier », interlope et sulfureux, d’autant plus au Nigeria. « On imagine aisément que cela n’a pas été un chemin pavé de roses », euphémise l’expert en énergie.
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-Et pour cause, tout, dans ce projet, était herculéen. L’investissement : plus de 20 milliards de dollars, après des retards et des surcoûts considérables. La taille : 650 000 barils par jour de capacité, soit la plus grande raffinerie à « train unique » (une seule ligne de production) du monde. Le terrain : un marécage couvrant plus de 2 600 hectares à la sortie de Lagos, qu’il a fallu remblayer, assainir et équiper d’une centrale électrique, d’un port, de logements. « Si j’avais su dans quoi je me lançais, je n’aurais même pas essayé », a lâché à CNN un Dangote jovial, poivre et sel, portant une gandoura bleue siglée de son nom. La réalité, c’est qu’il n’aime rien tant que de parier.
-Méthode sans complexes
-A la fin des années 1970, après des études à la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, ce musulman haoussa s’est rendu à Lagos pour commencer sa carrière dans le négoce, dans la plus pure tradition familiale. Aliko Dangote est né à Kano, un carrefour marchand millénaire du nord du Nigeria, au sein d’une dynastie de commerçants, les Dantata. Son grand-père maternel, déjà, avait fait fortune dans l’import-export de noix de kola et d’arachide. Ce clan lui offrira un petit pécule (entre 3 000 et 500 000 dollars de l’époque, selon les versions) pour démarrer dans l’importation de ciment, puis de sucre, de farine, dans un Nigeria en plein essor pétrolier, où l’on produit peu localement.
-Son premier grand pari a lieu dans les années 1990, quand il réinvestit ses gains pour, non seulement fabriquer sur place du ciment, mais aussi le faire en grand. Les capacités totales du Nigeria sont alors à environ 2 millions de tonnes ; il dimensionne sa première usine pour 5 millions. « On a avancé très agressivement », a-t-il rappelé à CNN, se vantant d’avoir apporté « l’autosuffisance ». Plus tard, sa cimenterie d’Obajana, située sur une mine de calcaire du centre du pays, deviendra l’une des plus grosses de la planète. Elle est isolée, difficile d’accès ? Il la dote entre autres d’un aéroport, capable d’accueillir un Boeing 737.
-La « méthode Dangote » est audacieuse, sans complexes. En produisant à très grande échelle dans des marchés sous-servis, l’entrepreneur, inspiré par les magnats indiens comme Mukesh Ambani, réduit les coûts et atteint une rentabilité phénoménale (50 % de marge au Nigeria, 40 % dans le reste de l’Afrique pour le ciment, qui a généré 460 millions de dollars de profit net en 2023, malgré les turbulences économiques). L’objectif affiché est de dominer chaque secteur où il entre, quitte à s’attirer des critiques sur sa tentation monopolistique. « Dangote a affiché des marges bénéficiaires parmi les plus élevées au monde sur le ciment », a dénoncé, en 2024, Oxfam en marge du Forum économique mondial de Davos (Suisse). L’ONG affirme aussi qu’il n’est soumis qu’à « un taux d’imposition de 1 % » dans son pays.
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-Le nabab incarne ceux qu’on appelle au Nigeria les « AGIP » (pour « any government in power »), ces hommes d’affaires chouchoutés, quel que soit le régime. Sa proximité avec le candidat puis président Olusegun Obasanjo, au début des années 2000, était de notoriété publique. Selon un câble américain révélé par WikiLeaks, Aliko aurait contribué, à coups de millions de dollars, aux campagnes du dirigeant, dont les deux mandats ont opportunément protégé ses « intérêts majeurs » des importations. Aux questions, le premier employeur privé du Nigeria répond que, pour enfin industrialiser des marchés africains instables, l’appui des gouvernements est indispensable à la sécurité des investissements.
-Aliko Dangote est un entrepreneur ambivalent – capitaliste décomplexé, parfois jugé prédateur (au Sénégal, il a été en conflit foncier avec une influente famille maraboutique), mais aussi grand philanthrope. Rompu aux pratiques suspectes du business africain, mais ayant choisi d’introduire ses sociétés en Bourse. Il y a placé, à des postes-clés, ses trois filles, aux côtés d’experts internationaux et d’administrateurs indépendants comme Cherie Blair, l’épouse de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair (de 1997 à 2007).
-L’homme est tout aussi mystérieux, insaisissable. Quand l’archétype du milliardaire nigérian est flamboyant, capable d’envoyer son jet privé à Londres chercher une boîte de cigares, lui est réputé austère et très pieux. La légende veut qu’« Alhaji » – « pèlerin », en arabe (il s’est rendu plusieurs fois à La Mecque, en Arabie saoudite) – n’utilise ses appareils que pour sauter d’usine en usine.
-Pari monumental
-Quant à son luxueux yacht, amarré en plein Lagos, il ne serait qu’un bureau pratique pour les invités de marque. « J’ai connu de simples millionnaires bien plus arrogants que lui », écrivait en 2018 David Pilling dans le Financial Times. Le quotidien économique britannique saluait « son entregent extraordinaire », manifeste dans les innombrables mondanités de Lagos, qu’il ne manque jamais : « Comme [l’ex-président des Etats-Unis] Bill Clinton, il se souvient de votre prénom ; comme Al Capone, il a déjà votre numéro. »
-Il entretient des liens profonds avec les émirs du Nord comme avec l’élite mondiale. C’est « un magnat nigérian d’un modèle très particulier, ce qui m’a toujours frappé chez lui, c’est sa modestie et son humanité profondes », déclare au Monde le milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim. Bill Gates a commis sur son blog un billet vantant, dans un humour subtil, ce qui avait « cimenté leur amitié », soit, entre autres, leur penchant commun, presque maniaque, pour les grands défis du monde : « Nous aimons tous les deux faire les geeks sur des choses qui n’ont aucun intérêt aux yeux d’autres gens, comme le ciment, les engrais et le sel iodé. »
-Qu’est-ce qui, au fond, le fait avancer ? Pas vraiment l’argent, selon Bismarck Rewane, qui le connaît personnellement « depuis trente ou quarante ans ». « Pour moi, ce qui l’anime, c’est le succès de ses projets. C’est son facteur de satisfaction. » Dans cette quête, la raffinerie de Lekki est un pari monumental. Aliko Dangote joue gros pour lui-même, avec une infrastructure qui pourrait le faire « couler », de son propre aveu, ou le propulser parmi les plus riches de la planète.
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-Il joue aussi gros pour son pays, qui pourrait passer d’exportateur de brut à exportateur de produits raffinés. De quoi renverser la balance commerciale de ce géant fragile, en manque perpétuel de dollars. Mais, observe Francis Perrin, de nombreux défis se posent encore pour que cet investissement colossal soit rentable : « C’était une aventure en termes de construction. Maintenant, c’est une aventure en termes d’exploitation. »
-Et c’est précisément en ce moment charnière que des ennuis semblent s’amonceler. La récente dégringolade du naira, la devise nationale, a fait fondre les bénéfices de certaines filiales. Fin 2023, M. Dangote avait même très brièvement perdu sa place d’Africain le plus fortuné. Certains s’interrogent sur la santé financière du groupe, voire sur son influence. Le siège a été perquisitionné début 2024 par la Commission antifraude, faisant bruisser Lagos de rumeurs de disgrâce. Sont évoqués, pêle-mêle, un soutien trop faible à la campagne du nouveau président, Bola Tinubu, ou les conséquences d’une bataille sans répit avec un concurrent, Abdulsamad Rabiu, du groupe BUA, qui aurait pu être à l’origine d’une campagne de dénigrement.
-Lui aussi originaire de Kano, ce milliardaire est également actif dans le ciment, le sucre, la farine… et promet de se lancer bientôt dans le raffinage. Un magnat en train d’en supplanter un autre ? Amaka Anku, directrice d’Eurasia Group pour l’Afrique, balaie la controverse, rappelant qu’au XIXe siècle le capitalisme américain s’est, lui aussi, construit sur une concurrence féroce entre les Carnegie, Rockefeller, Stanford et autres. « Et, comme partout dans le monde, souvent avec le soutien des gouvernements », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Comme je l’ai dit à plusieurs reprises : le Nigeria a besoin de dix Dangote. »
-Marion Douet (Lagos (Nigeria), envoyée spéciale)
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