26/12/2025/H06:08:57
Employée depuis vingt ans de Google, Elizabeth Reid est une ingénieure appliquée. Ses yeux bleu clair ont vu défiler plus d’une page de code et se souviennent de ce que fut le moteur de recherche à ses débuts, à l’époque de Sergey Brin et Larry Page, ses fondateurs. Elle a été l’une des premières femmes à travailler au siège du groupe à New York. C’est aussi elle qui a développé les services de localisation des commerces de Google Maps. En mars dernier, une mission délicate lui a été confiée par le PDG du groupe, Sundar Pichai, et son puissant bras droit, Prabhakar Raghavan, responsable de la publicité. Il en va de l’avenir de l’entreprise : propulsée à la tête de la division Search, Elizabeth Reid va devoir trouver l’inspiration pour relancer l’une des plus grosses machines au monde, en panne depuis un moment : le moteur de recherche de Google. Le Search est l’activité la plus rentable du géant américain, avec 175 milliards de dollars de revenus l’an dernier, soit 57 % de son chiffre d’affaires. L’ingénieure n’a pas le droit à l’erreur, pas question que s’enraye ce formidable outil de précision.
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Porte d’entrée sur Internet, le moteur de recherche reste certes incontournable. En moyenne, ses serveurs enregistrent jusqu’à 100 000 demandes par seconde, soit plus de 80 milliards par mois. A chaque fois qu’un internaute clique sur sa barre de recherche, il est guidé vers des sites qui génèrent des revenus publicitaires pour Google. Avec son navigateur Chrome, l’entreprise totalise presque 92 % de ce marché en ligne aux Etats-Unis.
Le trafic sur les moteurs de recherche pourrait baisser de 25 %
Mais le géant américain paie cher pour garder ce monopole. En 2022, il aurait versé 22 milliards de dollars à Apple pour rester le moteur par défaut sur Safari. Cette pratique lui vaut d’être aujourd’hui poursuivi par les autorités antitrust américaines. En mai dernier, le département de la Justice a ouvert le procès US vs Google, dont les conclusions seront rendues prochainement. Au cours des auditions, qui ont duré plus de dix semaines, les secrets de Google ont été mis au grand jour, abîmant quelque peu son image.
Mais ce procès historique a surtout révélé les inquiétudes au sein du groupe, qui ne laisse habituellement rien filtrer. Dans les documents fournis à la justice, on apprend ainsi que Google perd des utilisateurs et se déchire sur la stratégie à adopter. Les revenus du moteur de recherche ne progressent plus assez vite, peut-on lire dans un mail interne. Au point qu’une alerte a été enclenchée au siège de Mountain View, en 2019, un « Code jaune ». Le genre d’alerte qui n’est activée qu’en cas d’urgence sur un produit.
Le moteur de recherche serait-il en panne ? Pour la première fois de son histoire, le produit phare de Google connaît un net ralentissement. « Les usages des internautes ont changé en ligne », constate Jean Ferré, fondateur du moteur français Sinequa. Le trafic sur les moteurs de recherche pourrait baisser de 25 % à partir de 2026, a calculé le cabinet d’analyse Gartner. Un coup dur pour Google qui tente, par tous les moyens, de faire revenir les internautes sur ses pages.
Un excès de publicité
Les assistants de conversation tel ChatGPT s’étant améliorés, la page d’accueil de Google ne s’impose plus comme la seule option pour trouver des informations. « Les outils à base d’IA générative sont en voie de remplacer les moteurs de recherche », explique l’auteur du rapport de Gartner, l’analyste Alan Antin. Google n’est surtout plus le seul moyen d’accéder à certains services. D’autres portes se sont ouvertes sur l’information, tels les réseaux sociaux.
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Chez les plus jeunes, TikTok est de plus en plus utilisé comme outil de recherche. Selon une étude menée en janvier par la société Adobe, plus de deux internautes américains sur cinq utilisent l’application chinoise pour y chercher des « idées de recette, de la musique ou des conseils en bricolage ». Un changement culturel pour les acteurs du vieux web. « Nous assistons peut-être à la fin de cette hégémonie absolue de Google, note Jean Ferré. Il continue d’être le plus rapide, mais les attentes des internautes ont évolué. »
L’excès de publicité explique aussi cette lassitude des internautes. Dans certains cas, Google peut afficher jusqu’à quatre publicités avant d’en venir aux premiers résultats. Le phénomène ne concernerait que 20 % des recherches, affirme l’entreprise. « Google a vendu son moteur de recherche aux annonceurs », enfonce Sridhar Ramaswamy, vice-président de la publicité chez Google jusqu’en 2018.
Débordé par l’arrivée de l’IA
Un constat partagé par le chercheur Janek Bevendorff, selon lequel le moteur a été saboté par les vendeurs de savon. « Il y a de moins en moins d’informations authentiques sur Google », conclut cet assistant de recherche à l’université de Leipzig. Dans une étude publiée en début d’année, son équipe a fait le test. Les chercheurs ont analysé sur un an les résultats donnés pour des mots courants, comme « meilleurs écouteurs » ou « meilleurs jouets pour apprendre l’alphabet ». Ils ont pu montrer que les résultats étaient influencés par les avis des clients, mais également par des liens ajoutés à des sites dans le seul but de truquer les résultats de Google. Une mauvaise pratique bien connue des agences de marketing, qui consiste à tricher pour apparaître dans les premiers résultats.
Google ne cesse de mettre à jour son algorithme pour déjouer ces tentatives. En 2022, ses ingénieurs sont intervenus 4 725 fois sur le code. D’après des documents saisis lors d’une immense fuite de données, le « Google Leak », l’entreprise regarde le nombre de clics sur chaque résultat et les ajuste en permanence grâce à un outil baptisé NavBoost.
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Le géant américain semble cependant débordé par l’arrivée de l’IA, qui favorise la création de sites de piètre qualité. Les mises à jour s’enchaînent, avec parfois des effets de bord, notamment sur les médias qui ont vu leurs audiences chuter en mars. « Nous testons rigoureusement chaque changement », répond l’entreprise. En mai, Elizabeth Reid a présenté Overviews, un outil à base d’IA pour répondre à ChatGPT. Au lieu d’afficher des pages web, Google génère un résumé de quelques lignes. Un service encore très expérimental.
Les éditeurs de presse montent au créneau
Avec le lancement de son nouvel assistant de recherche, Overviews, Google a fait un bide. Les internautes se sont moqués de ce chatbot qui recommande de « manger une pierre » une fois par jour pour faire le plein de « minéraux et de vitamines » ou d’ajouter de « la colle » avec le fromage dans la pizza. Un procès injuste, selon Elizabeth Reid, qui a expliqué que ce petit surdoué n’était pas encore tout à fait au point. Il ne comprend ni l’humour ni le caractère « satirique » des sites qui donnent ce genre de conseils, a-t-elle expliqué dans un billet de blog.
Mais les « hallucinations » de cet outil à base d’IA ne sont pas le seul risque. Les éditeurs de presse s’inquiètent que cet assistant de conversation ne dépouille un peu plus leurs articles et que les sites d’information ne disparaissent petit à petit du paysage. En déroulant directement les réponses dans son outil, Google pourrait les priver de visiteurs sur leurs sites et invisibiliser les grands médias. « Vous aurez le droit à une réponse préformatée », résume Marc Feuillée, directeur général du Figaro. De son côté, Google assure que les sources recevront plus de visites grâce à ce nouvel outil.
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