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-====== Le Monde – Au Royaume-Uni, à la veille d’élections décisives, voyage à la rencontre d’un pays en panne  ====== 
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-EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Au Royaume-Uni, à la veille d’élections décisives, voyage à la rencontre d’un pays en panne 
-Par Eric Albert (Londres, correspondance) 
-Par Eric Albert (Londres, correspondance) 
-Par Eric Albert (Londres, correspondance) 
-Aujourd’hui à 06h00, modifié à 14h23 
-Article réservé aux abonnés 
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-REPORTAGE Comme la France, le Royaume-Uni s’apprête à voter lors de législatives anticipées. Des deux côtés de la Manche, le paysage politique a été chamboulé par l’extrême droite. Avant de quitter l’Angleterre où il a vécu pendant deux décennies, le journaliste Eric Albert a sillonné le pays une dernière fois. 
-Lecture 18 min Read in English 
-Comment ne pas tomber amoureux de ce pays ? Nous sommes le 1er juin, il fait 17 degrés, un vent glacial souffle avec ténacité et la foule n’en a cure. Aujourd’hui est jour de courses hippiques et, dans les tribunes d’honneur, il faut s’habiller pour l’occasion : hauts-de-forme et redingotes pour ces messieurs, robes de gala et chapeaux avec voilette pour ces dames. Les talons hauts rendent la déambulation sur l’herbe le long de la piste particulièrement périlleuse et comique. Les trois bouteilles de champagne, à 123 livres pièce (146 euros), posées dans des bacs à glace à côté de Mary-Jane Forster et ses amis n’aident guère à marcher droit. 
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-Il est 13 heures, les Anglais sont bien décidés à faire la fête pour le grand Derby annuel de l’hippodrome d’Epsom Downs, à une petite heure au sud de Londres. La veille, le roi Charles III a honoré les lieux de sa présence. A quelques téléphones portables près, la scène n’a guère changé depuis l’époque victorienne. La haute bourgeoisie s’amuse d’événements mondains en événements mondains le temps de cette « saison sociale », qui démarre en avril avec les courses d’aviron entre Oxford et Cambridge et se termine en août avec les régates de Cowes, sur la côte sud de l’Angleterre. 
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-L’autodérision remarquable des Britanniques, qui prennent très au sérieux l’absence de sérieux, rend tout cela très sympathique. L’ambiance festive cache pourtant mal une humeur maussade. « Le pays va mal, les gens sont moroses, divisés », estime Mary-Jane Forster, 36 ans, son chapeau blanc en équilibre précaire sur la tête. « Regardez ça, s’exaspère son mari, Shane Harries, qui vient d’Afrique du Sud. C’est amusant mais qu’est-ce que c’est pompeux. Colonial même ! » Chapeau blanc à voilette et énormes bagues aux doigts, Jane Kimber n’en revient pas de son audace en déclarant, à près de 80 ans : « Ma mère s’en retournerait dans sa tombe, mais, pour la première fois, je ne voterai pas conservateur. » Des élections législatives anticipées se déroulent le 4 juillet et les sondages annoncent une déroute des tories, au pouvoir depuis quatorze ans. 
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-Voir aussi : Le portfolio d’Eddie Wrey 
-En Grande-Bretagne, les sujets d’un royaume désenchanté dans l’objectif d’Eddie Wrey 
-En traversant l’hippodrome sur quelques centaines de mètres, on atteint The Hill, une petite colline d’où on peut voir au loin la course hippique. Contrairement aux tribunes d’honneur, l’endroit est gratuit, c’est le lieu des classes populaires. Ici, la musique techno résonne à fond entre les installations d’une fête foraine. Des adolescentes en tenue trop courte tirent désespérément sur leurs minijupes, frissonnant malgré l’alcool qui coule à flots. 
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-Olivia Fletcher, 21 ans, cheveux roses et enthousiasme débordant, s’esclaffe : « Bien sûr que l’économie est catastrophique et que la situation va mal. Etre britannique, c’est ça : s’asseoir sur l’herbe à se bourrer la gueule et regarder les salauds de riches de l’autre côté de la barrière. Mais la vraie humanité est de notre côté, bien sûr. Regardez à quel point cette communauté est chaleureuse ! » Elle ne votera pas conservateur, cela va sans dire. 
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-L’époque révolue du « Cool Britannia » 
-Le grand tournant politique qui s’annonce arrivera, pour moi, en même temps qu’un changement personnel, la fin de mes années anglaises. Le 31 mai 2003, par une journée de printemps inhabituellement chaude, je suis arrivé à Londres un peu par hasard. J’habitais alors en Thaïlande et ma compagne avait trouvé un emploi dans la capitale britannique. Débarquant sans a priori particulier, j’ai découvert un pays étonnamment dynamique, ouvert au monde, heureux de son multiculturalisme. 
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-Les Français débarquaient alors en masse. Une association recevait les jeunes aventuriers partis avec leur sac à dos dans l’Eurostar et les aidait à dégoter un petit boulot et un logement en quelques jours. A l’autre bout du spectre social, les diplômés des meilleures écoles de commerce et d’ingénieurs françaises collectionnaient les postes de tradeurs à la City. Le lycée français de Londres ne parvenait plus à répondre à la demande. 
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-Abby et Ashleigh, deux jeunes membres d’un club de danse irlandaise, à l’hippodrome de Windsor. Toutes les photos de ce reportage ont été réalisées entre le 6 et le 11 juin 2024. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Les commandes reçues par le jeune journaliste que j’étais consistaient souvent à décrire les réussites du système britannique. Pourquoi le chômage est-il si bas ? Pourquoi l’intégration des minorités ethniques fonctionne-t-elle mieux qu’en France ? Comment les Britanniques font-ils pour faciliter la création d’entreprises ? Londres était hors de prix, les Anglais achetaient des grandes villas dans le sud de la France et la livre sterling valait 1,50 euro. C’était la période de la « Cool Britannia », commencée au milieu des années 1990 et incarnée par les groupes Blur et Oasis, et même (ne le dites pas trop fort aux Français) une gastronomie innovante et délicieuse. 
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-Le bilan du Brexit 
-Vingt et un ans plus tard, je m’apprête à « rentrer » en France pour des raisons professionnelles. Le Royaume-Uni que je quitte n’a plus rien à voir avec celui qui m’a accueilli. La livre sterling a baissé de presque 20 %, l’immigration est devenue une obsession et le lycée français a fermé des classes après le départ de nombreuses familles. Je m’empresse de le préciser : la chute du Royaume-Uni n’est pas une façon de dire que la France va bien. Mon pays de naissance est en crise, c’est une évidence. Un premier ministre d’extrême droite pourrait être à la tête du gouvernement d’ici à quelques jours, les idées xénophobes se sont normalisées, la parole raciste y est beaucoup plus décomplexée qu’outre-Manche et l’économie stagne. 
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-Brian, un spectateur de l’hippodrome de Windsor. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-L’étonnante concomitance des élections en France et au Royaume-Uni offre en réalité un parallèle fascinant. Voilà deux anciennes puissances coloniales de près de soixante-huit millions d’habitants crispées par l’immigration et minées par un sentiment latent de déclin. Au Royaume-Uni, le pouvoir d’achat a cessé de progresser, des régions entières, essentiellement dans le nord de l’Angleterre, ont été laissées à l’abandon. L’extrême droite, sans avoir jamais été au pouvoir, a complètement chamboulé le paysage politique. Mais, contrairement à la France, le Royaume-Uni a déjà tenté l’aventure du populisme, offrant des leçons essentielles. 
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-Lire aussi 
-France, Royaume-Uni : les périls des coups de poker 
-Il y a huit ans, en 2016, notre voisin si proche et si différent a fait un saut dans le vide, choisissant de sortir de l’Union européenne. Cette décision sans ordre de bataille ni programme détaillé, menée par le premier ministre, Boris Johnson, un trublion aussi décoiffé qu’assoiffé de pouvoir, a ouvert la pire période de l’histoire récente de ce pays. Le bilan est objectivement négatif : quatre premiers ministres qui se sont succédé, des querelles internes incessantes, une brève panique financière en octobre 2022, une forte perte de crédibilité internationale, une dette publique qui augmente, des services publics à genoux… 
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-La ville où l’espérance de vie recule 
-Un voyage à Hartlepool, au nord-est de l’Angleterre, aide à comprendre les racines de la crise. Sacha Bedding, qui dirige l’Annexe, une association d’aide sociale, le dit avec le plus grand sérieux : il organise un dîner gratuit toutes les semaines, « parce que cela permet de savoir qui est encore en vie ». Le quartier de Dyke House, où se trouve son association, compte parmi les plus pauvres du pays. 
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-Le Monde Application 
-Journal Le Monde 
-Consultez la version numérique du journal papier, ses suppléments et « M Le magazine du Monde » 
-Télécharger l’application 
-Je m’y suis rendu une première fois en 2018, car cette ville connaissait un phénomène effrayant : son espérance de vie baissait. J’en étais revenu à la fois ébranlé par l’ampleur de la misère ambiante, d’une noirceur profonde, et rassuré par le réseau de solidarité informel qui s’était mis en place pour combler (autant que faire se peut) la faillite des services sociaux. 
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-Six ans plus tard, la situation a empiré. L’espérance de vie, qui a atteint un pic à 77,6 ans en 2013 à Hartlepool, n’est plus que de 76 ans (selon les chiffres de 2020-2022), à peu près au même niveau que l’Algérie ou le Vietnam. Bien sûr, la pandémie a accentué la tendance, mais cette baisse avait commencé bien avant. Mauvaise alimentation, alcool, tabac, drogue, manque d’exercice, métiers pénibles, services de soin surchargés… Les habitants multiplient les facteurs de risque. 
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-Dans le quartier modeste de Dyke House, à Hartlepool. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-James Picken hésite avant de nous montrer où il habite : « C’est un peu embarrassant. » Il finit par nous emmener devant sa maisonnette, située juste derrière l’Annexe. La porte et les fenêtres défoncées ont été clôturées par des planches de bois. Pour entrer chez lui, il lui faut prendre la contre-allée, où des ordures jonchent le sol. Un canapé éventré a été laissé à l’abandon entre deux maisons. Un réfrigérateur renversé gît par terre. Brenda Harrison, la maire travailliste d’Hartlepool, nouvellement élue en mai, n’hésite pas à parler de « bidonvilles » pour évoquer ces quartiers. 
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-Comme pour beaucoup d’habitants de Dyke House, l’histoire de James Picken est compliquée. L’homme de 42 ans n’a pas attendu le déclin britannique actuel pour tomber dans la pauvreté. Sa mère est décédée d’une overdose de Valium quand il avait 15 ans. Son frère est mort d’une overdose d’héroïne. Lui qui était soudeur sur des plates-formes gazières et qui a travaillé notamment en Norvège a plongé. Alcool, drogue, prison… Voilà bientôt deux décennies que le cycle infernal s’est enclenché. 
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-James Picken, un habitant d’Hartlepool, devant chez lui. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Ce qui est plus récent, c’est la dureté du système, qui le fait replonger à chaque tentative de s’en sortir. Il y a quelques mois, il a manqué un rendez-vous au Jobcentre, l’équivalent de France Travail (anciennement Pôle emploi). La sanction a été immédiate. « Normalement, je touche 276 livres [326 euros] d’allocations sociales tous les mois. Mon loyer est pris en charge, mais, avec ça, je dois payer toutes mes factures, électricité, gaz, téléphone, et me nourrir. Après la sanction, je n’ai reçu que 18 livres [21 euros] pour le mois entier. » 
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-Ce qui devait arriver arriva : James Picken a volé dans un magasin un stock de barres chocolatées (« j’avais envie de sucre ») et du poulet. « Quand je me suis fait prendre, j’étais presque soulagé, en me disant qu’au moins en prison j’aurais deux repas par jour assurés. » Ce système met Sacha Bedding, de l’association l’Annexe, hors de lui. « Qui bénéficie de cette situation ? On l’a mis en prison pendant huit semaines, ce qui a coûté des milliers de livres à la société, parce qu’on a voulu économiser 200 livres [236 euros] au départ sur ses allocations sociales. Ça a servi à quoi ? » 
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-Un grand plan d’austérité 
-Voilà cinq décennies qu’Hartlepool est sur cette mauvaise pente. Les chantiers navals ont commencé à fermer dès les années 1960. L’usine sidérurgique a survécu, mais il n’y reste que deux cents emplois. La mairie est devenue le premier employeur local. Le basculement de la ville dans le précipice date du grand plan d’austérité, commencé en 2010. Le gouvernement de David Cameron a été particulièrement brutal avec les ressources des collectivités locales, chargées des services sociaux. En quatorze ans, le budget de la ville d’Hartlepool a été réduit de 38 % (corrigé de l’inflation). 
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-Les premières coupes ont concerné tout ce qui semblait superflu : embellissement de la ville, nettoyage régulier… Puis la rénovation du parc de logements sociaux a dû attendre. Les services de santé (un budget séparé, venant directement de l’Etat) ont suivi : la maternité a fermé, de même que les urgences de l’hôpital. Obtenir un rendez-vous chez un médecin est devenu très difficile. « Les gens qui viennent à l’Annexe ont des problèmes complexes, explique Caroline Robinson, une employée de l’association. Ils ont besoin de la police, d’aides au logement, de services de santé… Si vous imposez des coupes budgétaires à la police, au logement et à la santé, ils en subissent nécessairement les conséquences. » 
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-Jake, Kenzee et Rob, près du cimetière d’Hartlepool. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Michael Marmot est professeur d’épidémiologie à l’University College London et l’auteur de plusieurs rapports qui ont fait date sur la déliquescence du système social britannique. « L’espérance de vie et la santé publique sont des indicateurs de l’état de la société, explique-t-il. Or, cela fait douze ans que l’espérance de vie ne progresse plus au Royaume-Uni. C’est sans équivalent dans les périodes récentes en temps de paix. Il faut retourner à l’époque victorienne ou à la peste pour observer la même évolution. » Pour lui, le constat est sans appel : « Ce pays va mal, littéralement et métaphoriquement. » 
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-Dans ces circonstances, le tissu social déjà mis à mal ne pouvait pas résister au choc de la pandémie. Faute d’un système hospitalier performant, le Royaume-Uni a connu l’un des pires bilans des pays occidentaux avec 220 000 morts du Covid-19. Cela représente 325 personnes pour 100 000 habitants, 28 % de plus qu’en France et 60 % de plus qu’en Allemagne. Le nombre de patients sur les listes d’attente des hôpitaux britanniques s’envole : 2,3 millions en 2008, 4,6 millions en 2019, 7,6 millions aujourd’hui. 
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-Charlie et Rio, dans un restaurant de Hayes. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Entre amis, la difficulté d’accès aux soins est devenue un sujet de discussion quotidien. Mon épouse s’est déchiré un ligament au genou lors d’une chute. Elle a pu avoir accès à une IRM, mais n’a jamais reçu les résultats. Elle a fini par passer par le système privé, auquel elle a accès grâce à son entreprise. Une de mes amies, qui soigne des enfants atteints d’autisme sévère dans un établissement de Londres, témoigne du délabrement progressif du système : dans certaines collectivités locales, l’attente pour ces patients atteint deux à trois ans ; sa hiérarchie est constamment sur son dos pour encadrer les dépenses ; seuls les cas les plus graves lui sont désormais envoyés. « Il y a vingt ans, il y avait beaucoup plus de prévention, notamment avec de l’aide à la petite enfance dans les quartiers, observe-t-elle. Cela a disparu et, aujourd’hui, on ne traite plus que des urgences. » 
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-Le pays le plus inégalitaire d’Europe occidentale 
-S’il fallait choisir une date qui marque le début du déclin britannique, ce serait 2008. La grande crise financière, qui a ébranlé la City, a non seulement plongé le pays dans la récession, mais aussi marqué une rupture sur le long terme. Depuis, la croissance n’est plus au rendez-vous. Les salaires (corrigés de l’inflation) sont aujourd’hui seulement 6 % au-dessus du niveau de 2008, une stagnation sans précédent depuis cinquante ans. 
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-Torsten Bell, qui a longtemps dirigé le groupe de réflexion Resolution Foundation (et est aujourd’hui candidat travailliste aux législatives au Pays de Galles), a diagnostiqué avec précision la maladie britannique. Dans son rapport intitulé « Nation stagnante ? », publié en juillet 2022, il rappelle que le Royaume-Uni est devenu, sous Margaret Thatcher (première ministre de 1979 à 1990), le pays le plus inégalitaire d’Europe occidentale, mais que pas grand-monde ne s’en plaignait tant que la croissance était au rendez-vous. 
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-Lire aussi 
-Le Royaume-Uni entre en récession 
-Depuis quinze ans, à cette inégalité s’est ajoutée l’absence de développement économique. Avec deux erreurs majeures : le grand programme d’austérité mis en place par le gouvernement de David Cameron (2010-2016) et le vote en faveur du Brexit du 23 juin 2016, qui a provoqué un déclin économique et n’a laissé aucune place aux réformes de fond. 
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-Un portrait de la reine Elizabeth II, chez un glacier de Redcar, sur la côte nord-est de l’Angleterre. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Comment s’étonner qu’Hartlepool ait alors voté à presque 70 % en faveur du Brexit ? Le principal argument du camp du remain était d’alerter sur un affaiblissement de l’économie britannique en cas de sortie du pays de l’Union européenne. Vu d’un quartier délabré où l’espérance de vie recule, la menace ferait presque rire. Comment imaginer que la situation puisse empirer ? D’autant que, en face, le charisme et l’optimisme contagieux de Boris Johnson, bonimenteur talentueux, ont tout emporté sur leur passage. 
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-Une première ministre complotiste 
-Plus encore que ses dégâts économiques, le Brexit a eu comme conséquence d’ouvrir grand la porte au populisme. Boris Johnson a normalisé le mensonge comme arme politique. Pas la simple exagération ou les arrangements avec les faits, mais la contre-vérité flagrante, martelée avec un aplomb total. Lors de la campagne pour la sortie de l’Union européenne, il avait placardé sur le bus avec lequel il a sillonné le pays : « Nous envoyons 350 millions de livres par semaine à l’UE. Finançons plutôt le NHS [le système de santé public]. » Le chiffre était faux, le Royaume-Uni versait deux fois moins. Qui s’en souciait ? 
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-Autre signe de la dérive politique britannique, Liz Truss, l’éphémère première ministre conservatrice, qui n’a tenu que quarante-neuf jours en septembre et octobre 2022, semble avoir basculé dans le complotisme. Elle affirme aujourd’hui sans ciller que son échec a été provoqué par « l’Etat profond », une cabale où se mêleraient la banque d’Angleterre, les hauts fonctionnaires « activistes (…) pour la cause des transsexuels » et même le Financial Times et The Economist. 
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-Suzy, qui vend des billets de tombola, à Whitby. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Elle s’affiche aux réunions de l’alt-right américaine, accorde des interviews à Steve Bannon, l’ancienne éminence grise de Donald Trump, et soutient l’ancien président aux élections américaines de novembre. Ce rapprochement avec l’extrême droite du Parti conservateur britannique, l’une des plus anciennes formations politiques au monde – sa création date de 1830 – aboutit aujourd’hui à un échec. 
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-Deux populistes charismatiques 
-Au commencement du divorce d’avec l’Union européenne était un trublion qui suscitait des moqueries : Nigel Farage, leader du UKIP (United Kingdom Independence Party). Au début des années 2000, il réalisait des scores importants à chaque élection européenne, puis disparaissait ensuite cinq ans du paysage politique. A chaque fois que je l’ai rencontré, il s’est montré sympathique et drôle, comme si tout cela n’était qu’un jeu. 
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-L’agitateur a du talent. Il n’aime rien de plus qu’une pinte de bière avec une cigarette, et peut parler sans notes pendant des heures. Longtemps, j’ai évité dans mes articles de le qualifier d’« extrême droite », une étiquette que je trouvais trop réductrice. S’il détestait l’UE, c’était au nom de la souveraineté et de la dérégulation économique, l’immigration n’étant qu’un sujet secondaire. A cause des antécédents antisémites du Front national, il refusait de faire alliance avec Marine Le Pen, malgré des appels du pied répétés. 
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-Un étudiant d’Eton College, près de Windsor. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Mais la vague d’immigration venant d’Europe centrale après l’élargissement de l’UE à partir de 2004, qui a vu un million de Polonais arriver en une décennie en Grande-Bretagne, lui a fourni un nouvel argument massue. Il a commencé à grignoter des voix sur la droite. C’est pour faire taire cette voix dissidente, à laquelle faisait écho au sein de son parti une vingtaine de députés, que David Cameron a fini par promettre, en 2013, un référendum sur la sortie de l’UE. 
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-Trois ans plus tard, après avoir remporté des secondes élections législatives, il a tenu promesse. Le pari lui paraissait peu risqué. A en croire les sondages, il ne pouvait pas perdre le référendum, le pays allait rester dans l’Union. Le patronat, la City, les syndicats, tous les partis politiques étaient unis contre le Brexit. Mais c’était compter sans le vent de révolte qui soufflait sur le pays, affaibli par l’austérité. 
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-Une plage de Whitby, dans le nord de l’Angleterre. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Surtout, la campagne menée par celui qui était alors maire de Londres, Boris Johnson, a été redoutablement efficace. Il faut le voir à l’œuvre pour comprendre son charisme. Dans une pièce, il occupe toute la place. Avec lui, tout est toujours formidable : Londres est la meilleure ville au monde, le Royaume-Uni est merveilleux de courage, les entrepreneurs britanniques sont imbattables. Il n’est pas un bon orateur au sens churchillien du terme : ses discours sont décousus et manquent de profondeur. Mais il est drôle, une qualité essentielle en Grande-Bretagne, et il fait croire à des lendemains meilleurs. 
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-Lire aussi 
-Boris, Jo, Rachel et les autres... L’incroyable famille Johnson 
-« Take back control », promettait son slogan. Qui pourrait être contre l’idée de reprendre le contrôle ? Pendant des mois, ce fils d’un ancien député européen, passé par le très huppé lycée privé d’Eton, a sillonné le pays, vendant le rêve d’une « Global Britain » qui dépasserait l’Europe, trop petite pour l’exceptionnel destin de ce pays. Jamais Boris Johnson n’a explicité ce qu’il comptait faire de ce « control » repris à l’UE. 
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-Jamais il n’a défini ce Brexit auquel il aspirait. Chacun y a mis ce qu’il souhaitait. Les délaissés d’Hartlepool ont cru y entendre la promesse d’une meilleure protection. Les retraités aisés des campagnes y ont vu la nostalgie d’un retour à une gloire passée. Les yuppies libéraux se sont accrochés à un rêve de grande dérégulation. Et, plus que tout, une grande partie de la population a voté pour un rejet de l’immigration. L’addition de ces différentes aspirations contradictoires a provoqué, en juin 2016, la victoire sidérante mais étriquée du Brexit, à 51,9 %. 
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-Des brexiters sans concession 
-La boîte de Pandore était ouverte. Au fil des ans, les partisans du Brexit ont systématiquement refusé toute concession. Theresa May, qui avait fait campagne contre la sortie de l’UE, a été la première à remplacer David Cameron à Downing Street. Par trois fois, ses propres députés ont rejeté l’accord qu’elle avait conclu avec le négociateur européen, le Français Michel Barnier. Trop de compromis, affirmaient-ils. 
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-En juillet 2019, Boris Johnson a pris la suite. Après la débâcle de Theresa May, il lui fallait afficher une posture sans compromis. Il a opté pour le plus dur des Brexit, avec une rupture totale des relations commerciales. Mais la révolution dévore toujours ses enfants : jamais il n’a eu la pleine confiance de ses propres députés, qui l’avaient mis à ce poste pour les sortir de l’ornière. Trois ans après être arrivé au pouvoir, et malgré un triomphe aux élections législatives de décembre 2019, il a été forcé de démissionner pour avoir menti au Parlement à propos de fêtes qui s’étaient tenues à Downing Street pendant le confinement. 
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-Un arrêt de bus, à Whitby. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Les militants conservateurs ont ensuite choisi Liz Truss pour le remplacer, parce qu’elle leur avait promis une grande dérégulation économique. Elle a tenu promesse, présentant la plus forte baisse d’impôts depuis Margaret Thatcher, ce qui signifiait une forte hausse du déficit du budget de l’Etat. La réaction des marchés financiers ne s’est pas fait attendre. Les taux d’intérêt ont flambé. Les tabloïds se sont amusés à comparer la nouvelle cheffe du gouvernement à une laitue, pour savoir laquelle des deux durerait le plus longtemps. 
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-Depuis, Rishi Sunak, qui a accédé au pouvoir en octobre 2022, tente vaguement de rétablir un semblant de sérieux. Mais il alimente aussi le débat contre l’immigration illégale, envisageant d’envoyer au Rwanda les demandeurs d’asile qui traversent la Manche en bateaux pneumatiques. Cette politique a été jugée illégale par la Cour suprême britannique en novembre 2023, le Rwanda n’étant pas considéré comme un « pays sûr » pour les réfugiés. Cette année, le 23 avril, le Parlement a voté un nouveau projet de loi autour de cette même idée, plusieurs recours ont été déposés. 
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-Quant à Nigel Farage, qui aurait dû être discrédité par l’échec patent du Brexit, il est de retour dans la campagne électorale. Cette fois-ci, son cheval de bataille est clairement la lutte contre l’immigration. Il parle toujours aussi bien, propose des solutions prétendument « de bon sens » et continue à orienter le débat toujours plus à droite. Je n’hésite désormais plus une seconde à qualifier son parti d’extrême droite. 
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-Des pêcheurs amers 
-Au début de l’année, j’ai réalisé avec Thomas Johnson un documentaire pour France Télévisions consacré aux conséquences du Brexit. Nos pérégrinations nous ont amenés à Hastings, sur la côte sud de l’Angleterre. Les touristes connaissent sa bataille de 1066, contre les Normands menés par Guillaume le Conquérant – la dernière fois que des troupes étrangères ont envahi le pays. La petite ville est aujourd’hui le lieu d’un autre phénomène emblématique : la disparition des pêcheurs. 
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-Sur la plage de galets, à peine une vingtaine de bateaux demeurent et seule une poignée sort régulièrement. En 2016, les derniers pêcheurs se sont raccrochés à l’espoir que représentait pour eux le Brexit. « Nous reprendrons le contrôle de nos eaux », promettait Boris Johnson. En juillet 2018, le ministre de l’environnement de l’époque Michael Gove, un des principaux brexiteurs, s’est même déplacé à Hastings pour rencontrer les pêcheurs. 
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-A Blackpool, une ville côtière du nord-ouest de l’Angleterre. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Paul Joy, 76 ans, a gardé un goût amer de cette réunion. L’homme, bleu de travail passé par-dessus son pull, ne part plus en mer à cause d’une maladie de Parkinson qui le diminue. Mais, avec six décennies d’expérience et une intelligence redoutable, il reste l’incontournable porte-parole de la communauté. « Pour cette rencontre, j’avais préparé un gâteau, se rappelle-t-il. J’ai servi tout le monde et, pour lui, j’ai coupé la plus petite part possible, en lui disant que c’était exactement ce que les pêcheurs britanniques avaient dans la répartition des quotas de pêche fixée par l’Union européenne. » 
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-Entre les Anglais et la politique, un mur de défiance : « Le gouvernement ne sait même pas qu’on existe » 
-Michael Gove a répondu en lui promettant une mesure très concrète : outre la récupération d’une partie des quotas européens, il a garanti de doubler la zone exclusive réservée aux marins britanniques dans la Manche de 6 à 12 milles des côtes. Il n’a pas tenu promesse. Quand les négociations avec Michel Barnier, le représentant de l’UE, sont entrées dans leur phase finale, en décembre 2020, le gouvernement britannique a capitulé sur ce point. Ce n’est guère une surprise. Le Royaume-Uni, avec ses soixante-huit millions d’habitants, ne fait pas le poids face au marché unique des Vingt-Sept et ses quatre cent quarante-huit millions de citoyens. « Le gouvernement britannique nous a trahis », estime Paul Joy. 
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-Contraint de recourir à l’immigration 
-Le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni est sorti du marché unique. Le commerce avec l’UE est désormais plus difficile, nécessitant de remplir une lourde paperasse. Etant donné que les Vingt-Sept représentent, de loin, le premier partenaire de la Grande-Bretagne, l’effritement des échanges entre les deux voisins était inévitable. Dans un pays où la main-d’œuvre manque, la fin de la libre circulation a provoqué une pénurie d’employés. Pour faire face, le gouvernement britannique a ouvert grand les vannes des visas de travail. 
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-Paradoxe : le Brexit, qui devait permettre de « reprendre le contrôle des frontières », a provoqué le doublement du nombre d’immigrés légaux par rapport aux années 2004 à 2020, avant le Brexit, avec un solde de 685 000 personnes en 2023. Les immigrés européens ont été remplacés par des non-Européens, notamment d’Asie centrale et du sous-continent indien. 
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-Ruth, sur une plage de Colonsay, une île des Hébrides intérieures, en Ecosse. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-Enfin, les entreprises ont réduit leurs investissements, échaudées par l’instabilité politique et l’incertitude économique. La croissance britannique a été amputée, selon les calculs, de 3 % à 5 % par rapport à ce qu’elle aurait été sans le Brexit. Etalée sur huit ans, une telle dégradation ressemble plus à un lent effritement qu’à un véritable effondrement. Mais aucun effet bénéfique n’est venu le contrebalancer. Désormais, 60 % des Britanniques pensent que la sortie de l’UE a été une erreur. Et, parmi ceux qui considèrent toujours que l’idée était bonne, une partie juge qu’elle a été mal mise en œuvre. 
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-Le pire n’est jamais sûr. La démocratie britannique a tenu, mieux qu’aux Etats-Unis. Par moments, elle a été ébranlée, notamment quand Boris Johnson a tenté par une manœuvre politique de contourner le Parlement pour faire passer un Brexit sans accord. Mais les contre-pouvoirs ont alors joué leur rôle et la Cour suprême l’a bloqué. 
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-Deux pays « jumeaux » 
-Aujourd’hui, l’alternance politique se profile. Elle vient d’un Parti travailliste centriste, mené par Keir Starmer, un ancien procureur qui a tendance à parler comme s’il était devant une assemblée de juristes. Mais, au moins, évite-t-il les petites phrases assassines, ce qui a des vertus apaisantes. « La politique redevient enfin ennuyeuse », constate dans un sourire Olivier Morel, avocat d’affaires français, installé outre-Manche depuis 1987. 
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-Une jeune militante écologiste devant le Parlement, à Londres. EDDIE WREY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE 
-De par son travail et sa vie personnelle – il est marié à une Britannique –, ce fin observateur de son pays d’accueil passe beaucoup de temps à comparer la France et le Royaume-Uni. « Nous sommes deux pays en déclin, avec des problèmes si comparables. On est de véritables frères jumeaux. Comme le disait un ancien directeur de l’école privée Eton, il faut accepter qu’on n’est plus que des puissances moyennes. » 
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-Et s’il lui fallait choisir entre ses deux pays ? « Franchement, j’hésiterais. » Il vit confortablement dans la campagne au sud de Londres, au milieu des collines vertes si typiques de la région, et dit apprécier la retenue, la bienséance des Britanniques, leur sens de l’humour et malgré tout une certaine ouverture vis-à-vis des minorités. Comment est-il possible de quitter ce pays ? 
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-Eric Albert (Londres, correspondance) 
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