20/05/2024


Opérations « place nette » : « La came est là, elle sera vendue »… Pourquoi le bilan laisse sceptiques les policiers

Opérations « place nette » : « La came est là, elle sera vendue »… Pourquoi le bilan laisse sceptiques les policiers «C’est de la communication. Les résultats ne sont pas fantastiques. » Cette source policière, hautement placée dans la hiérarchie, se montre très sceptique lorsqu’elle évoque avec 20 Minutes l’efficacité des opérations « place nette XXL », destinées à éradiquer les trafics de stupéfiants qui pullulent dans certains quartiers. « Là, ce qu’on fait, c’est du travail pour rassurer la population en essayant de mettre du bleu dans la rue. Ils font ces opérations qui n’auront pas d’effets la plupart du temps. La nature ayant horreur du vide, les points de vente vont être repris, les réseaux vont se reconstituer la semaine prochaine ou celle d’après », poursuit cet enquêteur chevronné. Autant dire que son discours tranche avec les déclarations du ministre de l’Intérieur qui, à longueur de tweets et d’interviews, s’enorgueillit des résultats de ces opérations « XXL », lancées il y a une semaine. « Elles ont donné lieu à 867 interpellations jusqu’à présent et à la saisie de nombreuses armes et d’importants moyens financiers. On ne lâche rien », a écrit Gérald Darmanin sur X ce mercredi. De nombreuses arrestations, certes, mais pas davantage qu’en temps normal. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 48.300 personnes mises en cause dans des affaires de trafic de stupéfiants ont été interpellées en 2023. Soit… 924 par semaine en moyenne. Oui mais cette fois, celles qui ont été arrêtées font partie « du haut du spectre, du haut du panier », a assuré lundi soir, au JT de 20 heures de France 2, le ministre de l’Intérieur. Des opérations lancées « en urgence » Les quantités de stupéfiants saisies ? Elles « sont dérisoires », souffle à 20 Minutes un enquêteur spécialisé. 2,5 kg de cannabis et d’héroïne saisis dans le Nord, 22 kg de stupéfiants saisis à Marseille… « La cocaïne arrive par centaines de kilos dans des conteneurs au Havre ou à Anvers. Les gros trafiquants en gèrent plusieurs qui traversent l’Atlantique. Les volumes dépassent l’entendement. Alors, quand on saisit quelques dizaines ou centaines de kilos, ça ne les perturbe absolument pas. » Surtout, selon nos informations, ces opérations « place nette XXL » ont été lancées, sous l’impulsion du ministre, souvent dans la précipitation. Les services locaux concernés par les enquêtes ont été priés « en urgence » de boucler les affaires sur lesquelles ils travaillaient depuis plusieurs mois pour préparer cette vague d’interpellations. « Alors qu’en matière de stupéfiants, plus on met du temps, plus on a d’éléments à charge contre les personnes, et plus la sanction est lourde », poursuit cet enquêteur, basé dans le sud de la France. « La came est là, et elle sera vendue » Le risque d’avoir interpellé hâtivement ces cibles, « c’est que les condamnations ne suivent pas faute d’éléments suffisants », confie un haut gradé. Et ce dernier d’ajouter : « La came, elle est là, il faudra bien qu’elle soit vendue. Et elle sera vendue. Il y a de la demande. Pour assécher le marché, il faut travailler en amont, sur les vrais gros trafics, et faire en sorte que la came n’arrive pas. C’est mathématique. Mais ça parle moins au grand public, c’est moins communicatif. Mais ce n’est pas avec ce que l’on fait là qu’on va éradiquer les trafics » Un point de vue partagé par l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI). « Les opérations “place nette” qui mobilisent, de façon ponctuelle, des moyens considérables de policiers sur la voie publique ne peuvent être suffisantes pour endiguer le narcotrafic. Ces actions doivent nécessairement s’accompagner d’enquêtes de fond, de longue haleine, à l’abri des campagnes médiatiques », indique-t-elle dans un communiqué. L’outil PJ chamboulé Problème : Gérald Darmanin a récemment chamboulé la police judiciaire, dont les quelque 5.000 agents travaillent sur les dossiers importants. Dans certains services spécialisés, comme des antennes de l’Ofast, les effectifs ont même été réduits. L’AFMI souligne dans son communiqué que « la réforme récente de la police nationale, qui est aujourd’hui en cours de déploiement, n’est pas de nature à répondre aux enjeux judiciaires de la lutte contre la délinquance du haut du spectre, que ce soit en matière de narcobanditisme ou de criminalité économique et financière ». https://www.20minutes.fr/faits_divers/4083619-20240328-operations-place-nette-came-vendue-pourquoi-bilan-laisse-sceptiques-policiers