20/05/2024
L’intelligence artificielle affole le monde de l’édition
L’utilisation de l’intelligence artificielle inquiète les auteurs, les traducteurs, les éditeurs, tous les acteurs de la filière du livre réunis jusqu’à ce dimanche 14 avril au Festival du livre de Paris.
Écouter cet article 03:38 L’intelligence artificielle bouleverse le monde de l’édition, réuni au Festival du Livre de Paris 2024. | YANN CASTANIER, OUEST-FRANCE L’intelligence artificielle bouleverse le monde de l’édition, réuni au Festival du Livre de Paris 2024. | YANN CASTANIER, OUEST-FRANCE
« Si, demain, l’intelligence artificielle produit une œuvre formidable, qui imite Proust à la perfection, mais dont on sait qu’elle a été créée en trois minutes, le lecteur ressentira-t-il une émotion ? Je pense qu’il a besoin d’un face-à-face avec un humain. » Cette phrase de Nathalie Azoulai, romancière rencontrée le 12 avril au Festival du livre de Paris et autrice de Python (P.O.L), résume les inquiétudes qui traversent le monde de l’édition. Produire un texte en un claquement de doigts, c’est possible, grâce à l’intelligence artificielle (IA) générative. Il suffit d’utiliser un logiciel du type ChatGPT (OpenAI) ou LlaMA (Meta). Ce ne sera pas l’œuvre du siècle, mais cela peut faire illusion. À tel point qu’en septembre 2023, Amazon a déclaré limiter à trois par jour le nombre de titres publiés par un même auteur sur sa plateforme d’autoédition KDP. Incroyable quand on sait qu’un écrivain met des mois, voire des années à écrire un livre… « Violation du droit d’auteur » Amazon a ajouté une règle : il faut signaler si l’ouvrage a été généré par l’IA. En revanche, pas d’obligation si la conception du livre a été « assistée par une IA. » La frontière est ténue. Déjà, des ouvrages trompent la vigilance des éditeurs. Ainsi, Rie Kudan, lauréate du Akutagawa, le plus prestigieux prix littéraire japonais, avec La tour de la compassion de Tokyo, a-t-elle reconnu avoir en partie utilisé l’IA pour l’écrire. Jean-Paul Hirsch, cheville ouvrière de P.O.L, petite maison exigeante, se dit pourtant serein. « Je ne pense pas que nous ayons déjà reçu des manuscrits écrits par l’IA ! Et nous aimons les imperfections, les défauts, nous y voyons une forme. Si on nous envoie quelque chose de très lisse, on le verra ! » Mais comment une machine peut-elle écrire (à peu près) comme un humain ? Elle se nourrit des œuvres existantes. « Pour entraîner l’IA, il faut des textes, des milliards et des milliards de signes », rappelle Denis Olivennes, PDG d’Editis, n° 2 de l’édition en France. Mais les opérateurs de l’IA se passent de l’avis des auteurs. En septembre, l’Authors Guild, principale association d’écrivains américains, a déposé à New York une plainte collective contre OpenAI pour « violation flagrante et préjudiciable du droit d’auteur ». Celle-ci associe de grands noms, comme George R.R. Martin ou John Grisham. D’autres plaintes collectives ont été déposées en Californie, siège d’OpenAI. « C’est le Far West » « Il faut que des accords soient passés entre les opérateurs de l’IA et l’édition, poursuit Denis Olivennes, qui en appelle à la régulation du secteur. Pour l’instant, c’est le Far West. » En mars cependant, le Parlement européen a adopté l’IA Act, une législation visant à encadrer l’IA, qui doit encore passer quelques étapes. L’un de ses volets prévoit la transparence et la protection des droits d’auteur. Chercheur et écrivain, auteur de Robopoïèses (éd. La Baconnière), André Ourednik veut aller plus loin. « L’IA est le résultat d’œuvres d’humains spoliées accumulées dans d’énormes serveurs. Et elle risque de paupériser tous ceux qui travaillent dans le domaine créatif. Quand Google, OpenAI et les autres vont-ils payer pour ce qu’ils ont pris ? Comme il est difficile de savoir individuellement à qui ils l’ont pris, il faut qu’ils redonnent au moins 50 % de ce qu’ils ont gagné et que l’argent soit réinjecté dans la culture. » Car qu’en sera-t-il quand l’IA aura ce petit quelque chose en plus qui rattrape la créativité humaine ? https://www.ouest-france.fr/culture/livres/lintelligence-artificielle-affole-le-monde-de-ledition-5703c26c-f892-11ee-996f-cb486090b639