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[L'Obs: Saint-Etienne, les démons d'une villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia en crise](https://www.nouvelobs.com/economie/20240318.OBS85896/saint-etienne-les-demons-d-une-ville-en-crise.html? )
Emplois, commerces, logements… Alors que la plus grande entreprise de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia, Casino, s’apprête à licencier en masse, portrait d’une ancienne cité ouvrière qui peine à sortir du marasme.
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Par Morgane Bertrand publié le 18 mars 2024 à 18h00
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8 min
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Impossible de le manquer quand on arrive en train à Saint-Etienne. Juste en face de la gare trône le siège du groupe de distribution Casino, fondé par Geoffroy Guichard il y a cent vingt-cinq ans. Une fierté locale. Monumental immeuble de verre, il a été inauguré en 2007 pour remplacer le siège d’origine, le fameux Casino lyrique, trop petit et vétuste pour accueillir les cadres d’une entreprise devenue multinationale. Avec ses 47 000 mètres carrés de bureaux, six étages, un double parking et un appartement privé, il a compté jusqu’à 2 000 salariés, faisant de Casino le premier employeur privé de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia. Comptables, informaticiens, acheteurs…, tous là pour faire tourner les hypers et supermarchés du groupe.
« Antoine Guichard cherchait plus grand et hésitait à quitter la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia. Pour le convaincre de rester, je lui ai montré le plan du nouveau quartier d’affaires », raconte Michel Thiollière, maire UDI de 1994 à 2008. Et quand le petit-fils du fondateur a passé la main à Jean-Charles Naouri, en 1998, il lui a fait promettre de garder cet ancrage stéphanois.
Sauf que Casino est aujourd’hui vendu à la découpe, Naouri, hors jeu, et l’avenir du siège et de ses 1 800 salariés, plus incertain que jamais. Le consortium de repreneurs – les milliardaires Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de Lacharrière associés au fonds Attestor, qui en prendront le contrôle le 27 mars – a bien promis de conserver le lieu. Mais avec qui ? La quasi-totalité des hypers et supermarchés Géant vient d’être cédée aux concurrents Intermarché, Auchan et Carrefour.
Partir pour « devenir quelqu’un » ?
Au siège, seules quelques centaines d’employés en charge des supérettes de proximité (Vival, Spar, Petit Casino) s’activent encore. Autour, on refait son CV et son profil LinkedIn. « Les salariés n’ont plus rien à faire, regrette un syndicaliste. Ça donne une idée de la casse sociale à venir. Si on reste ici, on n’occupera plus qu’un étage ! »
Ces employés trouveront-ils un nouveau travail sur place ? Didier Marion, délégué syndical CFE-CGC du groupe, en doute : « Saint-Etienne n’est pas une villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia d’emplois tertiaires. Beaucoup de cadres stéphanois travaillent sur Lyon. Saint-Etienne en souffre, d’ailleurs… » La capitale ligérienne chantée par Bernard Lavilliers serait-elle condamnée à rester cette terre aux « portails verrouillés, wagons immobiles, tours abandonnées », dont il faut partir pour « devenir quelqu’un » ?
Les représentants syndicaux de Casino, devant le siège social du groupe.
Les représentants syndicaux de Casino, devant le siège social du groupe. (HUGO RIBES POUR « L’OBS »)
Le site de la gare de Chateaucreux où se trouve le siège de casino.
Le site de la gare de Chateaucreux où se trouve le siège de casino. (HUGO RIBES POUR « L’OBS »)
La vente des Géant devrait entraîner la suppression de 2 000 postes d’après les syndicats, dont au moins 1 400 au siège. La menace plane aussi sur les emplois qui en dépendent : pizzerias, tavernes, hôtels voisins et partenaires ligériens. « Si Casino réduit encore la voilure, il faudra que je me sépare de trois ou quatre personnes », calcule Thomas Vincent, patron d’une petite entreprise de réparation de chariots de manutention.
Or cette réduction est bien dans les cartons. Les autres enseignes du groupe – Franprix, Monoprix, Naturalia – devraient aussi assister à un rétrécissement de leurs sièges, respectivement installés à Vitry et à Clichy, en région parisienne. « Chaque enseigne dispose de toutes les fonctions, il y a des doublons partout ! » pointe un connaisseur du dossier. Les rescapés de cette rationalisation au forceps pourraient venir repeupler le paquebot stéphanois. Ou pas.
« A chaque fois qu’on déménage un siège, il y a des suppressions d’emplois. Quand on est passé de Croissy-Beaubourg à Vitry, on a perdu 30 % des effectifs », rappelle -Philippe Guirao, délégué syndical CFE-CGC à Vitry. A 57 ans, lui-même ne se voit pas déménager : « Ma femme a un bon travail en Ile-de-France. Je pourrais faire du télétravail, mais on ne me le proposera pas. Je suis trop près de la retraite. »
Nathalie (le prénom a été changé), cadre quinqua à Saint-Etienne, prépare, elle, sa valise : « Dès que tout ça sera terminé, je pars vivre dans le Sud ! Casino versait des salaires intéressants, je ne trouverai rien d’autre ici, pas à ce prix, pas à mon âge. »
Triste publicité pour une villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia encore traumatisée d’avoir été réduite à une « capitale des taudis » par « le Monde » en 2014, puis à l’un des « quartiers perdus de la République » par le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, en 2017.
Le taux de pauvreté caracole
L’histoire de Saint-Etienne est, de fait, marquée socialement. Disparition de l’activité minière et sidérurgique dans les années 1970, liquidation en 1985 de Manufrance, société de vente par correspondance de vélo et d’armement, fermeture de la Manufacture des Armes de Saint-Etienne en 2001 et, à bas bruit, de quantité d’usines dans les années 2000 (Jean Caby, Kennametal, GFD Fontana, Staub…) : l’agglomération stéphanoise a payé au prix fort la désindustrialisation du pays.
La brasserie Geoffroy Guichard est située dans le stade et donne sur la pelouse. On y trouve un ensemble d'objets relatant l’histoire glorieuse du club.
La brasserie Geoffroy Guichard est située dans le stade et donne sur la pelouse. On y trouve un ensemble d'objets relatant l’histoire glorieuse du club. (HUGO RIBES POUR « L’OBS »)
La villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia, qui compte 176 000 habitants, en a perdu 50 000 en cinquante ans. Et si sa population semble augmenter légèrement depuis dix ans, le taux de pauvreté caracole à 28 %, près du double de la moyenne française. Fin 2023, le taux de chômage était de 8 %, contre 6,1 % pour Grenoble, sa rivale économique.
Ces difficultés se traduisent dans les prix de l’immobilier : « Les maisons de périphérie se vendent bien, mais c’est difficile pour les grands logements de l’hypercentre, observe Yohan Peyrard, directeur de l’agence immobilière 42e Avenue. Alors qu’on est une des grandes villes les moins chères de France ! » Comptez 1 500 euros le mètre carré.
Elles se voient aussi dans l’offre commerciale : « A Andrézieux-Bouthéon [à une quinzaine de kilomètres, NDLR], vous avez tout : commerces, restaurants et loisirs. » Dans le centre-villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia, en revanche, les boutiques ferment. A l’exemple de la Fnac, partie en périphérie et remplacée par un centre de santé… qui vient de capoter. Ou de Zara, qui serait tenté de rejoindre le centre commercial périphérique Steel. Quant aux halles alimentaires Mazerat, inaugurées en 2021, elles ne parviennent pas, malgré leur élégance, à attirer des commerçants, rebutés par des loyers trop élevés – une dizaine d’emplacements sont vides.
Dans ce contexte, les 30 000 étudiants de Saint-Etienne, qui profitent d’établissements supérieurs performants – université Jean-Monnet, Ecole des Mines, Ecole nationale d’ingénieurs, Ecole supérieure d’art et design… –, sont une bouffée d’air.
« Sans eux, notre villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia serait beaucoup plus morose, estime Yohan Peyrard. Ils sont jeunes, dynamiques et attirent les investisseurs. » Problème : ils sont fauchés (39 % des moins de 30 ans vivent sous le seuil de pauvreté) et ne s’installent pas durablement. L’annexe stéphanoise de Sciences-Po Lyon, ouverte il y a cinq ans, peine à faire le plein : « Au concours d’entrée, ce sont les places les plus difficiles à remplir, admet un spécialiste de Parcoursup. Les étudiants préfèrent Lyon. »
Pas question pour autant de fermer – à la différence de l’EM Lyon, école de commerce privée qui a annoncé son départ en octobre dernier. « La formation des cadres supérieurs, pour étoffée et riche qu’elle soit, se poursuit de manière déconnectée des possibilités locales d’emplois, lit-on dans “Sociologie de Saint-Etienne” (La Découverte). […] Saint-Etienne peine à exister aux côtés de Lyon, qui semble aspirer les emplois tertiaires supérieurs. »
Depuis vingt-cinq ans pourtant, les élus s’échinent à redonner du lustre à la « villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia noire » en aérant, ravalant, draguant les entreprises. A commencer par l’ancien maire Michel Thiollière. Féru d’architecture, il a fait sortir de terre le quartier de bureaux de Châteaucreux, et transformé la Manufacture d’Armes en Cité du Design.
« On me disait : “C’est trop beau, c’est trop cher”, comme s’il était interdit aux gens pauvres de rêver ! Je me suis battu pour qu’on voie Saint-Etienne telle qu’elle est devenue, dotée d’un tissu de PME et de TPE dynamiques, dans un environnement très favorable. »
Ses successeurs en ont fait autant, et certaines entreprises l’ont entendu. A l’exemple de Dessintey, 25 salariés, créée en 2017 sur le territoire de la métropole (à Saint-Jean-Bonnefonds), en lien avec le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, qui fabrique du matériel de rééducation ultra-innovant pour les personnes victimes d’AVC. « Dès le démarrage du projet, on a travaillé avec des designers de la Cité du Design pour concevoir le matériel et le logiciel, raconte Nicolas Fournier, confondateur et codirecteur de la PME. Et on a pu se développer très vite parce qu’on a trouvé ici l’expertise en mécanique, en optique… On a déposé six brevets. Ailleurs, avec un projet comme le nôtre, on n’est jamais prioritaires. » Sur le département, la création d’établissements industriels en 2022 a progressé de 25,2 %, contre 7,6 % à l’échelle de la région et 15,1 % à l’échelle de la France, rappelle-t-on à la chambre de commerce et d’industrie de Saint-Etienne.
Sauf que les politiques d’attractivité n’ont pas fonctionné aussi bien qu’espéré, c’est-à-dire au point de transformer l’image de la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia. « Elles ont cherché, comme la plupart des villes françaises et européennes, à attirer des groupes sociaux plus favorisés, mais ils ne sont pas venus », analyse le sociologue Vincent Béal. Au lieu de se gentrifier, des parties du centre se sont paupérisées. Effet, selon le chercheur, d’un « stigmate social » : « Saint-Etienne a souffert de l’image négative d’une villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia industrielle, populaire, sans grande valeur patrimoniale. Ce stigmate se perpétue et masque une réalité beaucoup plus nuancée. »
« Premier “kompromat” à la française »
Labellisée « Ville d’art et d’histoire » pour son patrimoine industriel, elle détient une collection unique d’art moderne, constituée grâce au mécénat de Casino, un Opéra, un festival couru de musiques actuelles, des tiers-lieux… « C’est une villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia culturelle avec une vie associative intense, abonde Eric Jourdan, directeur de la Cité du Design. On devrait être le Berlin français ! »
La Cité du Design, bâtie dans l'ancienne Manufacture d’Armes.
La Cité du Design, bâtie dans l'ancienne Manufacture d’Armes. (HUGO RIBES POUR « L’OBS »)
Las. Ce ne sont pas de ces atouts méconnus dont on parlera dans les prochaines semaines. Outre le drame social qui se prépare chez Casino, deux procès vont défrayer la chronique. Celui, en juin, de l’ancien secrétaire d’Etat (PS) Thierry Mandon, soupçonné du détournement de 21 000 euros lors de son passage à la tête de la Cité du Design entre 2018 et 2022 – il plaide la négligence et a remboursé la somme.
Beaucoup plus lourd : le maire lui-même, Gaël Perdriau (LR), devrait être jugé début 2025 pour chantage et détournement de fonds. En août 2022, Mediapart révélait que l’ex-premier adjoint centriste Gilles Artigues était la cible d’un chantage à la sextape, via une vidéo montrant ce catholique, proche de la Manif pour tous, se faire masser par un escort-boy à l’hôtel. L’opération aurait été commanditée par Perdriau et son directeur de cabinet dans le but de neutraliser l’élu. Le maire, qui clame son innocence, ne s’est mis en retrait que de la métropole.
« Saint-Etienne, lieu du premier “kompromat” à la française, c’est inimaginable ! s’étrangle Lionel Boucher, ex-adjoint (UDI) passé dans l’opposition à la suite des révélations. Si on avait un édile fort, il pourrait mobiliser le monde économique, aller à la table du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, préparer l’après-Casino ! Au lieu de quoi, on nous évite. Lors de l’Euro 2016, les entreprises se pressaient pour faire du mécénat. Pour la Coupe du Monde de Rugby en 2023, plus personne ne voulait poser en photo avec le maire ! »
Depuis deux ans et demi, les ministres contournent l’hôtel de villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia. Même Laurent Wauquiez n’y met plus les pieds – il a refusé de parler à « l’Obs ». Il a écrit aux Stéphanois, sans prévenir le maire, que la région allait débloquer 46 millions d’euros pour soutenir la métropole. Mais « pas un seul projet ne concerne la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia », pointe Isabelle Dumestre, conseillère municipale PS. Or l’état des finances est critique :
« Comme toutes les collectivités locales, Saint-Etienne fait face à l’inflation. Alors qu’il faudrait se battre pour aller chercher les subventions de l’Etat et de la région, on a un maire toxique. »
Dans le dossier Casino, les salariés comptent moins sur leur édile que sur le député Renaissance Quentin Bataillon, qui a organisé la rencontre entre l’intersyndicale et le ministre de l’Economie… « On ne peut pas attendre les prochaines élections municipales pour passer à autre chose, estime Lionel Boucher. La compétition entre les territoires est forte. Voyez comment Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand [dans les Hauts-de-France] se tirent la bourre pour attirer les entreprises ! Pour être dans le champ de vision, il faut chasser en meute – villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia, métropole, département, région. Or Saint-Etienne est isolée. On est arrivés tard sur France 2030 [le plan d’investissements pour la réindustrialisation], on n’est pas fléchés pour le RER métropolitain… »
La boutique du club de l’ASSE.
La boutique du club de l’ASSE. (HUGO RIBES POUR « L’OBS »)
Reste une mythologie stéphanoise, qui résiste à tout : les Verts, équipe de foot créée par Casino, aux couleurs d’origine de la marque, et qui est devenue le symbole d’une villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia qui ne se résigne pas. « A la machine à café, c’est de ça qu’on parle », s’amuse une Stéphanoise. Les épreuves de foot des Jeux olympiques, fin juillet, devraient aussi faire vibrer le stade Geoffroy-Guichard. Et quand « le Chaudron » s’enflamme, toute la France est derrière Saint-Etienne.
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