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| ====== Chiara Ferragni, splendeur et misère d’une influenceuse] ====== | |
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| [Chiara Ferragni, splendeur et misère d’une influenceuse](https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/03/15/chiara-ferragni-splendeur-et-misere-d-une-influenceuse_6222126_4500055.html?lmd_medium=pushweb&lmd_campaign=pushweb&lmd_titre=chiara_ferragni_splendeur_et_misere_d_une_influenceuse&lmd_ID=6222382 ) | |
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| JM | |
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| SCOTT RAMSAY KYLE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE » D'APRÈS LES PHOTOS DE RODOLFO SASSANO, INDEPENDENT PHOTO AGENCY SRL, SFM PRESS REPORTER, GIANNI PASQUINI / ALAMY STOCK PHOTO | |
| M LE MAG | |
| ITALIE | |
| Chiara Ferragni, splendeur et misère d’une influenceuse | |
| Par Allan Kaval (Rome, correspondant) et Aureliano Tonet | |
| Publié hier à 05h30, modifié hier à 12h11 | |
| Temps deLecture 17 min. | |
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| PORTRAITEn décembre 2023, l’image de la star italienne d’Instagram s’est ternie. Condamnée pour promotion frauduleuse, en crise avec son mari, le rappeur Fedez, la reine des influenceuses traverse une véritable descente aux enfers, alimentée par Giorgia Meloni en personne. | |
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| Une larme perce le masque. Chiara Ferragni, 36 ans, près de 30 millions d’abonnés sur Instagram, sait que toute l’Italie la regarde. En ce dimanche 3 mars, elle est invitée à « Che tempo che fa » (« le temps qu’il fait »), une institution de la télévision publique, passée sur la chaîne privée Nove. Au fil d’un montage vidéo, l’influenceuse voit défiler sa vie. Elle voit les cheveux châtains de sa jeunesse, avant qu’elle ne les blondisse. Tremblante, elle voit son visage, capturé en une infinité d’images, reproduit sur des couvertures de magazine. Elle se voit aux commandes de son entreprise dans une salle de réunion aux murs blancs, voit son corps vêtu de tenues splendides, émergeant, une jambe après l’autre, d’imposantes automobiles sombres. | |
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| Passée sur le plateau après un survivant des centres de torture libyens et le père d’une victime de féminicide, elle voit son reflet rayonnant recevoir la médaille de la ville de Milan pour son rôle dans la lutte contre le Covid-19. Et, contenant l’émotion derrière son maquillage, elle se voit monter, au faîte de sa gloire, sur la scène du festival de la chanson de Sanremo en février 2023, dans une robe Dior en trompe-l’œil, évoquant le corps nu d’une Eve de la Renaissance. | |
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| « C’est ça, le phénomène ! Le phénomène que tu as construit ! », s’exclame l’animateur, Fabio Fazio. Juste avant, il a confié à son invitée qu’elle lui faisait penser à Robert Oppenheimer. Le physicien a inventé la bombe atomique ; l’entrepreneuse a inventé l’une des machines les plus puissantes de l’influence en ligne, devenant immensément célèbre, immensément désirée par les marques et faisant de chaque moment de son existence et de celle de sa famille, formée avec le rappeur Fedez et leurs deux enfants, l’objet de publications rémunérées. Robert Oppenheimer avait fini hanté par les remords devant la puissance destructrice de sa création ; Chiara Ferragni voit trembler l’édifice de contrats marketing et de communautés virtuelles qu’elle avait patiemment bâti. | |
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| « Pandoro Gate » | |
| Car, si la star est autant scrutée ce dimanche 3 mars, c’est qu’elle prend pour la première fois la parole depuis qu’un scandale a éclaté, fascinant toute l’Italie. Le détonateur en fut un pandoro, une brioche en forme d’étoile, couverte de sucre glace, traditionnellement servie à Noël. Mi-décembre, l’autorité de la concurrence a condamné l’entreprise de l’influenceuse à une amende de 1,1 million d’euros pour une campagne menée un an plus tôt avec la marque Balocco. Jugée frauduleuse, elle laissait penser que les recettes d’une série limitée de gâteaux griffés Chiara Ferragni et vendus trois fois le prix ordinaire iraient à un hôpital pour enfants de Turin. Une donation avait en réalité été effectuée auparavant par le fabricant, pour un montant de 50 000 euros. Bien peu, si on compare la somme à celle que Chiara Ferragni a touchée pour sa participation : environ 1 million d’euros… | |
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| L’affaire a eu un retentissement tel que la présidente du conseil italien d’extrême droite, Giorgia Meloni, a fait huer Chiara Ferragni sur la scène du rassemblement annuel de son parti, Fratelli d’Italia. Connue pour ses positions progressistes, affichant un mode de vie cosmopolite et privilégié, l’influenceuse incarne l’antithèse de ceux que la populiste prétend représenter. | |
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| Ses épreuves ne se sont pas limitées au « Pandoro Gate », ainsi que la presse désigne le scandale. Dix jours avant l’émission, le site Internet Dagospia a révélé que son époux, Fedez, avait quitté le domicile conjugal. Bien qu’elle porte son alliance sur le plateau, Chiara Ferragni reconnaît une crise, la plus grave depuis leur rencontre, en 2016. En quelques semaines, ce que la Péninsule avait de plus proche d’une famille royale a explosé. Et tous les Italiens de se déchirer, lors des fêtes de fin d’année, autour d’une même question : malice ou incompétence ? | |
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| Dans la foulée du « Pandoro Gate », quatre affaires similaires ont éclaté, autour d’œufs de Pâques, de poupées, de sweat-shirts et d’accessoires de mode. Les entreprises (Dolci Preziosi, Trudi, Oreo, Soleterre) et leur ambassadrice soutiennent que leur vente a financé des opérations de charité ; la justice est moins affirmative. L’architecture complexe des sociétés de Chiara Ferragni a aussi fait l’objet d’un article du magazine L’Espresso, le 8 mars. Sur la couverture, l’influenceuse figure maquillée comme le Joker, l’ennemi de Batman, derrière un titre aguicheur, « Le côté obscur de Chiara ». | |
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| Une « success story » | |
| La crise est telle que la jeune femme a fait appel au cabinet de conseil en réputation Community dont un des associés, Roberto Patriarca, patiente, surmené, dans les coulisses de l’émission. La société est spécialiste des accidents industriels : elle a conseillé la famille Benetton, notamment propriétaire d’un réseau autoroutier, lors de l’effondrement du pont de Gênes, en 2018. Sur le plateau, répondant aux questions plutôt conciliantes de Fabio Fazio, Chiara Ferragni enfile les éléments de langage : « authenticité », « sincérité », « bonne foi ». Ceux-là mêmes que, par l’intermédiaire de Roberto Patriarca, elle nous a fait parvenir par écrit, en réponse à nos questions, après des semaines de négociations. « Je sors de deux mois durant lesquels j’ai dû affronter une hostilité à laquelle je pensais être préparée, déclare-t-elle. La vérité est que rien ne peut vous préparer à un tel degré de violence. » | |
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| Le scandale a éclaté en décembre, le mois où, d’ordinaire, Milan resplendit dans toute sa superbe. Le Théâtre de la Scala ouvre sa saison lyrique, les panettoni sortent des fours pour régaler les tablées de fin d’année, les vieilles dames élégantes endossent leurs fourrures pour faire du lèche-vitrine. En cette période de triomphe du capitalisme lombard, sa plus fameuse représentante a donc amorcé une chute vertigineuse. Rien de plus milanais qu’un tel retournement. Milan est une ville de lignes brisées. Lignes brisées des câbles du tram, des rues qui s’encastrent, lignes brisées des valeurs boursières, des modes et des mélodies qui scandent cette capitale de la finance, du luxe, de la musique ou des médias. Lignes brisées des carrières et des destins, fatalement. | |
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| Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Les influenceurs, nouveaux favoris de la mode | |
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| Le parcours de Chiara Ferragni ne fut d’abord que pure ascension, la success story d’une fille de province ayant réussi dans la grande ville. Tout commence à Crémone, une paisible cité de soixante-dix mille habitants proclamée « capitale du violon », à une centaine de kilomètres au sud-est de Milan. Le père est dentiste, la mère, directrice artistique pour une marque de vêtements. Encouragée par cette dernière, qui la filme et la photographie dès son plus jeune âge, Chiara Ferragni se lance à l’adolescence dans une carrière de mannequin, interrompue par son inscription en droit à la prestigieuse université Bocconi, à Milan. | |
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| En 2009, à 22 ans, elle ouvre un blog, « The Blonde Salad », avec son petit ami d’alors, Riccardo Pozzoli, dans lequel elle fait part de son amour de la mode. « Tout a changé depuis l’époque où nous étions associés… Il m’est délicat de vous parler », s’excuse l’homme d’affaires, aujourd’hui à la tête de start-up. Comme beaucoup de ceux que nous avons sollicités, les responsables de l’université Bocconi se retranchent derrière une prudence gênée. « Tout ce que nous pouvons vous dire, c’est que Chiara Ferragni n’a pas fini son cycle d’études chez nous », élude-t-on. Quelques mois après l’ouverture du blog – un des premiers spécialisé dans la mode en Italie –, elle se fraie une place dans les défilés les plus prisés, au culot. « Pour des millions d’Italiennes de province, Chiara Ferragni a symbolisé l’accès à un monde nouveau, celui du capitalisme global et numérique », souligne le poète et musicien Andrea Poggio. | |
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| Du blog aux podiums | |
| La blogueuse prend le train d’Instagram, où, à partir des années 2010, se joue le destin de plus en plus dématérialisé de la mode. Les posts de blog deviennent des stories, et les lecteurs, des followers – la barre des dix millions est franchie dès 2017. « The Blonde Salad » prend bientôt les atours d’une holding, abritant un site de vente d’articles de mode et une ligne de chaussures – « des sneakers, des ballerines et des mocassins mignons et confortables, ornés du même logo, un œil aux airs d’émoji », ainsi que la décrit la Harvard Business Review, qui se penche sur sa réussite en 2015. Deux ans plus tard, Forbes la sacre « top influenceuse de la mode » : installée de 2013 à 2016 à Los Angeles, la voilà devenue une icône planétaire. | |
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| Cette intrusion crispe la frange la plus élitaire du milieu de la mode. Sous couvert d’anonymat, une cadre d’une enseigne de luxe raconte l’effroi de ses collègues quand un de leurs produits se retrouvait sur une story de l’influenceuse : « On organisait une réunion de crise pour démasquer le traître qui le lui aurait offert… La vérité, c’est qu’elle se l’était acheté toute seule. » Pragmatique, devant un tel succès, l’essentiel de la filière se fait, cependant, à sa présence. De Gucci à Guess, des marques de luxe comme des griffes plus abordables la courtisent. Elles la paient pour porter une de leurs créations, et qu’elle les mentionne dans ses posts. | |
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| A Milan, les défilés ne commencent pas avant que n’ait pris place « la » Ferragni. « Elle était assise à côté d’Anna Wintour, la célèbre directrice du Vogue américain », se souvient Maria Corbi, journaliste mode au quotidien La Stampa. De Maria Grazia Chiuri – l’actuelle directrice artistique des lignes féminines de Dior – à Donatella Versace, des grands noms se lient à l’influenceuse. « Son histoire est celle de la “fille d’à côté” qui se serait construit son château de princesse », analyse Barbara Stefanelli, directrice adjointe du Corriere della Sera. | |
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| Un conte de fées | |
| Le rôle du prince charmant est tenu par Federico Lucia, alias Fedez. A bien des égards, ce rappeur de 34 ans, dont les principaux titres (Mille, La dolce vita, Disco Paradise…) cumulent plusieurs dizaines de millions d’écoutes sur Spotify, est l’opposé de Chiara, polie jusqu’au bout des ongles. Lui surjoue le personnage de garnement éruptif qu’il s’est construit depuis ses débuts, en 2007. Tatoué de la tête aux pieds, originaire de la banlieue sud de Milan, n’ayant pas son bac, cet amateur de boxe et de néologismes hasardeux dit descendre de Ninco Nanco (1833-1864), un mythique brigand méridional. | |
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| En 2016, un morceau de rap dans lequel il la cite tombe dans l’oreille de l’influenceuse. Un an plus tard, il la demande en mariage, lors d’un concert aux arènes de Vérone. Surmédiatisée, la cérémonie a lieu à l’été 2018, en Sicile. L’évêque local écrit quelques vers rappés, qui ne seront finalement pas lus. Alitalia, la compagnie aérienne nationale, met un avion à la disposition des invités. On distribue des poupées à l’effigie des époux – la mise en vente de ce modèle, pour lutter contre le harcèlement scolaire, se trouve aujourd’hui dans le collimateur de la justice. | |
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| « L’alliance de leurs personnalités et de leurs publics a créé une marque d’une puissance inédite », confie la journaliste Maria Laura Rodotà, qui collabore notamment à La Stampa. Ils sont désormais les « Ferragnez » – l’expression fera même son entrée dans l’encyclopédie de référence, Treccani. Leur quotidien, jusque dans ses retranchements les plus intimes, est jeté en pâture aux followers et, à partir de 2021, aux spectateurs des Ferragnez, série (disponible en France sur Prime Video) calquée sur celle qui fait la fortune de la famille Kardashian aux Etats-Unis : la naissance de leurs deux enfants, Leone et Vittoria, en 2018 et en 2021, documentée dès les premières échographies ; les problèmes de santé de Fedez – cancer au pancréas, dépression… « Ils ont redéfini le sens du verbe “suivre”, analyse l’écrivain calabrais Nicola H. Cosentino. Je ne les suis pas sur les réseaux, mais je connais leur vie dans leurs moindres détails. Chaque pays dispose de son roman national. Les Ferragnez ont fait basculer l’Italie dans l’ère de l’autobiographie nationale. » | |
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| L’envers du décor | |
| La langue italienne dispose d’un mot pour qualifier de tels bruits de fond : la « confusione ». De fait, c’est à une assourdissante confusion que le couple soumet le pays. Confusion entre le privé et le public, le luxe et la consommation de masse, le profane et le religieux, les affaires et la charité, le spectacle et la politique. Voici Fedez affichant son soutien aux minorités sexuelles ou ethniques ; voilà le même gaspillant de la nourriture, dans un supermarché Carrefour privatisé pour son vingt-neuvième anniversaire. La patronne de « The Blonde Salad » se laisse, de même, cuisiner à toutes les sauces : en 2020, un collage de son ami l’artiste Francesco Vezzoli va jusqu’à la figurer en Madone. | |
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| C’est au festival de la chanson italienne, à Sanremo, que cette confusion atteint son paroxysme. En février 2023, Chiara Ferragni coprésente l’une des cinq soirées de cette institution, qui tient autant de la messe que du carnaval. Pour la reine des influenceuses, il s’agit d’un couronnement, en même temps que le début de sa descente aux enfers. Dans sa robe Dior multipliant les jeux de transparence, elle lit sur scène une lettre adressée à la petite fille qu’elle était – manière de dire aux jeunes Italiennes que sa réussite est à leur portée. Le même soir, Fedez lui vole la vedette, brûlant sur scène la photographie d’un ministre d’extrême droite, avant d’embrasser à pleine bouche un confrère rappeur. « Chiara m’a frappé par sa politesse et son grand professionnalisme, loue le directeur artistique et présentateur du festival, Amadeus. Ce qui lui arrive aujourd’hui ne peut être que le résultat d’un court-circuit. » | |
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| Le « Pandoro Gate » est arrivé et tout a changé. Chiara Ferragni a tourné cet hiver un spot pour Coca-Cola. Il aurait dû être diffusé lors de la dernière édition du festival, en février. Il a été annulé. L’anecdote fait sourire la journaliste Selvaggia Lucarelli, qui énumère les marques qui ont interrompu leur collaboration : Pigna, Safilo… « J’ai publié un article en décembre 2022 où j’émettais des doutes sur l’opération de charité liée au pandoro Balocco, sponsorisée par Chiara Ferragni, se souvient celle qui est aussi jurée dans la version italienne de “Danse avec les stars” et qui s’est fait un nom en dénonçant tous types de communications mensongères. Elle disposait d’un tel soutien médiatique, à l’époque, que mon enquête est passée assez inaperçue. Mais la suite m’a donné raison. » | |
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| Impayable dans son survêtement rouge vif, la « Némésis » de l’influenceuse attire les regards dans le bar feutré de Milan où nous la retrouvons. Elle dit préparer un livre sur les pratiques de Chiara Ferragni, à paraître en avril. « J’y mets au jour un système visant, selon moi, à leurrer le consommateur », cingle-t-elle. L’intéressée clame, elle, sa « bonne foi ». Après avoir plaidé l’« erreur de communication » dans une vidéo lacrymale dont se sont repus les Italiens lors des fêtes de fin d’année, elle donne, aujourd’hui, sa version. « Je n’ai jamais participé à une opération de bienfaisance par intérêt personnel, mais pour soutenir des causes qui me sont chères, dans l’espoir de créer un effet d’émulation, relate Chiara Ferragni, par écrit. J’étais connue avant de m’engager pour ces causes, il ne s’est jamais agi d’accroître ma popularité. » | |
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| Une marque de luxe | |
| La célébrité, c’est le fonds de commerce d’une autre figure redoutée du journalisme italien, Roberto D’Agostino, le fondateur du site Dagospia, spécialisé dans les indiscrétions, qui a révélé la rupture du couple. « De tous temps, les humains se sont inventé des dieux pour combler leur insatisfaction. Les “Ferragnez” ne sont qu’un avatar de ce besoin fondamental, prêche le vieux hippie. Il arrive que les dieux, par orgueil, chutent de l’Olympe. » | |
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| « A ses débuts, Chiara Ferragni apparaissait comme quelqu’un avec qui on pouvait s’identifier, glisse la journaliste Maria Corbi. En évoluant, elle est devenue inatteignable. » Pour elle, comme pour tant d’analystes de la chute de Ferragni, l’emménagement de l’influenceuse et de sa famille dans un immense duplex du quartier luxueux de City Life à Milan, en novembre, a marqué une rupture. La visite guidée sur Instagram de l’appartement avait peut-être été pensée comme un moyen d’entretenir la curiosité des followers. Elle a ressemblé à un étalage gratuit d’opulence. « Les “Ferragnez” ont affiché leur cinéma privé et leurs meubles de créateurs, alors que Milan traverse une grave crise du logement et que personne ne trouve d’appartement à louer », rappelle le journaliste Michele Masneri, qui chronique dans le quotidien Il Foglio les péripéties de la haute société. Installé à une table du palace Cipriani de la ville lombarde, le dandy ajoute : « Le Milan de Chiara Ferragni est devenu une marque d’un tel luxe que les Italiens ne peuvent plus se la permettre. » | |
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| SCOTT RAMSAY KYLE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE » D'APRÈS LES PHOTOS DE BOERESCU FLAVIU, INDEPENDENT PHOTO AGENCY SRL, STEFANO POLITI MARKOVINA, MATTEO FRANCHETTO / ALAMY STOCK PHOTO | |
| De fait, la carrière de Chiara Ferragni s’est construite à l’ombre des grues qui transformaient sa ville d’adoption. Cité prospère mais peu attrayante, Milan a voulu se hisser au rang de métropoles comme Londres ou New York, dans le sillage de l’exposition universelle de 2015. « A la Milan productive de jadis s’est substituée une Milan du paraître », regrette l’urbaniste Lucia Tozzi, autrice de L’Invenzione di Milano (Cronopio, 2023, non traduit). Au moment où la skyline se hérissait de gratte-ciel signés de grands architectes internationaux, des mesures fiscales incitaient les riches expatriés à rentrer au pays, Milan leur offrant un cadre suffisamment mondialisé pour qu’ils s’y sentent chez eux. L’incarnation par excellence de cette ville en suspens, survolant les citadins ordinaires ? Les tours, dont la construction, comme la carrière de Chiara Ferragni, a commencé en 2009. « Dans ce Milan-là, aux airs d’émirat, Chiara vivait comme elle aurait pu vivre à Dubaï », pointe Michele Masneri. | |
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| Dans le même bar du Cipriani, la journaliste Michela Proietti a rendez-vous avec le président de Tod’s, Diego Della Valle. Avant de le rejoindre, elle explique pourquoi l’influenceuse n’a jamais été assimilée par la haute société milanaise. « On respecte sa capacité à marier vie de famille et esprit d’entreprise, nuance celle qui a dressé le portrait-type des Milanaises dans deux best-sellers (La Milanese et La Milanese 2, Solferino, 2020 et 2021, non traduits). Mais ses valeurs ne sont pas celles des vieilles fortunes d’ici, beaucoup plus discrètes. » On dit souvent que, à Milan, les plus grandes beautés sont cachées derrière les palais aux façades austères : à en croire ses élites, cette ville-là serait plus mystérieuse que monumentale. Michela Proietti conclut, avec un sens de l’euphémisme typiquement milanais : « Chiara est à la fois plus provinciale et plus internationale que Milan. » | |
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| La « citoyenne de nulle part » | |
| Avec ses voyages, son anglophonie presque parfaite, son existence en apesanteur, Chiara Ferragni symbolise la bête noire de tous les populistes : une « citoyenne de nulle part ». C’est ainsi que, dans un discours prononcé en 2016, quelques mois après le vote du Brexit, la première ministre britannique, Theresa May, avait attaqué ceux qui se croient citoyens du monde. A ce fantasme, Chiara Ferragni a fourni une incarnation parfaite. Soutien fidèle, avec son mari, de la cause LGBT – le pays ne reconnaissant toujours pas le mariage des couples homosexuels –, elle a associé son nom à une importante association de lutte contre les violences faites aux femmes, Donne in rete contro la violenza. Au moment de son apogée, en février 2023, elle déclarait à l’édition italienne de Vanity Fair : « J’espère que les réseaux sociaux vont devenir toujours plus des lieux d’activisme (…) où agir, résoudre les problèmes. » | |
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| Les déconvenues de Chiara Ferragni, sa duplicité supposée, sont donc aussi une victoire du camp réactionnaire. Giorgia Meloni jouit non seulement de l’absence d’une opposition politique solide, mais elle dispose, avec l’influenceuse, d’un repoussoir idéal. Après l’avoir prise pour cible devant ses partisans au moment où le « Pandoro Gate » a éclaté, c’est encore à Chiara Ferragni que la première femme cheffe de l’exécutif de l’histoire italienne a consacré ses dernières forces, à la toute fin de sa très longue conférence de presse annuelle, le 4 janvier. Tournant en dérision l’indignation qu’auraient soulevée à gauche les piques adressées à l’influenceuse, elle s’est emportée : « Ils se sont énervés ! (…) On aurait dit que j’attaquais Che Guevara ! Eh bien, le monde change ! » La présidente du conseil rendait hommage dans le même mouvement aux travailleurs qui fabriquent les gâteaux de Noël dans les usines de Balocco, oubliés, selon elle, par ses adversaires bien-pensants. | |
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| Les deux Italiennes sont-elles, pour autant, si différentes ? « A bien des égards, Giorgia Meloni est, elle aussi, une influenceuse. Quand l’occasion s’est présentée, elle n’a pas hésité à mettre à terre sa rivale », juge le journaliste Roberto D’Agostino. « Avec ses attaques toutes en sous-entendus contre Chiara Ferragni, Giorgia Meloni a ravivé les antagonismes qui déchirent l’Italie : Rome contre Milan, Sud contre Nord, vraies gens, honnêtes et enracinés, contre élites hypocrites et cosmopolites », analyse son confrère, Davide Piacenza, spécialiste des « guerres culturelles ». | |
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| Une image à réinventer | |
| Giorgia Meloni, qui, comme Chiara Ferragni, a commencé à gravir les échelons très jeune, a fait du récit de soi l’un des moteurs de sa réussite. Bien plus protectrice de sa vie privée, la politicienne fait tout de même de sa fille, Ginevra, 7 ans, un élément central de la narration d’une maternité dévouée, vécue de front avec l’exercice des plus hautes responsabilités. Après avoir remporté les élections de septembre 2022, Giorgia Meloni avait ainsi publié sur Instagram un message écrit par sa fille, à l’encre à paillette : « Maman, je suis si heureuse que tu as [sic] gagné. Je t’aime tellement. » Pour les deux femmes, le clan familial, au sein desquels leurs sœurs sont leurs soutiens les plus proches, joue un rôle essentiel. Chiara Ferragni et Giorgia Meloni ont aussi dépassé de loin la notoriété de leurs ex-conjoints respectifs, l’inconstant Fedez pour la première et, pour la seconde, le présentateur de télévision Andrea Giambruno, tombé en disgrâce pour des propos graveleux prononcés hors antenne. | |
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| Le 25 janvier, leurs trajectoires se sont encore croisées avec l’adoption par le conseil des ministres d’un texte, surnommé « loi Ferragni » par la presse, censé encadrer les dérives des influenceurs. Il prévoit l’obligation pour les producteurs d’indiquer sur l’emballage le montant destiné aux œuvres charitables dans le cadre d’opérations comme celle du pandoro fatidique et une sanction pouvant aller jusqu’à 50 000 euros en cas d’infraction. « Un échec comme celui de Chiara Ferragni aide à légiférer. Les nouvelles règles vont structurer un secteur qui en avait besoin », se félicite Luca Leoni, à la tête de l’agence d’influenceurs Show Reel Media Group. Chiara Ferragni semble sur la même ligne. « Je pense que la nouvelle législation sera utile parce qu’elle comble un vide », nous fait-elle savoir. | |
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| Face à cette crise, Chiara Ferragni doit se réinventer. « Je n’ai jamais eu peur de chercher de nouveaux chemins, même si j’aurais préféré le faire dans un contexte différent, nous écrit-elle, en insistant sur la confiance que continuent de lui accorder la plupart de ses partenaires commerciaux. Je suis totalement consciente que mon business et ma communication devront évoluer, que ma société devra se renforcer en termes de compétences. Mais je ne renoncerai jamais à mon histoire, car je veux me montrer au public telle que je suis. » Cette femme, à force d’être dédoublée par les filtres, les algorithmes et les écrans, sait-elle elle-même qui elle est, au juste ? L’écrivain Nicola H. Cosentino dresse une analogie avec le roman national italien par excellence, Pinocchio. « Je trouve les derniers rebondissements fascinants, d’un point de vue dramaturgique. Elle a l’opportunité de devenir, non plus le pantin, mais l’enfant véritable. » | |
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| Un public passionné et partagé | |
| Dans les studios de « Che tempo che fa », l’interview pénitence de Chiara Ferragni touche à sa fin, entre la voix bienveillante de Fabio Fazio et celle, légèrement voilée, de l’influenceuse. Le présentateur lui demande quel conseil elle voudrait donner aux jeunes pour que la « bombe atomique que sont les réseaux sociaux ne leur explose pas entre les mains ». Elle répond : « Je leur dirais de se rendre compte que les réseaux sociaux ne sont pas tout. » Et d’ajouter qu’elle était « terrifiée », durant la tempête médiatique, à l’idée de mettre un pied au dehors de chez elle : « Au moment où je suis sortie, j’ai trouvé des gens fantastiques qui me demandaient de faire des photos avec eux, comme avant, et qui croyaient en ma bonne foi. Retourner dans le monde réel m’a beaucoup servi et je veux le faire de plus en plus. » | |
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| Elle quitte bientôt le plateau. Trois millions de téléspectateurs ont suivi l’interview, les meilleures audiences de la saison. Une pause publicitaire s’ensuit : dans le nouveau spot pour BMW, Chiara Ferragni brille par son absence, elle qui vantait, il y a peu, les louanges de la marque allemande. Dans le public, Alessandra Guerreiro, 34 ans, n’est pas convaincue. « Je l’ai trouvée très convenue. Elle n’a rien dit de nouveau », déplore-t-elle. Elle s’était procuré l’un des fameux pandori, en 2022, pensant contribuer à la cause caritative affichée. Elle ne pense pas que l’intervention redorera son blason. | |
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| Chiara Ferragni se prépare à partir. A la sortie des studios, une vingtaine de fans crient son prénom alors qu’un van noir aux vitres teintées franchit la grille, entre deux agents de sécurité. Les cris reprennent de plus belle, mais le véhicule s’engage dans la rue, les laissant retentir dans le vide. D’un coup, pourtant, le chauffeur freine. Le van recule vers le petit rassemblement, qui reprend espoir. La porte latérale s’ouvre sur Chiara Ferragni. Elle a le sourire, impeccablement professionnel, de son âge d’or. Deux jeunes femmes lui arrachent un selfie. « Ce soir, elle a réussi à créer de l’empathie. Elle va sortir de cette crise plus forte encore. On peut la croire quand elle dit qu’elle a appris de ses erreurs », affirme Laura, 22 ans, étudiante en médecine. Son amie Alice, 19 ans, étudiante en économie, avait également acheté le pandoro de la discorde. Elle acquiesce : « J’espère qu’elle va continuer. » Alors qu’elles admirent les selfies sur leur téléphone, le van noir démarre pour disparaître bientôt, ligne brisée dans la nuit milanaise. | |
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| Allan Kaval | |
| Rome, correspondant | |
| Aureliano Tonet | |
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