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Agriculture
Bio espagnol ou français : les vraies différences
L'Espagne développe une bio d’exportation de produits bon marché. - Flickr/CC BY 2.0 Deed/Ian Sane
Par Alban Elkaïm
28 février 2024 à 09h28
Mis à jour le 29 février 2024 à 15h45
Durée de lecture : 8 minutes
Le bio espagnol n’est pas un « faux bio ». Il existe toutefois des différences avec la France car leur système agricole est pensé pour l’exportation.
Un faux bio ? En Espagne ? Immangeables ses tomates ? Les propos de Ségolène Royal sur le plateau de BFMTV, le mois dernier, ont provoqué une levée de boucliers générale. Et un petit incident diplomatique, qui a forcé le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, à clarifier publiquement la position de la France : « Le règlement sur le bio est européen. Les tomates espagnoles respectent les mêmes standards que les tomates françaises. »
Pourtant, dans le fond, l’ancienne ministre de l’Environnement ne faisait que verbaliser une idée largement répandue en France. Avait-elle totalement tort ? Il existe bien des différences qui méritent que l’on s’y arrête. Mais la question est plus complexe d’affirmer que l’Espagne produit une bio contrefaite.
Non, le bio espagnol n’est pas un « faux bio ». Pour obtenir le label européen, seul label officiel dans tous les pays de l’Union européenne (UE), il doit respecter le cahier des charges du règlement européen 2018/848, uniformisé au sein des Vingt-Sept. Et les règles sont en général bien respectées, en Espagne comme en France. Sa promesse ? Un mode de production qui « garantit le respect de l’environnement et de la protection du climat, de la biodiversité, de la santé humaine et du bien-être animal […] [et] s’inscrit au cœur du développement durable et de la transition alimentaire », selon l’Agence bio, organisme officiel chargé du développement et de la promotion de l’agriculture biologique en France.
Un label, deux réalités
« Le règlement européen est le fruit d’un accord a minima entre les pays membres, il laisse beaucoup à désirer », regrette Mamen Cuellar-Padilla, enseignante-chercheuse spécialiste de l’agroécologie et la transition alimentaire à l’université de Cordoue, en Andalousie, région qui concentre à elle seule près de la moitié de la surface en bio du pays.
Partout en Europe, les largesses de ces critères permettent à deux réalités de cohabiter : « Il y a un courant agroécologique. Ses producteurs dépendent peu des intrants. La fertilité des sols et le contrôle des parasites se font avec des méthodes très naturelles. Ils pratiquent la rotation des cultures et comptent sur des réseaux de vente et distribution locaux », explique Manuel González de Molina, maître de conférences à l’université Pablo de Olavide, à Sévilleplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigWikikPedia
WikikPedia, et spécialiste de l’agroécologie.
Il y a aussi ce qu’on appelle l’agriculture bio « de substitution d’intrants » : « Elle diffère assez peu de la conventionnelle, et substitue simplement les intrants chimiques par des intrants naturels. Il ne faut pas négliger ses effets positifs, cela réduit largement ses impacts. Mais elle ne cherche pas à changer de modèle, et ne peut permettre d’atteindre les objectifs de transition écologique que l’UE elle-même s’est fixés. »
« Si Mme Royal a pris une tomate de variété Daniela cultivée sous serre en hiver, en effet, ça n’a aucun goût ! »
Les adeptes de la « substitution d’intrants » pratiquent souvent la monoculture, comme la culture de fraises sous serre, à Huelva, ou les produits maraîchers sous serre d’Alméría, dont la tomate est la star. Ils ont donc besoin d’engrais en quantité pour fertiliser les sols, ou de moyens de contrôle des parasites qui, même naturels, altèrent les milieux de manière plus ou moins significative. Certains pesticides à base de cuivre, matière naturelle, peuvent par exemple être toxiques pour certains micro-organismes du sol. Ils utilisent les mêmes canaux de distribution que l’agriculture conventionnelle, où les produits peuvent parcourir de longues distances. La distribution représente en moyenne deux tiers de l’empreinte carbone d’un produit agricole, selon Manuel González de Molina. Dans un pays victime des sécheresses, certains font un usage excessif de l’arrosage. D’autres surexploitent leurs travailleurs.
« Si Mme Royal a pris une tomate de variété Daniela cultivée sous serre en hiver, en effet, ça n’a aucun goût ! s’amuse Manuel González de Molina. Mais ça n’a de goût ni en bio, ni en conventionnel, ni en Espagne, ni en France. » Ce type de culture existe aussi de notre côté de la frontière, comme les grandes fermes maraîchères sous serre chauffées, notamment en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca).
Les mêmes ingrédients, des dosages différents
La proportion est cependant différente. Aucune étude solide ne permet de les quantifier avec rigueur. Ni en Espagne ni en France. « On peut toutefois le supposer. Même si c’est un calcul vraiment grosso modo, qui élude beaucoup de facteurs, propose Manuel González de Molina. Généralement, en Espagne, celui qui est principalement tourné vers l’exportation fera plutôt de la bio de substitution d’intrants. »
Les Espagnols consomment 2,6 milliards d’euros de produits bio — dont 1,3 milliard est produit sur le sol national. Le pays exporte cependant 1,7 milliard d’euros de produits, et exporte donc plus qu’elle ne consomme ses propres produits.
Des employés espagnols emballant des pommes dans le hall de production d’une entreprise agricole fournissant de nombreux supermarchés en fruits et légumes biologiques. © Bernd Von Jutrczenka / DPA / DPA Picture-Alliance via AFP
Et en France ? « L’exportation est un indicateur intéressant, sans être aussi pertinent. Il y a des structures très industrielles, mais tournées vers le marché intérieur, comme les exploitations sous serre en Paca, et d’autres qui exportent beaucoup, mais sont un bio très exigeant, comme le blé et une partie du vin », prévient Jacques Caplat, ingénieur agronome et secrétaire général de l’association Agir pour l’environnement.
La comparaison est tout de même intéressante. En France, le marché bio est de 12 milliards d’euros, les importations de 2,4 millions d’euros et les exportations de 1 milliard d’euros.
« Il y a 10 ou 15 ans, j’aurais dit qu’il y avait entre 5 à 10 % de bio “conventionnelle sans chimie”. Maintenant, c’est plus. De façon très approximative, je dirais peut-être un quart », calcule Jacques Caplat, insistant sur le fait que ce chiffre doit être pris avec précaution.
Une tendance claire semble toutefois se dessiner. L’Espagne a un petit marché bio et exporte beaucoup. La bio de « substitution d’intrants » semble majoritaire. Contrairement à la France, gros producteurs, mais plus gros consommateur encore, où la plupart de la bio serait issue de l’agroécologie.
Une filière pensée pour l’exportation
Autre chiffre intéressant : la valeur de la production bio rapportée à la surface dédiée. L’Espagne compte un peu plus de 2,8 millions d’hectares pour cette filière. Sur la seconde marche du podium européen, juste après la France. En France, la production couvre autour de 70 % du marché (soit 8,4 milliards d’euros). En Espagne, la surface bio produit pour une valeur totale de 3 milliards d’euros.
« En Espagne, l’État a fomenté le développement d’une bio d’exportation de produits bon marché », décrypte Mamen Cuellar-Padilla. Après un démarrage tardif en Espagne, en raison de la dictature, de grands plans de développement de cette filière ont été lancés à partir des années 2000. « Dès le début, ils ont été tournés vers l’exportation au centre de l’Europe, car notre climat [ qui permet de produire à des saisons où les fruits et légumes ne poussent pas ailleurs]nous donnait un accès facile à ce marché consolidé. » La bio a alors été présentée comme un marché de niche permettant de meilleurs revenus.
Faut-il pour autant rejeter le bio espagnol ? Certaines filières largement exportatrices sont adeptes d’une bio très exigeante. C’est le cas des amandes ou d’une partie importante de l’huile d’olive.
L’Espagne exporte plus qu’elle ne consomme ses propres produits. Pxhere/CC0
Par ailleurs, même si la bio « de substitution d’intrants » n’est pas parfaite, son développement reste très positif. Il se fait moyennant des conversions d’exploitations conventionnelles. « 2,5 millions d’hectares libérés des produits chimiques, ça a un impact gigantesque, souligne Manuel González de Molina. Une exploitation conventionnelle émet du CO2. En bio de substitution d’intrants, elles absorbent ce CO2, même si c’est moins que l’agroécologie. » D’autant que la conversion bio est un cheminement, qui mène parfois ses nouveaux adeptes bien plus loin qu’ils ne pensaient aller, constate Jacques Caplat.
Si, globalement, la bio progresse, elle est de plus en plus perçue comme une rivale par l’agriculture conventionnelle. Ce qui lui vaut de dures attaques, dans le but de l’affaiblir. « Nous sommes face à des gens qui utilisent tous les arguments contre notre filière, dont la philosophie est presque un pied de nez à l’agrobusiness, donc nous faisons très attention », s’inquiète une des sources contactées par Reporterre en France.
« Ségolène Royal flatte un réflexe irrationnel et un peu malsain dans lequel tombent de nombreux consommateurs et journalistes, qui voudraient que la bio soit parfaite. Oui, il y a des défauts, mais cela reste beaucoup mieux que ce qui se fait ailleurs ! s’agace Jacques Caplat, pourtant lui-même très critique à l’endroit du label européen. Avant, on tapait sur l’Italie, maintenant c’est l’Espagne, mais le problème ne vient pas d’eux, il vient du fait que le règlement européen a été affaibli par les industriels. Pourquoi ne pas lutter contre cela ? La bio ne se développe que quand il y a une volonté politique de la développer. »
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