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Des dirigeants de Gazprombank ont discrètement vendu leurs villas françaises après l’invasion de l’Ukraine
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, des biens immobiliers liés au patron de la banque russe, Andreï Akimov, à son entourage familial et à des associés ont été vendus. Certains ont été détenus à l’aide de prête-noms et financés à partir de paradis fiscaux.
Par Abdelhak El Idrissi
Publié le 09 février 2024 à 12h04
Temps deLecture 5 min.
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Le président de Gazprombank, Andreï Akimov (à droite), avec l’oligarque Alicher Ousmanov, lors d’une rencontre russo-ouzbèque, à Tachkent (Ouzbékistan), le 19 octobre 2018. NIKOLSKY ALEXEI/TASS/ABACA
Andreï Akimov, le patron de Gazprombank, est l’un des maillons essentiels du régime de Vladimir Poutine. En témoigne sa présence lors de la réunion du 24 février 2022 – jour du déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie –, au cours de laquelle le président russe a exigé d’une quarantaine d’oligarques russes leur « solidarité » avec l’effort de guerre en Ukraine.
Contrairement à la plupart des hommes présents ce jour-là dans la salle Sainte-Catherine du Kremlin, Andreï Akimov a échappé au gel de ses avoirs par l’Union européenne (UE) : le continent ne peut se passer de sa banque pour payer son approvisionnement en gaz russe. Homme prudent, M. Akimov a pris les devants pour se délester, en 2022 et 2023, d’un important patrimoine immobilier qu’il détenait en France, dont Le Monde révèle l’existence, dans le cadre d’une enquête en collaboration avec le média russe iStories.
Des dizaines de documents, issus à la fois de fuites de données confidentielles et de registres publics, permettent de relier Andreï Akimov à quatre villas de prestige, situées sur la Côte d’Azur, en Haute-Savoie et sur l’île de Saint-Barthélemy, dont la valeur d’acquisition dépasse les 20 millions d’euros.
Le financement de ce patrimoine, dans lequel on retrouve une myriade de sociétés offshore, pose la question de l’origine des fonds et d’un éventuel blanchiment. Vendus depuis l’invasion de l’Ukraine, ces biens immobiliers semblent désormais à l’abri d’une éventuelle saisie par la justice, même si la réalité du retrait de M. Akimov interroge : certains des nouveaux propriétaires des villas sont, en effet, liés à l’oligarque ou à l’industrie russe des hydrocarbures.
Sollicité, Andreï Akimov a refusé de répondre dans le détail à nos questions, estimant qu’elles étaient « déraisonnables » et reposant sur des « conjectures ». Il précise également qu’il « se réserve le droit de protéger ses intérêts par tous les moyens légaux disponibles » en cas de publication d’informations « fausses ou diffamatoires ».
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Gazprombank, la discrète banque russe chère à Vladimir Poutine
Des biens revendus en dessous du prix d’achat
Les traces d’Andreï Akimov conduisent tout d’abord à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Officiellement, difficile de relier l’oligarque à cette propriété de 1 600 mètres carrés avec piscine et jardin japonais, achetée en 2009 pour 5,5 millions d’euros par une société monégasque nommée SCP Barca. Sur le Rocher, il est impossible d’accéder à l’identité des propriétaires de sociétés civiles.
Mais les documents déposés par le notaire au moment de la vente de la villa, en juillet 2022, listent deux actionnaires dont le nom n’est pas étranger à Gazprombank. Anna Litvintseva, actionnaire majoritaire, présentée comme « retraitée » et « investisseuse privée », est copropriétaire de plusieurs sociétés offshore aux côtés de M. Akimov et de son ex-compagne, Marianna Chaykina, aux îles Vierges britanniques et à Chypre. L’autre actionnaire est Viktor Komanov, membre du conseil d’administration de Gazprombank. Sollicités par Le Monde, ils n’ont pas donné suite.
Des documents issus de la fuite de données offshore « Cyprus Confidential », obtenue en 2023 par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), relient plus directement la villa à M. Akimov et son ex-compagne. Le prêt de la Société générale Private Banking de Monaco qui a permis de la financer a été remboursé en 2017 par la société offshore Olima Assets, immatriculée dans les îles Vierges britanniques et appartenant à Mme Chaykina. M. Akimov s’est lui-même retrouvé directement créditeur de 5,9 millions d’euros envers la société monégasque en 2017, à la suite d’un jeu de transfert de dettes. L’existence de ces prêts peut donc laisser supposer que le couple était plus qu’un simple bailleur de fonds de la villa.
Les nouveaux propriétaires de la villa de Villefranche ont réalisé une belle affaire en payant 3,9 millions d’euros en 2022 un bien qui en valait 5,5 millions en 2009. « Cela fait deux ans que la villa est en vente, avance l’acheteur français pour justifier cette baisse de prix, très rare dans le secteur immobilier de la Côte d’Azur. En aucun cas notre attention n’a été attirée sur les actionnaires de la société vendeuse. Pour nous, c’est une simple opération immobilière. » Le scénario d’un bien immobilier vendu à des personnes qui semblent de bonne foi complique une éventuelle enquête judiciaire pour blanchiment. « Ce serait injuste de saisir une maison achetée par des gens qui n’ont rien à voir avec le dossier », explique un enquêteur financier.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés L’ombre de Gazprom plane sur une des plus luxueuses villas de la Côte d’Azur
A Saint-Barthélemy, le souvenir de Rudolf Noureev
Le parc immobilier discrètement constitué par Andreï Akimov en France comportait aussi une bâtisse entourée d’un terrain de plus de deux hectares à Chens-sur-Léman (Haute-Savoie), au bord du lac éponyme, à la frontière suisse. Officiellement, c’est une société chypriote, Unibase Limited, qui a acquis la propriété en 2010. Mais derrière Unibase Limited, les documents consultés par Le Monde permettent de remonter à des membres de la famille d’Andreï Akimov et d’autres sociétés-écrans qui détiennent des actifs pour le compte de l’oligarque. On retrouve également le nom d’Anna Litvintseva, bénéficiaire effective de la société française Green Cost, propriétaire du bien immobilier, à compter de 2018.
La société et la propriété ont été cédées à une citoyenne britannique, Manal A., en novembre 2023. Si les détails financiers restent inconnus à ce jour, on sait que la nouvelle propriétaire des lieux est mariée à un homme d’affaires d’origine pakistanaise impliqué dans le trading d’hydrocarbures. Selon le Wall Street Journal, il est au centre d’une enquête judiciaire aux Etats-Unis portant sur de possibles violations des sanctions américaines imposées contre Rosneft, le géant pétrolier russe.
A plus de 7 000 kilomètres de là, dans les Caraïbes, deux villas avec piscine offrent une vue imprenable sur l’anse de Grand Fond, dans l’île française de Saint-Barthélemy. Les deux sociétés propriétaires, Maison Reev et Petit Reev, portent le souvenir du célèbre danseur étoile russe Rudolf Noureev, qui avait fait de ce petit coin de paradis son lieu de villégiature au siècle dernier. Mais derrière l’écheveau de prête-noms et de sociétés-écrans chypriotes, on retrouve, là aussi, la trace d’Andreï Akimov, avec les noms de son ex-compagne, de ses enfants, et de l’incontournable Anna Litvintseva.
Là encore, les biens ont été vendus peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Les deux sociétés civiles immobilières (SCI) ont été cédées en septembre 2022 à Paco C., un Français qui en était jusqu’alors le simple gérant, pour la somme modique de 1,7 million d’euros – soit moins d’un tiers de leur capital social. Sollicité, le nouveau propriétaire n’a pas répondu à nos questions. Dans une affaire semblable, un oligarque russe a vu ses vignobles saisis par la justice après que les gendarmes ont remis en cause la réalité de la vente des domaines au gérant dans des conditions financières opaques.
Doutes sur le bénéficiaire effectif
Dans le cas d’Andreï Akimov, la question de l’identité du véritable propriétaire des biens immobiliers est d’autant plus pertinente que les fuites de données offshore auxquelles Le Monde a accès (« Cyprus Confidential », « Pandora Papers », etc.) regorgent d’exemples montrant l’interposition de sociétés-écrans permettant qu’elle n’apparaisse pas.
Parfois, c’est la définition même de « bénéficiaire effectif » – la personne physique qui détient ou contrôle en dernier ressort une société – qui semble détournée. Par exemple, lorsque Alexander Muranov, l’un des vice-présidents du conseil d’administration de Gazprombank, apparaît officiellement comme le bénéficiaire d’un trust établi à Chypre, on découvre l’existence d’une « lettre de souhaits » confidentielle, qui précise qu’en cas de décès il souhaiterait que les trustees (personnes de confiance chargées du trust) reçoivent leurs consignes de M. Akimov. Cette pratique est au cœur de plusieurs procédures judiciaires, dans lesquelles la justice française estime que la dissimulation de l’identité du bénéficiaire effectif et de l’origine de l’argent peut être, dans certains cas, constitutive de l’infraction de blanchiment d’argent.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Enquêtes contre les oligarques russes : la justice saisit près de 60 millions d’euros
Retrait en trompe-l’œil pour un autre dirigeant de Gazprombank
L’un des vice-présidents de Gazprombank, Alexeï Matveev, disposait lui aussi d’un patrimoine immobilier en France : il détenait, par l’intermédiaire de sociétés, trois villas à Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes), acquises pour 28 millions d’euros. Le 7 avril 2022, quelques semaines après le début de l’invasion en Ukraine, M. Matveev et sa femme ont cédé leurs parts à leur fils Kirill. Pour la SCI Villa Giulia, propriétaire d’un bien acheté 21,8 millions d’euros en 2014, le fils n’a déboursé que 820 euros pour racheter les 82 % de parts de ses parents « en conséquence de l’endettement de la société ».
Le désengagement d’Alexeï Matveev visait-il à échapper à d’éventuelles sanctions européennes et au gel de ses avoirs ? Dès le mois de mai, il était, en tout cas, ciblé par des mesures de rétorsion américaines, puis britanniques. Des documents du service de la publicité foncière consultés par Le Monde montrent que l’une des trois villas de Beaulieu-sur-Mer a été revendue par Kirill Matveev en novembre 2023, pour 3 millions d’euros, compliquant une éventuelle enquête sur ces montages.
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