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-[La jeune fille au cinéma ou les ravages d’un mythe](https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/02/23/la-jeune-fille-au-cinema-ou-les-ravages-d-un-mythe_6218004_4500055.html?lmd_medium=pushweb&lmd_campaign=pushweb&lmd_titre=enquete_la_jeune_fille_au_cinema_ou_les_ravages_d_un_mythe&lmd_ID=6218359 ) 
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-La jeune fille au cinéma ou les ravages d’un mythe 
-Par Zineb Dryef 
-Publié hier à 04h00, modifié à 13h18 
-Temps deLecture 18 min. 
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-ENQUÊTEEn accusant Benoît Jacquot et Jacques Doillon d’agressions sexuelles, l’actrice Judith Godrèche a mis en lumière un mythe tenace dans la culture contemporaine : celui de la jeune fille modelée par son pygmalion. Depuis le film « Lolita », de Stanley Kubrick, cette relation a irrigué de multiples œuvres, ouvrant la porte à de nombreux abus de la part de réalisateurs vus comme des créateurs tout-puissants. 
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-Elles étaient belles et jeunes à l’écran. Elles semblaient heureuses, affranchies et libres. Elles avaient 13 ans, 14 ans, 15 ans, 17 ans, 22 ans. Elles incarnaient la jeunesse, le désir, l’indépendance. Et voilà que certaines, devenues adultes, racontent un piège. Flavie Flament, Vanessa Springora, Adèle Haenel, Charlotte Arnould, Judith Godrèche, Isild Le Besco n’appartiennent pas aux mêmes mondes, elles n’avaient pas le même âge, elles ne se connaissaient pas ou si peu, mais elles racontent une même histoire, celle d’un mensonge et d’une jeunesse mise en pièces. 
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-Ces femmes ont, chacune à leur manière, disséqué ce qui leur est arrivé. Vanessa Springora, dans Le Consentement (Grasset, 2020), décrivait le piège du pédocriminel (ici, Gabriel Matzneff) qui fait de sa victime une complice – « Tu m’aimais ». La journaliste Hélène Devynck dépeint dans Impunité (Seuil, 2022), sur l’affaire PPDA, un système qui fait des jeunes femmes des poupées et les réduit au silence, dont elle a été elle-même victime. Judith Godrèche, en réalisant en 2023 sa série Icon of French Cinema (Arte), revient sur son cheminement d’enfant-objet dans les mains du cinéaste Benoît Jacquot à femme qui reprend les rênes du récit. 
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-Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Césars 2024 : une cérémonie consensuelle pour acter le changement d’époque du cinéma français 
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-Toutes mettent en lumière la solidarité de ces « familles » – du cinéma, des médias, de l’art – qui protègent leurs grands hommes. « Ce n’est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche ; ces hontes minuscules, de consentir journellement à renforcer ce qu’on dénonce », écrivait Lola Lafon dans Chavirer (Actes Sud, 2020), une autre histoire de jeune fille abusée. 
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-L’ingénue en quête de liberté 
-Depuis les débuts de #metoo en France, beaucoup de femmes qui s’expriment racontent un roman d’apprentissage à l’issue tragique : celui d’une fille, de la prépubère à la jeune adulte, qui croise le chemin d’un homme beaucoup plus âgé qui, au prétexte de l’initier à un art ou à un métier, la possède contre son gré. Ce fantasme s’est décliné dans toute la littérature et le cinéma jusqu’à la caricature de la gamine nubile en veste de velours, frange dans les yeux et roman de Sade dans la poche. Aujourd’hui, ces filles, devenues adultes, le dénoncent. Elles n’ont pas consenti. Elles n’ont pas eu le choix. 
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-Lire le direct | Césars 2024 : « Je voudrais dédier ce César à toutes les femmes », lance Justine Triet en recevant le prix du meilleur film pour « Anatomie d’une chute » 
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-C’est ce qu’écrivait en 2017, dans The Atlantic, l’actrice et réalisatrice américaine Brit Marling, 41 ans, qui a fait partie des nombreuses comédiennes à accuser le producteur Harvey Weinstein d’agressions sexuelles : « Ce qui vous incite en partie à rester assise sur cette chaise, dans cette pièce, à endurer le harcèlement ou les abus d’un homme en position de pouvoir est que, en tant que femme, vous vous êtes rarement imaginé connaître un autre sort. Dans la plupart des romans que vous avez lus, des films que vous avez regardés, des histoires qu’on vous a racontées depuis votre naissance, les femmes connaissent une fin tragique. » Car la figure de la jeune fille est un pilier de la culture et irrigue nos imaginaires. 
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-A quoi ressemble-t-elle cette figure qui traverse les arts ? Elle a toujours « ce visage de la jeune fille à qui on n’a pas encore volé son ciel », comme l’écrivait Henri Michaux à partir du Portrait de Mademoiselle Irène Cahen d’Anvers (1880), d’Auguste Renoir. Une fille à peine nubile, vierge. C’est la raison pour laquelle elle est si précieuse : « Son apparence est éphémère, elle va disparaître à jamais. C’est ce qui la rend si désirable. Elle est décrite comme un trésor », explique Pierre Péju, romancier et philosophe qui, dans Métamorphoses de la jeune fille (Robert Laffont, 2023), étudie ce mythe. 
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-Lire aussi | L’actrice Isild Le Besco raconte « l’emprise destructrice » exercée par le réalisateur Benoît Jacquot 
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-COLLAGE KATRIEN DE BLAUWER POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE » 
-Des romans de chevalerie aux descriptions contemporaines, les canons varient et évoluent, explique le philosophe, mais l’idée de sa perfection est constante : « Le corps et le visage sont beaux, la peau est lisse, la chevelure abondante. La petite fille a achevé sa croissance, elle est pubère, elle a atteint la perfection. » Cet idéal de féminité défini par les adultes a d’abord consacré la vierge, l’enfant pure au Moyen Age, avant l’ingénue en quête de liberté. La seconde moitié du XXe siècle invente la femme-enfant fatale. Elle est la petite fille offerte de Balthus, l’adolescente vaporeuse d’Eric Rohmer, la blonde floutée aux seins naissants de David Hamilton – photographe accusé de viols et d’agressions sexuelles par ­plusieurs de ses anciens modèles. 
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-Une conception au cœur de la Nouvelle Vague 
-« Ces mille et une façons de “raconter” la jeune fille ont toujours été structurées par les fantasmes patriarcaux et par la conception exclusivement machiste du monde qui se sont inscrits dans les lois, installés dans les coutumes, qui étaient exigés par la patrilinéarité, et se sont gravés dans les inconscients des deux sexes », poursuit Pierre Péju. Il désigne cette figure « produite par des milliers d’histoires », ce mythe devenu « indestructible » comme une « clé et un symptôme du viriarcat ». Un mot cousin de « patriarcat », construit sur le latin vir, « homme », qui définit un système dans lequel on proclame la supériorité du mâle, mais où ce dernier « n’est plus forcément père ou patriarche ». 
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-Dans ce mythe, la jeune fille n’est jamais seule. Il lui faut toujours un homme. Rien n’est plus banal que de voir cette créature au bras d’un individu de l’âge de son père. Ce motif récurrent raconte une fable : celle de la muse. L’amour et la créativité se confondent. L’artiste, en Pygmalion, se fabrique sa propre jeune fille. « Il ne la voit pas, il la sculpte. Le miracle, c’est que cette sculpture devient vivante », écrit encore Pierre Péju. 
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-Dans le cinéma français, le mythe de l’adolescente façonnée par l’homme tout-­puissant a été, non pas inventé, mais permis par la Nouvelle Vague. Quand, au tournant des années 1960, une bande de jeunes gens, quasiment tous des hommes (François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Jacques Rivette, Eric Rohmer), veulent réinventer le cinéma, « ils plaquent sur l’industrie du cinéma une logique qui est celle de la littérature : le cinéaste, réalisateur, est le seul auteur de son œuvre », explique Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques à l’université Bordeaux-Montaigne. « Le mythe de Pygmalion est au cœur de la Nouvelle Vague, poursuit l’universitaire. On fait jouer des inconnues, on les crée, on les fabrique, on les façonne. » 
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-Lire l’enquête | Article réservé à nos abonnés Benoît Jacquot, un système de prédation sous couvert de cinéma 
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-Le cinéma, c’est « l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes », selon l’expression du critique et scénariste Jean George Auriol (1907-1950) reprise par François Truffaut. C’est ainsi que se justifiaient encore récemment Benoît Jacquot dans les colonnes du Monde mais aussi Philippe Garrel – mis en cause par plusieurs comédiennes pour des actes pouvant relever de l’agression sexuelle – dans Mediapart : « Comme beaucoup de réalisateurs de la Nouvelle Vague, j’aimais tourner avec la femme dont j’étais amoureux et la filmer. » 
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-Confusion entre l’amour et la possession 
-Accusé par l’actrice Adèle Haenel d’agressions sexuelles quand elle était mineure, le réalisateur Christophe Ruggia a précisément invoqué ce rôle de mentor pour se défendre : « J’ai commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite », a-t-il déclaré dans Mediapart, le 6 novembre 2019, quelques jours après les révélations de la comédienne. 
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-« Le cinéma est une bonne couverture pour des mœurs de ce type-là, confessait ouvertement Benoît Jacquot en 2011 dans un documentaire de Gérard Miller (lui aussi accusé d’agressions sexuelles et de viols). Dans le Landerneau cinématographique, cela force même l’admiration. On se dit : lui est cinéaste, il est en train de fabriquer une actrice. » « Il faut nommer les choses : ces faits relèvent de la pédocriminalité, dénonce l’universitaire Geneviève Sellier. Ces comportements s’ancrent dans le ressort le plus archaïque de la domination masculine : la confusion entre le lien amoureux et la possession, la confusion entre aimer quelqu’un et le contrôler. » 
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-Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « L’abus de ceux qui, en place de père ou d’autorité, imposent le monopole de leur jouissance » 
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-Certaines ont parlé. Deux jeunes comédiennes ont porté plainte contre Jean-Claude Brisseau dès 2001, rejointes par deux autres en 2003, pour des faits de harcèlement sexuel. Une vingtaine de femmes ont témoigné contre le réalisateur, pourtant massivement soutenu par la « grande famille du cinéma français », au cours d’un procès, en 2005. Brisseau a été condamné à un an de prison avec sursis et à 15 000 euros d’amende pour « harcèlement sexuel » sur deux actrices lors d’auditions et, un an plus tard, en appel, pour « agression sexuelle » sur une troisième. 
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-Parmi les témoins, la mère de Vanessa Paradis évoquait un « incident » survenu pendant le tournage de Noce blanche (1989). Sa fille avait alors 16 ans, c’était son premier film. La jeune chanteuse jouait le rôle d’une adolescente ensorcelante qui faisait succomber son professeur de philosophie vieillissant. Le long-métrage, présenté comme une histoire d’amour impossible, fut un énorme succès. 
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-COLLAGE KATRIEN DE BLAUWER POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE » 
-Brisseau ne fut pas une exception sulfureuse. Au cours des années 1980, le cinéma connaît une « déferlante » de petites filles amoureuses de quadragénaires. Les succès de Diabolo menthe (1977), de La Boum (1981) inspirent les réalisateurs et réalisatrices qui mettent en scène des gamines confrontées à leurs désirs. Mais c’est le personnage de Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée (1985) qui fixe à jamais dans le cinéma français l’image de l’adolescente tourmentée. 
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-Bientôt, elles deviennent des aguicheuses d’hommes adultes. Des films oubliables – La Petite Allumeuse (1987), de Danièle Dubroux, dont le titre résume le propos –, mais aussi des succès comme Beau-père (1981), de Bertrand Blier, Noce blanche, ou La Fille de 15 ans (1989), de Jacques Doillon – visé par une plainte de l’actrice principale, Judith Godrèche, pour un viol qui aurait eu lieu à l’époque du tournage –, représentent tous, dans un procédé romantique, l’amour tragique d’un couple déchiré par l’écart d’âge et la morale. 
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-Le malentendu autour de la Lolita de Nabokov 
-« Le tournant a été l’adaptation filmique de Lolita, le roman de Nabokov », estime Brigitte Rollet, chercheuse habilitée en études cinématographiques au centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines (université Paris-Saclay). Le film de Stanley Kubrick, sorti en salle en 1962, précipite le malentendu autour de cette œuvre publiée en 1955 en imposant l’image de la femme-enfant fatale, de la gamine aguicheuse aux lunettes en forme de cœur, une sucette à la bouche. 
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-Enorme succès en librairie, Lolita échappe totalement à son créateur lorsque le cinéma s’en empare. Stanley Kubrick ne retient pas l’histoire d’une fillette violée par son beau-père mais représente une histoire d’amour impossible. « Nabokov ne raconte pas cette histoire, souligne Olivia Mokiejewski, réalisatrice de Lolita, méprise sur un fantasme (2021). Il raconte l’histoire d’une fillette – Lolita a 12 ans – décrite à travers le regard d’un homme. » Ses attraits sont fantasmés par une libido adulte, mais le contresens s’est installé, durablement. 
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-Lorsque, en 1975, sur le plateau d’« Apostrophes », Bernard Pivot présente le roman comme l’histoire d’une petite fille « un peu perverse », Nabokov le reprend fermement : « Lolita n’est pas une jeune fille perverse. C’est une pauvre enfant. Une pauvre enfant que l’on débauche et dont les sens ne s’éveillent jamais sous les caresses de l’immonde M. Humbert. » Il insiste : « En dehors du regard maniaque de M. Humbert, il n’y a pas de nymphette. » 
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-En réalité, Lolita ne séduit pas son beau-père, elle en est prisonnière. « C’est le regard masculin qui en fait un objet de désir déviant », poursuit Olivia Mokiejewski, qui a été troublée, en lisant Le Consentement, de Vanessa Springora, d’y retrouver le récit de cette même confusion : celle d’une gamine qui se croit amoureuse d’un homme mûr abusant de son pouvoir et celle d’une société complaisante à l’égard des messieurs qui succombent aux charmes des petites tentatrices. L’indulgence, là aussi, s’exprime à la télévision, sur le même plateau d’« Apostrophes », où Gabriel Matzneff exprime librement ses goûts pédophiles. « On regarde des personnes cultivées discuter tranquillement de tout cela, sans réprobation, dénonce Olivia Mokiejewski. Ce n’est pas qu’un homme qu’il faut juger, c’est un système. » 
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-Un comportement tyrannique valorisé 
-Ce système a détruit des jeunes filles. A commencer par Lolita, dont tout le monde semble avoir oublié le destin tragique. Spoiler : elle meurt. Comme si Nabokov avait su qu’une vie n’était plus possible après ça. Là encore, la réalité rattrape la fiction. Sue Lyon, l’interprète de Lolita dans le film de Kubrick, déclarait, amère, en 1997 : « Lolita m’a exposée à des écueils qu’aucune fille de cet âge ne devrait affronter. Je défie n’importe quelle fille de 14 ans jetée sous les projecteurs pour son rôle de nymphette de rester sur ses deux jambes. » 
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-Elles sont nombreuses ces jeunes premières découragées qui ont jeté l’éponge, abandonnant leur passion et leur carrière ou qui ont choisi l’exil. Elles sont nombreuses, celles qui ont relaté l’anorexie, la boulimie, l’alcoolisme, le sexe à outrance, l’immense solitude, avant, parfois, la reconstruction. 
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-Ce comportement des réalisateurs tyranniques a longtemps été excusé, voire valorisé. « En France, l’artiste est au-dessus des lois qui régissent nos vies. Il est le démiurge, le créateur, analyse l’universitaire Brigitte Rollet. C’est comme si l’on admettait que le cinéma devait être le résultat de la souffrance. » C’est Henri-Georges Clouzot qui assène une gifle à Brigitte Bardot sur le tournage de La Vérité (1960) – avant qu’elle ne la lui retourne –, Maurice Pialat qui exige de Gérard Depardieu qu’il mette de vraies claques à Sophie Marceau sur le tournage de Police (1985)… 
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-Le cinéma regorge de ces histoires de violences subies par les acteurs et surtout par les actrices au nom de l’art. Les femmes les ont pourtant dénoncées. Après le tournage de Mouchette (1967), de Robert Bresson, Marie Cardinal, qui jouait la mère de l’héroïne interprétée par Nadine Nortier, 14 ans, se souvint dans son récit autobiographique, Cet été-là (Nouvelles Éditions Oswald, 1967), qu’elle avait dû répéter une scène de gifle vingt-quatre fois d’affilée. Bresson avait coutume de travailler avec des non-professionnels, à qui il imposait des règles strictes. « Plus vous frapperez fort, meilleure sera la prise », justifiait-il. Marie Cardinal, dans son livre, n’a pas de mots assez durs : c’est un « négrier ». 
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-Le « jeu pervers » de Robert Bresson 
-Amoureux des jeunes filles, Robert Bresson jouait l’ambiguïté. Anne Wiazemsky, dans Jeune fille (Gallimard, 2007), un roman qui retrace le tournage d’Au hasard Balthazar (1966), se remémore sur un ton badin le « jeu pervers » qu’établit le réalisateur de 64 ans avec l’adolescente de 17 ans qu’elle était. Avant même le tournage, il l’encercle, choisissant des vêtements pour elle, lui téléphonant sous mille prétextes pour, en réalité, tester sa voix, la promenant de café en cinéma où, dans l’obscurité, il caresse ses mains, ses bras. Bresson la voit comme une ingénue prête à s’offrir, elle prend son « travail » au sérieux et vit comme une chance cette découverte du cinéma. 
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-« D’emblée, j’ai été sa chose. Je ne devais me lier à personne d’autre que lui », écrit-elle. Sur le tournage, l’homme, relativement tendre, se mue en tyran. Il tente de l’embrasser, elle le repousse et le voilà qui devient tranchant, sec comme avec tous les autres. L’éconduit, la force à rejouer une scène, une fois, deux fois, quinze fois, ça n’est jamais assez. De quoi la punissait-il ? Elle ne le sait que trop bien. 
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-Les mots d’aujourd’hui qualifieraient cette conduite de harcèlement. Ce n’était pas le propos d’Anne Wiazemsky, qui a gardé de la tendresse et de l’amitié pour le cinéaste. Les tournages de Bresson ont été décrits dans leurs moindres détails dans nombre d’études, d’articles et de livres de souvenirs sans que la souffrance de ses actrices soit jamais prise en compte. Parce que le cinéaste a fait de grands films, de beaux films – au prix de l’obéissance, voire du sacrifice de ceux et celles qu’il n’appelait pas des acteurs et actrices mais des « modèles » –, seule l’admiration pour le perfectionnisme maniaque de Robert Bresson transparaît dans ces textes. Il ne voulait pas de jeu, mais de l’émotion et de la spontanéité. Un geste pur. 
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-Procès en puritanisme 
-Devenues adultes, face aux images de certains de leurs premiers films, des actrices disent éprouver un malaise. Jodie Foster, qui a joué une vamp prépubère dans Bugsy Malone (1976), d’Alan Parker, une adolescente prostituée dans Taxi Driver (1976), de Martin Scorsese, une enfant allumeuse dans Moi, fleur bleue (1977), d’Eric Le Hung, a récemment regretté, au micro de France Inter, que, dans le monde où elle a grandi, « les femmes avaient l’impression de ne pas pouvoir dire non à quoi que ce soit ». 
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-Natalie Portman, qui a joué à l’âge de 12 ans dans Léon (1994), de Luc Besson, a confié, en mai 2023 au Hollywood Reporter qu’il était « compliqué [pour elle] d’en parler », le film traitant d’une relation ambiguë entre un homme adulte et une très jeune adolescente : « Il m’a offert ma carrière, mais, oui, quand vous le voyez aujourd’hui, il contient définitivement des éléments gênants, qui mettent mal à l’aise. C’est le moins qu’on puisse dire. » 
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-En 1981, les parents d’Ariel Besse, actrice principale de Beau-père, tentèrent en vain de faire interdire l’affiche du film de Bertrand Blier : on y voit l’adolescente de 15 ans, seins nus, à califourchon sur les genoux de Patrick Dewaere, 34 ans. Le réalisateur dira, plus tard, regretter ce choix d’image qu’il n’avait pas validé. 
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-La dénonciation de cette sexualisation des jeunes actrices n’est pas nouvelle, mais elle s’est heurtée, jusqu’à aujourd’hui, au procès en puritanisme de celles et ceux qui s’y risquaient. « Je détestais ma condition de jeune fille actrice, ce rôle de muse, de nymphe, confiait Julie Delpy, en 2021 à Télérama, au sujet de ses débuts dans les années 1980 dans le cinéma d’auteur français (Détective, de Jean-Luc Godard, Mauvais Sang, de Leos Carax…). Des journalistes m’ont traitée de moralisatrice parce que j’avais osé dire que c’était dégueulasse que des mecs de 50 ans se tapent des gamines de 14. » 
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-La Sainte Trinité des amateurs de nymphettes 
-Dès 1979, la Franco-Canadienne Nancy Huston dénonce la transformation des petites filles en objets sexuels dans son premier essai Jouer au papa et à l’amant (Ramsay, 1979). Elle y dépeint sa relation, à l’âge de 15 ans, avec un professeur d’anglais de dix ans son aîné qui la maltraite. Son texte est mal reçu par la critique, notamment par Roland Jaccard, dans Le Monde. 
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-Le critique, proche de Gabriel Matzneff, qui a lui-même publié des pages et des pages sur son amour des jeunes filles, écrivait, assassin : « Ne comptez pas, amateurs de nymphettes, sur l’indulgence de Nancy Huston. Cette jeune journaliste canadienne n’a pas craint pour son premier livre de s’attaquer à l’un des mythes les plus tenaces de l’après-guerre : celui de Lolita, adolescente ensorceleuse aux charmes équivoques et au regard canaille, décrite par Nabokov, peinte par Balthus, photographiée par Hamilton et convoitée par la plupart des hommes. » Nabokov, Balthus, Hamilton, la Sainte Trinité convoquée par ceux qui esthétisent les jeunes filles. 
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-KATRIEN DE BLAUWER POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE » 
-Comme Gabriel Matzneff, le futur académicien Alain Robbe-Grillet n’a jamais tu ses préférences pour les adolescentes. En 2001, lorsqu’il publie La Reprise (Minuit), où il étale ses fantasmes de « jolies gamines naïves » et de « fillettes prépubères », les critiques soupirent. Encore des gamines délurées soumises aux vieux messieurs ? Cela ne choque pas, ne dérange pas. Cela ennuie juste. Pas une ligne de condamnation, même lorsqu’il persiste, dans une interview donnée la même année au magazine Lire. « Le consentement a-t-il une limite d’âge ? », interroge le journaliste. Le grand écrivain répond : « Quand j’ai connu Balthus, il vivait avec Laurence Bataille, la fille de Georges et de Sylvia Bataille. Laurence avait 12 ans et cela ne choquait ni la petite fille, ni ses parents, ni Balthus. » Laurence Bataille, sa muse, avait en réalité 16 ans, ce qui expliquerait que Balthus n’ait jamais été inquiété. 
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-Réprobation envers celles qui parlent 
-Cette fable de la muse a régulièrement été démontée par celles qu’on a installées sur un piédestal. En 1964, la peintre Françoise Gilot publie Vivre avec Picasso (Calmann-Lévy), dans lequel elle étrille la méchanceté de l’artiste et son comportement destructeur avec les femmes. Elle s’était installée avec le peintre à l’âge de 20 ans. « J’étais un peu comme la septième femme de Barbe-Bleue… », écrit-elle. Le peintre fait tout pour interdire la publication du livre, en vain, et la presse y voit un ramassis de commérages. 
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-Elle n’a pas été la seule. Le romancier Pierre Péju rappelle l’histoire tragique de Marie-Thérèse Walter, l’une des muses de Picasso, « si jeune et si blonde », qu’il faisait poser des heures, sans repos, « en une sorte de frénésie érotique et en se dessinant lui-même, avec délectation, sous les traits d’un Minotaure violeur ». Lorsqu’il la rencontre, elle a 17 ans. Leur relation durera une dizaine d’années. Un amour fou, selon beaucoup – Marie-Thérèse Walter se suicida quatre ans après la mort de Picasso. « Certains préféreraient appeler emprise cette dépendance consentie d’un personnage qui écrase par sa force, son esprit ou son statut des êtres plus faibles », note Pierre Péju. 
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-De l’autre côté de l’Atlantique, en 1998, Joyce Maynard, dans son récit autobiographique Et devant moi, le monde (Philippe Rey, 2010), raconte sa relation avec J. D. Salinger. L’écrivain avait 53 ans, elle en avait 18. Son récit de ses mois passés auprès d’un homme tyrannique, jaloux et destructeur lui vaut la désapprobation de toute la critique américaine. Longtemps, elle est restée la « nymphe opportuniste » qui avait couché avec le grand écrivain et en avait fait un livre. En 2018, l’autrice a publié un long article dans le New York Times qui, à l’époque de son témoignage, l’avait qualifiée de « prédatrice ». Elle écrivait : « Il y avait peut-être bien un prédateur dans cette histoire. Je laisse les lecteurs décider de qui il s’agissait. » 
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-On ne pourrait plus regarder « Les Valseuses » ? 
-Si la figure du pygmalion, si prisée des arts, est tellement difficile à déboulonner, c’est parce que porter un regard critique sur les œuvres de nos grands hommes expose immanquablement à l’accusation de censure. Ainsi on ne pourrait plus regarder Les Valseuses ? 
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-En 2017, l’historienne Laure Murat pousse l’audace jusqu’à revisiter Blow-Up, de Michelangelo Antonioni, dans un texte publié dans Libération. Elle n’avait pas revu le « chef-d’œuvre » depuis vingt-cinq ans et, en le revisionnant, elle est frappée par son « étalage d’une misogynie et d’un sexisme insupportables ». Elle s’interroge : pourquoi n’en a-t-elle pas gardé ce souvenir ? Comment a-t-elle pu oublier la violence ? « La réponse est contenue dans le film : l’esthétisme. La perfection formelle de Blow-Up écrase et étouffe le scandale qu’il recèle », écrit-elle. L’historienne en tire un impératif : « une relecture des œuvres, à partir du moment présent ». Elle précise « sans anachronisme, ni logique de tribunal ». 
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-Las. Une polémique enfiévrée accompagne la publication de cette tribune : son autrice est accusée de vouloir brûler des pellicules – une posture que les critiques révisent aujourd’hui. De Télérama aux Cahiers du cinéma, la presse spécialisée a entamé un travail d’introspection. Ont-ils été aveuglés ? 
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-Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Laure Murat : « L’affaire Judith Godrèche marque un tournant rhétorique du #metoo du cinéma français » 
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-Un regard tragique porté sur les jeunes filles 
-Un viol ou une gifle au cinéma, c’est de la fiction. Le pacte est clair avec le spectateur. Lorsque Eric Rohmer (1920-2010), dans Le Monde, en 1998, est interrogé sur sa relation avec les jeunes actrices qui peuplent ses films, il précise : « Je refuse de les manipuler comme le font beaucoup de réalisateurs, je ne leur cache rien de ce que je sais du film. Le cinéma est déjà suffisamment manipulateur par lui-même. » 
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-Les actrices, tout juste sorties de l’adolescence, qui ont incarné ces héroïnes « rohmériennes » ont certes pour la plupart décrit un homme habité de fantasmes de jeunes filles en fleur mais aussi un professionnel qui ne mélangeait pas tout. Laurence de Monaghan, l’interprète principale du Genou de Claire (1970), raconte dans Au travail avec Eric Rohmer (Capricci, 2024) : « Certes, il y a manipulation, mais pas de harcèlement, pas d’atteinte à l’image de la femme. Elle est un sujet de désir, ce qui la met plutôt en valeur. J’espère que les féministes d’aujourd’hui ne critiqueraient pas le film ! Le Genou de Claire reste dans un registre cérébral et a plusieurs degrés de lecture. On peut y voir une analyse quasi psychanalytique du désir, mais aussi un conflit entre celui-ci et la notion d’interdit lié à l’infidélité, voire de péché. Eric Rohmer était un fervent catholique qui avait certainement des désirs pour les jeunes femmes. » Mais qui s’en tenait là. 
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-Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Hélène Frappat, écrivaine : « Toutes les femmes, sur l’écran du cinéma, sont des survivantes » 
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-Que nous fait la fiction ? Elle nous formate. Elle rend désirable ce qui se passe à l’écran ou dans les livres, lorsque cela est amené sans ironie ni distance critique. La chercheuse Brigitte Rollet s’interroge sur la fameuse scène du mambo dans le film de Roger Vadim Et Dieu… créa la femme (1956) dans laquelle l’actrice danse de façon suggestive, comme déchaînée. Cette séquence, devenue l’image de la liberté, a été célébrée par Simone de Beauvoir elle-même dans un long texte publié, en anglais, dans Esquire, en 1959. 
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-Ce film, certes, « renversait les tables », note Brigitte Rollet, et raconte une « femme libre », mais une « femme libre de quoi ? » : une femme qui se marie avec celui qui n’est pas son premier choix. Sur ces jeunes héroïnes, le regard porté est non seulement sexuel mais tragique. « La mort d’une belle femme est, incontestablement, le plus poétique sujet du monde », écrivait le poète américain du XIXe siècle Edgar Allan Poe, ce à quoi l’essayiste américaine Rebecca Solnit rétorque aujourd’hui sans ironie : « J’essayais de ne pas être le sujet poétique d’un autre et de ne pas me faire tuer », dans son essai Souvenir de mon inexistence (L’Olivier, 2022), consacré à ses années de jeunesse. 
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-Une autre histoire, portée par des réalisatrices 
-Toutes les jeunes filles ne meurent pas au cinéma. Une autre histoire, portée par des réalisatrices, existe : celle de jeunes femmes qui ne sont pas sculptées, modifiées, abusées par des hommes. Celle-ci a longtemps été plus confidentielle, mais elle n’en a pas moins existé. Agnès Varda filme Sandrine Bonnaire dans Sans toit ni loi (1985). Chantal Akerman filme Lio dans Golden Eighties (1986) et propose un Portrait d’une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles à la télévision française en 1994. 
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-L’âge adulte qui pointe et le désir désordonné sont explorés par Catherine Breillat dans Une vraie jeune fille (1976), 36 Fillette (1988), ou encore Une vieille maîtresse (2007). Ce sont des personnages féminins qui ne sont ni des partenaires ni des objets de désir mais des sujets désirants. Elles ne sont plus des figures éthérées ou des proies : elles existent. Des dizaines et des dizaines de longs-métrages proposent un autre regard sur cette figure pour la nuancer, la libérer. 
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-Au fil des années, ce cinéma-là a pris de l’ampleur, gagné de la reconnaissance. Si bien qu’existent aujourd’hui des rôles de jeunes filles qui n’obéissent pas au regard des hommes. Dans cette cinématographie, Brigitte Rollet distingue Portrait de la jeune fille en feu (2019). Dans ce long-métrage, consacré à la relation entre une peintre et son modèle, et qui ne comporte aucun rôle masculin, Céline Sciamma s’attache à des figures féminines émancipées chez qui la soif d’indépendance guide chacune des actions. Dans ce film, la jeune fille est libre. 
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-Zineb Dryef 
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