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-[Le Monde: La crise écologique fait renaître le désir d'Etat](https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/12/la-crise-ecologique-fait-renaitre-le-desir-d-etat_6210457_3232.html ) 
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-La crise écologique fait renaître le désir d’Etat 
-Par Julien Vincent  
-Publié le 12 janvier 2024 à 13h00 
-Temps deLecture 13 min. 
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-ENQUÊTEFace au changement climatique, les penseurs de l’écologie politique ont forgé de nouvelles alliances avec les sciences sociales et sont passés d’un rejet de l’organisation étatique et de sa finalité productiviste à l’ambition de le révolutionner de l’intérieur pour profiter de sa puissance souveraine. Sans perdre de vue les impératifs sociaux et démocratiques. 
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-« Manquements à ses obligations », « carences fautives », « méconnaissance de ses objectifs », « insuffisances », « fautes » et « illégalités », des actions qui ne sont « pas à la hauteur des enjeux »… Les termes employés par le tribunal administratif de Paris à l’encontre de l’Etat, il y a un peu plus de deux ans, sont extrêmement durs. « L’affaire du siècle » – le nom médiatique donné à ce recours en justice – avait été préparée depuis fin 2018 par quatre ONG, dont Oxfam et Greenpeace. 
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-Celles-ci avaient décidé d’assigner l’Etat français pour non-respect de ses obligations internationales, européennes et françaises en matière de transition écologique. Après l’avoir condamnée pour inaction climatique en février 2021, le tribunal ordonna à la France, au mois d’octobre suivant, de réparer les conséquences de cette inaction. Le 14 juin 2023, les ONG ont à nouveau saisi la justice pour demander une astreinte financière de 1,1 milliard d’euros. 
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-La critique de l’Etat n’est pas nouvelle chez les militants écologistes. « L’écologie politique s’est historiquement constituée, en partie, par sa défiance à l’égard de l’Etat et de son organisation bureaucratique », remarque Bruno Villalba, professeur de sciences politiques à AgroParisTech. La critique de la « finalité productiviste de l’Etat », ce dernier étant « au service d’un projet consistant à maximiser la capacité de tout un chacun d’accéder au plus de biens et services possible », est présente chez les écologistes dès les années 1930, notamment dans les écrits de Bernard Charbonneau, auteur d’une somme sur L’Etat en 1949. 
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-Lire l’enquête (2021) : Article réservé à nos abonnés Dans les coulisses de « L’affaire du siècle », trois ans de batailles dans et en dehors des tribunaux 
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-Avec Jacques Ellul, puis dans les écrits fondateurs d’Ivan Illich, sont posées après-guerre les bases d’une puissante critique des infrastructures techniques qui fondent l’emprise sociale et territoriale de l’Etat. Celles-ci, analysent ces auteurs, conduisent à une dépersonnalisation des individus, qui perdent leur autonomie. 
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-Projet révolutionnaire 
-Depuis cette époque, la critique de l’Etat et de son intention « croissanciste » n’a cessé d’être affinée. On peut en trouver une expression théorique dans les écrits de l’anthropologue américain James C. Scott, dont la plupart ont récemment été traduits en français. Ce spécialiste des sociétés agraires d’Asie intéresse notamment Laurent Jeanpierre, professeur de sciences politiques à Paris-I. Dans les travaux de Scott, résume M. Jeanpierre, « l’Etat est un appareil qui échoue presque toujours dans ses entreprises, qui s’effondre régulièrement, ses échecs ayant, dans le dernier siècle en particulier, pris la figure de tragédies meurtrières à très grande échelle pour l’espèce humaine et les autres êtres vivants. C’est une machine qui prend l’eau et qui fuit de partout. Dans son livre L’Œil de l’Etat, James C. Scott propose même de l’envisager essentiellement comme un parasite ! » 
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-Cette vision anarchisante a longtemps convenu à un mouvement écologiste qui, rejetant toute perspective de conquête du pouvoir, proposait plutôt son projet révolutionnaire à travers l’affirmation d’un style de vie alternatif, au sein de communautés en rupture avec les valeurs consuméristes dominantes. Mais, à partir des années 1980 et 1990, alors que le mouvement se constitue en force politique, d’autres discours se développent. « Peu à peu, explique Bruno Villalba, les écologistes reconnaissent que l’Etat peut aussi être pourvoyeur de biens et de services, qu’il peut contribuer à une extension continue de l’accès à ces biens et services, tant dans la quantité que dans la qualité. » 
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-Lire aussi l’enquête (2023) : Article réservé à nos abonnés Faut-il abolir l’Etat, cet horizon indépassable de nos imaginaires politiques ? 
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-Dans leur Mémo sur la nouvelle classe écologique (La Découverte, 2022), Bruno Latour et Nikolaj Schultz reviennent sur ce moment critique : parce que les luttes écologistes, longtemps marginales, sont devenues centrales pour la survie de tous, une étrange situation est née dans laquelle on demande à « des activistes qui ont quitté le système, rompu avec l’Etat, évité de faire appel aux institutions, de se mettre brusquement en ordre de marche » pour conquérir le pouvoir et en modifier complètement l’organisation. 
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-Depuis quelques années, la réflexion sur ce que de nombreux chercheurs appellent déjà, en référence au philosophe anglais du XVIIe siècle Thomas Hobbes, un nouveau « Léviathan écologique » préoccupe un nombre croissant d’agents de l’Etat. Parmi eux, un certain nombre de « technos » se sont regroupés en 2019 dans un « réseau écologiste des professionnel·le·s de l’action publique », le Lierre. Ces « fonctionnaires, hauts fonctionnaires, expert·e·s, consultant·e·s, acteurs et actrices des politiques publiques », comme ils se décrivent eux-mêmes, veulent « écologiser l’action publique ». 
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-Lire aussi l’enquête (2022) : Article réservé à nos abonnés L’écologie, une terre de conflits 
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-Récemment, Claire Monod, ancienne élue écologiste à Paris, a créé un think tank qui voudrait penser l’écologie régalienne : l’Institut Cité écologique. Le deuxième numéro de la revue Propos. Pour une république écologique, qui en est l’émanation, aborde la question de « l’Etat écologique ». « La vision d’un Etat destructeur de la nature, ou allié des destructeurs, est liée à une écologie politique qui se conçoit comme un contre-pouvoir, là où nous voulons aussi un pouvoir écologique », résume-t-elle. 
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-La critique, un espoir de reconstruction 
-Aussi convient-il de voir dans « L’affaire du siècle » non pas l’expression d’un adieu à l’Etat, mais plutôt une demande d’Etat. Liora Israël, sociologue, directrice d’études à l’EHESS, travaille sur la façon dont des citoyens ordinaires, heurtés par les insuffisances et incohérences des pouvoirs publics, se saisissent de la justice pour obtenir réparation. Pour autant, de telles contestations, souligne-t-elle, sont également une reconnaissance indirecte du rôle de l’Etat. « Utiliser le droit pour contester renvoie (…) à une double affirmation paradoxale, de défiance et de reconnaissance à l’égard des autorités » (L’Arme du droit, Presses de Sciences Po, 2009 ; 2020). 
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-BORIS SÉMÉNIAKO 
-Cette ambivalence se retrouve au cœur même des réflexions contemporaines sur l’Etat, où la critique apparaît souvent comme le symptôme d’une déception et l’espoir d’une reconstruction. Les travaux récents d’Alain Supiot, professeur émérite au Collège de France et spécialiste du droit du travail, en fournissent une illustration possible. 
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-Sous l’influence de la mondialisation et des idées néolibérales, montre-t-il, l’Etat social a organisé son propre effacement. Il a déserté son rôle non seulement en matière de répartition des richesses, mais aussi en ce qui concerne leur usage, contribuant ainsi « à la surexploitation des ressources naturelles, au réchauffement climatique, à la perte de biodiversité, aux pollutions de toutes sortes, à la désertification et aux migrations forcées qui en découlent ». Pour ce disciple du juriste et psychanalyste Pierre Legendre, il est urgent de restaurer l’Etat dans « sa fonction de Tiers garant de la justice » (La Justice au travail, Seuil, 2022). 
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-Lire aussi (2019) : Article réservé à nos abonnés La turbulente histoire des écologistes 
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-Un Tiers, non plus seulement entre l’employeur et l’employé, mais aussi entre la société et la nature ? Cela reste à être précisé, car, ajoute Alain Supiot, « ce n’est ni en défaisant l’Etat social ni en s’efforçant de le restaurer comme un monument historique que l’on trouvera une issue à la crise sociale et écologique. C’est en repensant son architecture à la lumière du monde tel qu’il est et tel que nous voudrions qu’il soit » (Le travail n’est pas une marchandise, Collège de France, 2019). 
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-Autrement dit, la crise environnementale nous place à un point de bascule théorique entre l’anarchisme méthodologique d’un James C. Scott et une nouvelle phase, plus constructive, où il conviendra de penser les contours du Léviathan écologique à venir. Ce que confirme le philosophe Pierre Charbonnier, chercheur au CNRS et enseignant à Sciences Po : « Nous ne disposons pas d’une vision claire des implications de l’impératif climatique sur l’Etat et sur les politiques publiques, qui articulerait ses dimensions politiques, économiques et sociales. » 
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-« Epreuve d’Etat » 
-La crise climatique et environnementale ouvre bien une crise de l’Etat en mettant en lumière son impuissance à transformer les modes de vie, à limiter les émissions de CO2 et à protéger la biodiversité. Le sociologue Dominique Linhardt (CNRS) réfléchit depuis longtemps à ces moments de crise au cours desquels l’Etat « devient l’objet d’une incertitude et d’une scrutation collectives ». C’est pour les penser qu’il a forgé la notion d’« épreuve d’Etat ». A la mise en accusation de l’Etat succède dans son modèle une période au cours de laquelle celui-ci est sommé de manifester sa réalité et sa légitimité par une action tangible. Où est l’Etat ? Pourquoi est-il absent ? Comment le rendre présent ? Faut-il le réformer de l’intérieur ? En modifier la Constitution ? Le doter de nouveaux moyens techniques ? 
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-D’un point de vue économique, il ne fait guère de doute que l’épreuve de la crise climatique a marqué un certain « retour de l’Etat ». Cette expression présente néanmoins un désavantage malencontreux : elle suggère, bien à tort, qu’il aurait été préalablement abandonné. Or, c’est plutôt à une série de reconfigurations que l’on assiste. 
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-Dans une série d’articles, l’économiste britannique Daniela Gabor distingue trois grandes situations à l’échelle mondiale. D’abord l’éco-autoritarisme de la Chine. Après la crise financière de 2008 et la fermeture des marchés mondiaux, le Parti communiste chinois a lancé une vaste politique d’investissements publics soutenue par une banque centrale qui limite le coût de l’emprunt public. La notion de « civilisation écologique », depuis son entrée en circulation en 2007, y désigne le nouvel objectif de ces investissements dans une économie planifiée. 
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-Conçue en réponse au modèle occidental du « développement durable », elle a été inscrite dans la Constitution chinoise en 2017. Elle légitime l’action d’un Etat-parti qui, tout comme les collectivités locales, s’endette à grande échelle en réaffirmant au passage son pouvoir de discipliner le capital privé, mais aussi de contrôler toujours plus étroitement les citoyens. 
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-Une deuxième situation correspond aux pays peu avancés, pour lesquels il est difficile d’emprunter afin de financer la transition. Les Etats sont alors soumis aux critères de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Ces derniers les incitent à transposer le coût de la décarbonation sur les prix, en s’appuyant notamment sur la taxation carbone. Ce que la professeure à l’université de l’ouest de l’Angleterre appelle la « thérapie du choc carbone » : l’adaptation aux enjeux écologiques de la « thérapie du choc » que connurent les anciens pays communistes dans les années 1990, qu’elle étudia dans sa thèse sur la Roumanie. 
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-Des dispositifs peu convaincants 
-En Europe et aux Etats-Unis, enfin, Daniela Gabor décrit l’émergence d’un nouveau modèle d’Etat « atténuateur de risques » (derisking state). Né à la suite de la crise financière de 2008, celui-ci est devenu l’acteur principal de la reconversion industrielle « verte » aux Etats-Unis et au sein de l’Union européenne. L’atténuation des risques peut être monétaire et passer par les banques centrales, qui continuent d’agir sur les taux d’intérêt mais également, fait nouveau, achètent massivement de la dette souveraine afin d’ancrer les anticipations d’inflation ; elle peut en outre passer directement par les gouvernements qui utilisent les leviers fiscaux et réglementaires pour sécuriser la demande dans certains secteurs stratégiques, comme l’automobile ou le logement. 
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-Lire aussi (2023) : Article réservé à nos abonnés Emmanuel Macron incarne une vision de l’écologie productiviste 
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-Pour l’heure, le bilan de ces nouveaux dispositifs est peu convaincant. Dans son livre L’Etat droit dans le mur. Rebâtir l’action publique (Fayard, 2023), l’économiste Anne-Laure Delatte (CNRS) le met en lumière à partir du cas français. Afin d’étudier l’évolution des aides publiques, elle a pris en compte non seulement les aides directes, mais aussi les dépenses liées à l’atténuation des risques pour les entreprises et le secteur financier. Outre les exonérations et niches fiscales, cela inclut les interventions de la Banque de France, dont la contribution au financement de la dette publique a retrouvé au cours des années 2010 les niveaux historiques de l’époque de la planification dans les années 1950 et 1960. 
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-Or, elle montre que ces financements, d’abord destinés à soutenir le marché, ont jusqu’ici fonctionné sans recherche d’optimisation écologique et sociale, y compris lors de la pandémie de Covid-19 en 2020. Non seulement ils ont bénéficié en priorité aux entreprises les plus polluantes, mais les services publics en ont été privés, la rigueur budgétaire étant nécessaire pour valoriser la dette française sur les marchés financiers. 
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-Cette trajectoire peut-elle être corrigée ? Pas selon Daniela Gabor, pour qui l’Etat « atténuateur » des risques encourus par les capitaux privés n’est pas adapté à la transition climatique. Celui-ci « ne parviendra pas aux transformations structurelles qui seraient nécessaires pour s’aligner sur les objectifs de l’accord de Paris de 2015 », expliquait-elle en janvier 2023 dans un entretien pour la revue de gauche américaine Jacobin. 
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-S’il est permis de rêver à un « grand retour » de l’Etat néo-keynésien, interventionniste et planificateur, un tel scénario marquerait une bifurcation historique pour l’UE. Plusieurs travaux ont en effet montré que cette dernière fut en partie conçue, sous l’influence néolibérale, comme un cadre politique au sein duquel la concurrence de marché devait acquérir une valeur quasi constitutionnelle. 
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-Dans son livre Les Globalistes. Une histoire intellectuelle du néolibéralisme (Seuil, 2022), l’historien canadien Quinn Slobodian montre ainsi que le traité de Rome de 1957 créa la conviction, au sein d’une importante école de juristes proches de Friedrich von Hayek et de la revue ORDO, que le droit européen pouvait garantir la libre circulation du capital entre les Etats. Ces « ordolibéraux » agirent à partir des années 1960 pour faire du droit européen une sorte de « Constitution économique » capable de limiter l’intervention des syndicats. 
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-Légitimité démocratique ébranlée 
-Le sociologue allemand Wolfgang Streeck va plus loin dans son livre Du temps acheté. La crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique (Gallimard, 2014). Selon lui, l’Acte unique européen de 1986, en instaurant le marché unique, a entraîné le démantèlement des dispositifs qui avaient jusqu’alors permis une forme de compromis entre capitalisme et démocratie. L’inscription des Etats européens dans une économie mondialisée, où leur capacité d’emprunt dépend de leur positionnement sur le marché de la dette, limite considérablement leur action et surtout ébranle leur légitimité démocratique. 
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-Les gouvernements, en raison de leur dette souveraine, se retrouvent en effet mandataires non plus seulement d’un peuple de citoyens, mais aussi d’une « seconde population » de créanciers. De ce fait, ils doivent constamment consolider leur solvabilité – ce sont des « Etats de consolidation », théorise Streeck – mais, ce faisant, adoptent des politiques de rigueur de plus en plus éloignées des aspirations des électeurs. 
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-Lire aussi la tribune (2022) : Article réservé à nos abonnés Alain Grandjean : « Hausse des taux et politiques de rigueur pénaliseraient la transition écologique » 
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-Ces dynamiques historiques ne sont cependant pas forcément irréversibles. Céline Spector, autrice de No démos ? Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe (Seuil, 2021), pense que la décision prise par la Commission européenne, en 2020, d’émettre de la dette au profit des Etats membres marque un tournant. Ce pourrait être le « moment hamiltonien » de l’Europe, explique la professeure de philosophie politique à l’université Paris-Sorbonne, en référence à la décision prise en 1790 par Alexander Hamilton, le secrétaire au Trésor des Etats-Unis, d’honorer la dette de tous les Etats fédérés. 
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-Certes, l’UE, contrairement aux Etats-Unis, n’est pas un Etat fédéral, mais, juge-t-elle, « entre le néolibéralisme et l’Etat-nation, il peut y avoir un modèle républicain fédératif ». Cette « république », fédérative plutôt que fédérale, serait à même de coordonner les Etats afin qu’ils puissent aborder la transition écologique à une échelle transnationale, et non pas uniquement nationale et locale. L’UE, devenant une république des peuples, réaliserait le rêve cosmopolitique que portèrent en leur temps l’abbé de Saint-Pierre, Montesquieu et Kant. 
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-Céline Jouin, spécialiste de philosophie du droit, voit elle aussi le néolibéralisme européen non comme une fatalité mais comme le résultat d’une histoire politique, qu’elle cherche à comprendre en revenant au début du XXe siècle : « Avant que les ordolibéraux n’affirment la valeur suprapolitique des lois du marché, l’idée d’une “Constitution économique” avait déjà largement cours en Europe. » D’Emile Durkheim, en France, à Sidney et Beatrice Webb, en Angleterre, partout on réfléchissait aux moyens d’harmoniser les institutions démocratiques avec les propriétés des sociétés industrielles. 
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-Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Europe : « De la coordination des politiques néolibérales, nous devons passer à celle des investissements stratégiques » 
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-C’était également le cas en Allemagne, où la Constitution de Weimar de 1919 avait été inspirée par les idées du juriste Otto von Gierke. « Il s’agissait de constitutionnaliser le droit social en donnant du pouvoir aux comités d’entreprise et aux syndicats et en assurant une négociation équitable des parties. Un droit économique devait se construire par la négociation et la délibération. Les néolibéraux n’ont fait que reprendre cette idée d’une constitutionnalisation de l’économie, mais en lui retirant sa dimension démocratique », explique la maîtresse de conférences à l’université de Caen. 
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-Le laboratoire sud-américain 
-Ne faudrait-il pas s’inspirer de ces expériences afin d’imaginer un nouveau constitutionnalisme écologique ? C’est dans cette direction que pointent aujourd’hui plusieurs philosophes et juristes. Dominique Bourg et Kerry Whiteside proposèrent il y a quelques années une série de réformes, de nature en partie constitutionnelle, pour mieux tenir compte des générations futures (Vers une démocratie écologique, Seuil, 2010). Depuis, l’idée a été relayée et enrichie par de nombreux auteurs, comme Serge Audier ou Corine Pelluchon. 
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-L’Amérique du Sud en est le principal laboratoire. Après de premières tentatives en Equateur (2008) et en Bolivie (2009), c’est au Chili que la gauche, en 2019, s’est emparée d’un ambitieux projet de réforme constitutionnelle. Le nouvel Etat chilien devait articuler entre eux les droits à une vie digne, à la démocratie et aux équilibres naturels. Les animaux seraient reconnus comme des êtres sensibles et feraient l’objet d’une nouvelle protection, tout comme la mer, les eaux, mais aussi l’air et les montagnes, désormais redéfinis comme des biens communs. Mais, en mai 2022, ce texte qui accordait des droits nouveaux aux peuples autochtones a été rejeté à 62 % des suffrages. Désormais, le Parti républicain ultraconservateur est aux commandes. En décembre 2023, un nouveau projet de Constitution a été soumis au vote, bien loin cette fois-ci des préoccupations écologiques. 
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-S’il existe une voie alternative, entre l’éco-autoritarisme à la chinoise et l’Etat « atténuateur de risques » au service de la « finance verte », ce chemin ne saurait exister sans soutien populaire. Renaud Bécot, maître de conférences à Sciences Po Grenoble, se demande comment articuler le travail de déconstruction des sciences sociales à un engagement plus positif qui pourrait contribuer à renforcer l’adhésion au projet d’une société décarbonée. 
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-Dans ses travaux, cet historien de la pétrochimie et des luttes environnementales du XXe siècle explore les « possibles non advenus » des sociétés industrielles : les instruments de l’Etat n’auraient-ils pas pu être orientés différemment ? « Dans les années 1960 et 1970, il existait des coalitions de scientifiques, de médecins et de riverains pour penser une décroissance de certaines activités industrielles. Autour de la CFDT et du Parti socialiste unifié, notamment, on explorait la possibilité d’une planification démocratique de l’économie, en lien avec les idées écologistes. » 
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-Réflexion technique et démocratique 
-Récusant l’idée d’un anarchisme consubstantiel aux mouvements écologistes, il évoque la figure de Nicos Poulantzas : dans les années 1970, ce théoricien marxiste de l’Etat était à la recherche d’une voie socialiste non autoritaire. Il est aujourd’hui redécouvert par une partie de la gauche (Jean-Numa Ducange et Razmig Keucheyan, La Fin de l’Etat démocratique. Nicos Poulantzas, un marxisme pour le XXIe siècle, PUF, 2016). Beaucoup de syndicalistes et de militants réfléchissaient aux conditions d’une planification plus démocratique de l’économie. Ces réflexions n’ont toutefois pas abouti, à la suite de la crise pétrolière de 1973 et de la contre-offensive patronale qui lui succéda. 
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-Lire aussi la tribune (2023) : Article réservé à nos abonnés « Le choc pétrolier de 1973 consacre l’importance de la politique monétaire comme outil dominant de lutte contre l’inflation » 
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-Peut-on renouer ce fil cinquante ans plus tard ? Seulement à condition de ne pas séparer la réflexion technique sur les moyens de la réflexion démocratique sur les fins. Pour James C. Scott, il existe une fatalité de la trahison démocratique des Etats qui passe toujours par des instruments de gouvernement mal adaptés, notamment par des catégories statistiques qui sont la source d’un aveuglement aux fines réalités sociales et environnementales du terrain. 
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-Dans son livre L’Invention de l’économie française (Presses de Sciences Po, 2023), le sociologue Thomas Angeletti apporte un autre éclairage sur l’histoire des catégories statistiques qui guidèrent la planification dans la deuxième moitié du XXe siècle. Il montre comment ces catégories – en particulier celle, englobante, d’« économie » –, loin d’être seulement des simplifications d’un réel qui leur préexisterait, devinrent aussi des réalités pour les individus et les entreprises qui s’y référaient. 
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-L’Etat fabrique les entités qui composent le monde politique, mais bientôt celles-ci vivent leur propre vie démocratique. La crise environnementale, en poussant les Etats à ouvrir les yeux sur les émissions de CO2 ou la baisse de biodiversité, fabrique aujourd’hui un « environnement », composé de réalités multiples, dont le sens politique reste à construire. La fabrication de nouveaux indicateurs chiffrés par les Etats, en vue de la transition écologique, ne constitue pas un objectif en soi. Ceux-ci n’ont de valeur qu’articulés à une vision de la justice sociale et environnementale. 
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-L’Etat doit-il se convertir à une nouvelle cosmologie ? 
-Si les institutions, selon le sociologue Luc Boltanski, « font le tri » entre ce qui existe et ce qui n’existe pas, et si elles « disent ce qu’il en est de ce qui est », l’Etat détient ce pouvoir par excellence. Celui-ci est un métaphysicien qui catégorise le monde social et, en qualifiant les différents êtres qui le composent, les dote (ou non) de droits et de statuts. A chaque type d’Etat et d’action correspond alors un type spécifique de connaissance statistique. 
- 
-Pour l’écrivain Camille de Toledo, lecteur enthousiaste de Bruno Latour ainsi que de Philippe Descola, et cheville ouvrière du livre collectif Le Fleuve qui voulait écrire. Les auditions du parlement de la Loire (Manuela éditions, 2021), il est temps de doter la Loire d’une personnalité juridique. 
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-Par l’intermédiaire de ses gardiens ou représentants, elle pourrait alors attaquer un Etat que l’on peut légitimement considérer comme l’un des principaux véhicules d’une séparation entre nature et culture qui, à partir du XVIIe siècle, posa les bases de la crise actuelle. La transition écologique devra-t-elle s’appuyer sur la reconnaissance politique et statistique de nouveaux êtres sociaux non humains ? Doit-on, afin de l’engager, se convertir aussi à une nouvelle cosmologie, une nouvelle vision de la société et de l’Univers ? 
- 
-Céline Spector n’y croit guère. Selon cette enseignante-chercheuse, qui consacre cette année son séminaire de philosophie politique aux problématiques environnementales, « le sujet de l’écologie, en France et en Europe, peut être traité indépendamment de tout questionnement métaphysique sur ce qu’est la nature. La question centrale est celle du consentement à la finitude, et aux mesures qui vont devoir révolutionner nos modes de vie. » 
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-Julien Vincent 
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