Utilisateur non connecté
Présidentielle en Égypte: comment al-Sissi a mis les pharaons au service de sa politique [ElseNews]

Outils pour utilisateurs

Outils du site


elsenews:spot-2023-12a:egypte

25/12/2025/H14:10:24

Présidentielle en Égypte: comment al-Sissi a mis les pharaons au service de sa politique

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, au pouvoir depuis dix ans et candidat à un troisième mandat, a fait de l'histoire antique un outil majeur de sa politique intérieure et étrangère.

Publié le : 11/12/2023 - 08:14

6 mn

Le président Abdel Fattah al-Sissi accueille 22 momies royales au Musée national de la civilisation égyptienne, le 3 avril 2021. AP
Par :
François-Damien Bourgery
Suivre
Pharaonique. Bâti au pied des pyramides de Gizeh, en périphérie du Caire, le Grand Musée égyptien est le temple des superlatifs. Un projet à un milliard de dollars. Un écrin de 45 000 mètres carrés destiné à accueillir plus de 100 000 œuvres antiques, dont les trésors de Toutankhamon, et six millions de visiteurs par an. Le plus grand musée archéologique du monde.

Encore faut-il qu'il ouvre. Lancés il y a vingt ans, ses travaux ne sont toujours pas achevés. La faute à la crise financière de 2008, au printemps arabe de 2011, puis à l'épidémie de Covid-19. Son inauguration, sans cesse repoussée, est désormais attendue d'ici au mois de février. Le pouvoir égyptien veut en tout cas montrer qu'il prend l'affaire à cœur : le ministère du Tourisme et des Antiquités indique avoir « ordonné d'établir un calendrier portant sur la fin des travaux » et réclamé des réunions de suivi bihebdomadaires.

Un symbole
Bien qu'imaginé dès les années 1990 sous la présidence d'Hosni Moubarak, le Grand Musée égyptien est symbolique de la politique menée par Abdel Fattah al-Sissi, candidat à sa réélection qu'il devrait remporter sans surprise. Il s'inscrit dans la liste des projets archéologiques parrainés par le gouvernement et célébrés en grandes pompes, tels que le transfert en avril 2021 de 22 momies royales du Musée égyptien de la place Tahrir vers le nouveau Musée national de la civilisation égyptienne installé dans la banlieue sud du Caire. Transportées à travers la capitale sur des véhicules militaires blindés transformés en barques funéraires, elles avaient été accueillies par le président al-Sissi et 21 coups de canon devant des médias du monde entier. La population, elle, n'avait pu suivre la cérémonie qu'à la télévision, les rues ayant été bouclées par les forces de l'ordre.

À lire aussi
Présidentielle en Égypte: quels enjeux pour une élection sans suspense?

L'objectif de cette politique patrimoniale est triple. Il s'agit notamment de souder la population autour d'un passé commun, forcément glorieux. « Le défilé des momies a vraiment contribué à sensibiliser les Égyptiens », voulait ainsi croire l'ancien ministre du Tourisme et des Antiquités, Khaled el-Hanany, dans les colonnes du magazine National Geographic en octobre 2022. « Cela nous dit que nous appartenons tous à une grande civilisation, que nous respectons nos ancêtres. Le Grand Musée égyptien enverra les mêmes messages de manière nouvelle et puissante : fierté, respect, unité et force. »

Cette instrumentalisation de l'histoire ancienne à des fins politiques n'est pas nouvelle. Dans les années 1930, déjà, dans un contexte de montée du nationalisme égyptien, était apparu un mouvement idéologique revendiquant ce passé antique comme partie intégrante de l'identité égyptienne : le pharaonisme. Elle s'est ensuite développée dans les années 1980 sous le régime d'Hosni Moubarak et s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui. « Les Égyptiens mobilisent les figures pharaoniques à chaque fois qu'ils veulent unir la nation autour d'une référence commune qui fait consensus. Les pharaons sont très pratiques pour cela, parce qu'ils dépassent le clivage musulman-chrétien », observait Frédéric Mougenot, conservateur des antiquités au musée des Beaux-Arts de Lille, dans un documentaire de France Culture.

Relancer le tourisme
Cette promotion de l'histoire pharaonique a aussi pour but de revivifier un secteur du tourisme moribond et pourtant essentiel à l'économie égyptienne – il représente un dixième du produit intérieur brut et la principale rentrée de devises –, elle-même au plus mal. Le pays le plus peuplé du monde arabe est confronté depuis des années à une crise économique latente, aggravée par la guerre en Ukraine. La livre égyptienne a perdu la moitié de sa valeur par rapport au dollar, entraînant une inflation qui caracole désormais à 40%.

« Les antiquités sont clairement vues par le régime d'al-Sissi comme un moyen d'encourager la venue de touristes », considère un chercheur français, interrogé par RFI, qui avait été « invité » par le ministère du Tourisme et des Antiquités, comme d'autres directeurs de fouilles, à faire la promotion des sites archéologiques égyptiens. La fusion du ministère du Tourisme avec celui des Antiquités en 2019, puis le remplacement l'année dernière de celui qui dirigeait ce ministère conjoint, l'égyptologue Khaled el-Enany, par l'ancien banquier Ahmed Issa, seraient en cela révélateurs.

Et lorsque les touristes étrangers ne viennent pas à elle, c'est l'Égypte antique qui vient à eux. Après le succès mondial de l'exposition itinérante Toutankhamon en 2019, Le Caire a récidivé cette année avec une nouvelle tournée consacrée cette fois à Ramsès II. « L'Égypte moderne est fière de partager son histoire », s'enorgueuillissait le secrétaire général du Conseil suprême des antiquités d'Égypte, Mostafa Waziry, sur la plaquette de présentation.

Soft power
Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Car tel est le troisième objectif de cette offensive mémorielle. « En exaltant son passé antique, le régime d'Abdel Fattah al-Sissi cherche à rendre à l'Égypte sa place sur la scène internationale, où elle avait été éclipsée par les pays du Golfe », note pour RFI Sara Tonsy, chercheuse en sciences politiques à l'université Sant'Anna de Pise et à Mesopolhis à Aix-en-Provence. Cette stratégie de soft power se traduit également par une fièvre bâtisseuse et des projets architecturaux démesurés, tels que le doublement du canal de Suez ou l'édification d'une nouvelle capitale administrative sur le modèle de Dubaï, qui abrite ce qui est présenté comme « l'une des plus grandes mosquées du Moyen-Orient ».

« Ce qui se passe en Égypte aujourd'hui est à mettre en regard de ce qui se passe en Arabie saoudite, où là aussi le patrimoine est revivifié à grand renfort de médiatisation, de projets futuristes, qui ne sont pas contradictoires avec cette réactivation du passé pour se donner une légitimité auprès de l'opinion occidentale », analysait sur France Culture le géopolitologue Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS.

« Pas contradictoires », rien n'est moins sûr. La politique patrimoniale menée par le président égyptien est sélective. Et s'il doit choisir entre le passé et le futur, c'est bien l'avenir qui semble avoir ses faveurs. En témoigne la destruction partielle de la Cité des morts, la plus vaste et ancienne nécropole du Moyen-Orient, classée au patrimoine mondial de l'Unesco, pour y faire passer un réseau autoroutier.

Arrivé au pouvoir en 2013 en renversant le président issu des Frères musulmans Mohamed Morsi, l'ex-maréchal Abdel Fattah al-Sissi avait remporté les élections présidentielles de 2014 et 2018 avec plus de 96% des suffrages. À la faveur d'une révision constitutionnelle portant la durée du mandat présidentiel de quatre à six ans, il pourrait en cas de victoire conserver le pouvoir jusqu'en 2030. Pharaonique.

× iphelper toolbox

you see this when javscript or css is not working correct

Untested
IP Address:
First usable:
Subnet:
Last usable:
CIDR:
Amount of usable:
Network address:
Reverse address:
Broadcast address:

elsenews/spot-2023-12a/egypte.txt · Dernière modification: 11/12/2023/H15:56:13 (modification externe)