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« Je n'accepte pas vos leçons »… L'ancien pénaliste refait surface pour défendre le ministre
Éric Dupond-Moretti est jugé depuis lundi par la Cour de justice de la République, une première pour un ministre en exercice.
Le garde des Sceaux est soupçonné de s’être servi de ses fonctions pour régler ses comptes avec des magistrats – un ancien juge d’instruction et trois magistrats du Parquet national financier (PNF) – avec lesquels il avait eu des différends lorsqu’il était avocat.
Ce mercredi, les magistrats visés par les enquêtes administratives qu’il a lancées ont défilé à la barre. Le ministre de la Justice a été tenté, à plusieurs reprises, de prendre la parole pour se défendre.
A la Cour de justice de la République,
Imaginons un médecin blessé qui serait tenté d’arracher le bistouri des mains du chirurgien pour s’opérer lui-même. C’est un peu la situation dans laquelle se retrouve Éric Dupond-Moretti depuis le début de son procès, lundi, devant la cour de justice de la République pour « prise illégale intérêts ». Ce mercredi, alors que les témoins – le plus souvent des hauts magistrats – se succèdent à la barre, le garde des Sceaux a du mal à rester en place.
L’ancien avocat prend des notes, échange avec sa défense, dodeline en signe de dénégation, bronche, pose des questions. Il retrouve peu à peu ses réflexes de pénaliste. Le président, Dominique Pauthe, est régulièrement obligé de le rappeler à l’ordre. « Il faut laisser répondre le témoin sans parler. ». Le ministre, qui se dit innocent, attend son tour pour prendre la parole et laisse ses avocats, Mes Jacqueline Laffont et Rémi Lorrain, interroger les témoins.
Le premier à se présenter à la barre est Patrice Amar, l’un des trois magistrats du Parquet national financier (PNF) contre lesquels le ministre de la Justice a ouvert des enquêtes administratives. Le magistrat revient sur la chronologie des faits. A l’époque, Patrice Amar a diligenté une enquête pour tenter d’identifier la source ayant prévenu l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, et son avocat Thierry Herzog, qu’ils étaient sur écoute, dans le cadre de l’affaire dite « Paul Bismuth ».
Encore avocat, Éric Dupond-Moretti apprend, par un article du Point de juin 2020, que le PNF a fait éplucher ses factures téléphoniques détaillées et celles d’autres confrères. Acquittator – comme on le surnommait – dénonce alors dans les médias une « enquête barbouzarde » et porte plainte pour violation de la vie privée. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, lance une « inspection de fonctionnement » sur l’enquête du PNF.
« Les multiples dysfonctionnements » du PNF
Un mois plus tard, Éric Dupond-Moretti est nommé, à la surprise générale, garde des Sceaux. C’est donc lui qui reçoit les conclusions de l’inspection. Elle ne pointe aucune faute disciplinaire mais relève un certain nombre de dysfonctionnements au sein du PNF. Le ministre de la Justice, sur « recommandation » de son administration, ordonne néanmoins une enquête administrative à l’encontre de trois magistrats du PNF pour rechercher d’éventuels manquements individuels. Tous seront blanchis de toute faute disciplinaire.
Patrice Amar dit avoir été victime de « l’acharnement » du garde des Sceaux qui est « ami » avec Thierry Herzog. « Quelles conséquences a eues sur votre vie cette enquête ? » lui demande le président Pauthe. « C’est une expérience humainement intéressante. Il y a beaucoup de gens qui vous tournent le dos, d’autres qui se révèlent des gens de valeur. Vous vous retrouvez très seul », répond le témoin. « Mais je ne suis pas un bébé phoque non plus, donc je me suis battu. »
L’avocate du prévenu observe que « les multiples dysfonctionnements » relevés dans le cadre de l’enquête de fonctionnement « sont perçus par les personnes qui reçoivent ce rapport comme pouvant mériter une enquête administrative pour creuser ces éléments ». Me Laffont rappelle que le témoin avait dénoncé, auprès de la procureure générale près la cour d’appel de Paris, Catherine Champrenault, les « graves manquements disciplinaires » de sa propre supérieure, Eliane Houlette. « A la suite de ça, vous ne faites plus l’objet de notation et vous êtes sorti du PNF pour aller à la cour d’appel », note l’avocate du garde des Sceaux, soulignant ainsi que tout n’était pas si rose que ça au PNF.
« C’est très simple, le ministre a vengé l’avocat »
C’est ensuite au tour de la « binôme » de Patrice Amar, Ulrika Weiss-Delaunay, de s’avancer à la barre. La magistrate de 54 ans a toujours en travers de la gorge le communiqué de presse de la Chancellerie annonçant l’ouverture d’une enquête administrative. « On livre nos trois noms à la presse. C’est un immeuble qui s’effondre sur ma tête à ce moment-là », lâche-t-elle. « Ça a véritablement été une épreuve. Pendant les semaines qui ont suivi le communiqué, j’étais incapable de faire quoi que ce soit. J’étais comme un zombie, c’est ce que mes enfants ont dit. »
Trois ans plus tard, elle en est certaine : « Dans ce dossier, c’est très simple, le ministre a vengé l’avocat. » Et ce procès, dit-elle aux juges, « il traite d’enjeux qui sont bien supérieurs à ma personne, et que vous êtes chargés aujourd’hui de défendre ».
A la barre, Catherine Champrenault, l’ancienne procureure générale près la cour d’appel de Paris, évoque une photo de Paris Match, montrant Éric Dupond-Moretti et Thierry Herzog passant leurs vacances ensemble. « Comme beaucoup de magistrats », elle a pris ça comme « un pied de nez ». « Je ne reproche pas à Éric Dupond-Moretti d’être fidèle en amitié. C’est même une vertu. C’est autre chose de se mettre en scène et de rendre public une sorte de soutien alors que Me Herzog allait comparaître quelques semaines plus tard en correctionnelle. » La magistrate affirme en outre avoir été « choquée qu’on livre en pâture » le nom de ses trois collègues.
L’ancien pénaliste, habitué des cours d’assises, se lève, saisit le micro tendu par l’huissier et s’adresse à l’ancienne procureure générale près la cour d’appel de Paris, désormais à la retraite. « Nous deux, ce n’est pas le grand amour », lui lance le prévenu. Pour lui, la magistrate n’a pas digéré qu’un avocat devienne ministre de la Justice. Rappelant qu’elle n’avait pas donné suite au courrier que lui avait adressé Patrice Amar, il décrit un monde de la magistrature où l’on préfère laver son linge sale en famille.
Il s’agite, retrouve ses accents d’avocat tonitruant, brandit un autre article de Paris Match publié avant la diffusion du fameux communiqué de presse, et dans lequel on trouve les noms de magistrats visés par l’enquête administrative. Quant à Thierry Herzog, les deux hommes, qui ont exercé la même profession, sont amis depuis plus de trente ans. Puis il conclut en lançant à l’ancienne magistrate : « Je n’accepte pas vos leçons. »
Thibaut Chevillard
https://www.20minutes.fr/justice/4061455-20231108-proces-dupond-moretti-accepte-lecons-ancien-penaliste-refait-surface-defendre-ministre
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