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-======  Le Monde – Des virements secrets d’Abramovitch nourrissent le soupçon d’une caisse noire à Chelsea   ======
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-LÉA GIRARDOT POUR « LE MONDE »
-Des virements secrets d’Abramovitch nourrissent le soupçon d’une caisse noire à Chelsea
-Par Le Monde
-Par Le Monde
-Par Le Monde
-Aujourd’hui à 05h25
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-ENQUÊTE Selon des documents issus de l’enquête « Cyprus Confidential », l’oligarque a versé personnellement plusieurs dizaines de millions d’euros via des sociétés offshore à des personnalités liées au club de football londonien, dont il était propriétaire. Au risque d’enfreindre les règles du fair-play financier.
-Lecture 5 min
-Plus d’un an après le départ forcé de Roman Abramovitch, des squelettes se cachent encore dans les placards de Chelsea. Le voile se lève, peu à peu, sur les pratiques de l’oligarque russe, qui a régné pendant vingt ans sur le club de football londonien.
-L’enquête « Cyprus Confidential » révèle aujourd’hui l’existence d’une caisse noire ayant servi à payer plusieurs personnalités gravitant autour du club. Ces paiements, jusqu’alors confidentiels, réalisés par l’intermédiaire de sociétés offshore, sont susceptibles d’avoir enfreint les règles du fair-play financier instaurées pour garantir l’équité entre les clubs européens.
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-Roman Abramovitch, 57 ans, est un personnage aux multiples facettes : multimilliardaire enrichi par le pétrole, mécène des arts, diplomate de l’ombre, proche de Vladimir Poutine, il a également été, deux décennies durant, l’une des figures majeures du football anglais. C’est lui qui a replacé Chelsea sur le devant de la scène européenne après avoir racheté le club en 2003, pour 140 millions de livres sterling. Cerné par les sanctions économiques consécutives à la guerre en Ukraine, l’oligarque a été contraint de revendre le club en 2022 pour 5 milliards d’euros à un groupe dirigé par Todd Boehly, copropriétaire de l’équipe de baseball des Los Angeles Dodgers.
-L’enquête « Cyprus Confidential »
-Centre financier opaque, havre pour l’argent russe, zone grise de la cyberéconomie : l’enquête « Cyprus Confidential » raconte comment Chypre, petite île méditerranéenne, s’est laissée déborder par son industrie offshore, en devenant le maillon faible de l’Union européenne dans la lutte contre les flux financiers douteux.
-Cette investigation s’appuie sur la fuite de 3,6 millions de documents confidentiels issus de six cabinets de services financiers chypriotes (ConnectedSky, Cypcodirect Corporate Services, DJC Accountants, Kallias & Associates, MeritKapital et MeritServus) et du registre de sociétés i-Cyprus. Ces « leaks » ont été obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project et le média d’investigation allemand Paper Trail Media, avec l’appui de Distributed Denial of Secrets, un groupe d’activistes militant pour la transparence, puis partagés avec soixante-neuf médias internationaux, dont Le Monde.
-Après la reprise du club, ce dernier a rapidement alerté les autorités financières de la ligue de football anglaise sur les « informations financières incomplètes » déposées pendant l’ère Abramovitch, sans rendre publiques davantage de précisions.
-La fuite de données « Cyprus Confidential » semble aujourd’hui apporter une partie de la réponse. Des documents internes du cabinet MeritServus, spécialisé dans la fourniture de services offshore à Chypre, consultés par Le Monde et ses partenaires, montrent que Roman Abramovitch s’est substitué à de nombreuses reprises à son club pour verser plusieurs dizaines de millions d’euros à des agents, dénicheurs de talents et propriétaires de clubs concurrents, en puisant dans ses propres ressources.
-L’hypothèse des commissions occultes
-En 2017, par exemple, une société offshore aux îles Vierges britanniques appartenant à l’oligarque, Conibair Holdings, a conclu un contrat prévoyant le versement de 10 millions de livres (11,2 millions d’euros à l’époque) à l’agent italien Federico Pastorello. Le jour même était annoncé le renouvellement du contrat d’Antonio Conte comme entraîneur de Chelsea. Or plusieurs sources indiquent que Federico Pastorello était à l’époque l’agent d’Antonio Conte. Le paiement de Conibair Holdings était-il une manière de camoufler la commission qu’il a prélevée sur le contrat ? M. Pastorello a refusé de s’expliquer sur ces transactions et de confirmer qu’il représentait à l’époque l’entraîneur, se contentant de préciser que ce n’est pas le cas actuellement.
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-Quelques années auparavant, Roman Abramovitch pourrait avoir usé de méthodes similaires pour offrir aux Blues le meneur de jeu Eden Hazard. En mars 2013, quelques mois après la signature officielle de l’international belge, son agent, John Bico Penaque, a signé un contrat avec Leiston Holdings, une autre société écran détenue par l’oligarque aux îles Vierges britanniques, pour des services « liés à la recherche et au conseil dans le domaine du sport ». Là encore, la justification des 6,5 millions d’euros versés à l’agent interroge. Contacté, M. Bico Penaque n’a pas donné suite.
-En 2013, une société de Roman Abramovitch a versé 12 millions d’euros à un autre oligarque, Souleïman Kerimov, pour des « services (…) liés au football, y compris le repérage de talents et d’autres conseils liés au football ». Deux mois plus tard, Chelsea s’attachait les services des joueurs Samuel Eto’o et Willian, qui évoluaient jusqu’alors à l’Anji Makhatchkala, un club russe appartenant à M. Kerimov.
-Plafond légal
-La fuite « Cyprus Confidential » porte aussi la trace d’autres paiements suspects réalisés par des structures offshore de Roman Abramovitch entre 2005 et 2018 : 250 000 livres à Frank Arnesen, l’ancien directeur sportif de Chelsea ; 1 million de livres au centre de formation de football dirigé par le frère de Bertrand Traoré, quelques jours après la signature de l’attaquant burkinabé ; ou encore 7 millions d’euros de frais de consulting à Vladica Lemic, un agent influent réputé pour avoir joué un rôle déterminant dans l’arrivée à Chelsea de l’attaquant Arjen Robben et de l’entraîneur Carlo Ancelotti. Sollicités, ces protagonistes n’ont pas donné suite.
-Lire aussi :
-A la poursuite de Roman Abramovitch, « l’homme caméléon »
-Ces paiements n’ayant pas été inscrits dans les comptes de Chelsea, le club a pu minorer ses dépenses officielles, et réduire ses risques de dépasser le plafond légal imposé par les instances du football. Trois avocats du sport distincts ont confirmé à nos partenaires du journal britannique The Guardian que, si elles n’ont pas été déclarées aux autorités sportives, ces transactions pourraient être contraires à la réglementation européenne contre le « dopage financier », mais également aux règles du football anglais, qui imposent de soumettre des comptes sincères et de déclarer les commissions versées aux agents et intermédiaires.
-Déjà condamné à l’été 2023 par l’Union des associations européennes de football (UEFA), à une amende de dix millions d’euros pour des entorses au fair-play financier, Chelsea fait actuellement l’objet d’une enquête de la ligue anglaise, qui s’intéresse notamment aux transferts de Samuel Eto’o et de Willian. « S’il est prouvé que le club a utilisé des transactions avec des tiers pour contourner les règles de rentabilité et de durabilité, les sanctions seront soit une pénalité financière, soit un retrait de points [dans le championnat] », explique l’universitaire Kieran Maguire, spécialiste de l’économie du football à l’université de Liverpool. Contactée, la direction actuelle de Chelsea déclare que « ces allégations sont antérieures à la propriété actuelle du club ». « Elles sont basées sur des documents qui n’ont pas été montrés au club et ne concernent aucune personne actuellement au club », poursuit un porte-parole.
-Une action en justice financée en secret
-Un autre secret de Roman Abramovitch se niche dans la fuite de documents de MeritServus. Non content d’avoir contourné le fair-play financier, l’oligarque s’est aussi activement employé à le torpiller en finançant secrètement en 2014 une procédure du cabinet d’avocats de Jean-Louis Dupont visant à faire invalider la réglementation de l’UEFA en justice.
-Connu pour avoir été à l’origine de l’arrêt Bosman en 1995, qui a consacré la liberté de circulation des footballeurs en Europe, l’avocat belge était à l’époque lancé dans une bataille judiciaire contre le fair-play financier, dont il contestait la légalité devant la Commission européenne. Officiellement, il agissait pour le compte de Daniel Striani, un agent de joueurs belge.
-Un contrat présent dans le « leak » révèle pourtant que Leiston Holdings s’est engagée en février 2014 à soutenir la procédure, par le biais de conseils juridiques et d’un paiement de 100 000 livres. Le document précise que Leiston avait un « intérêt économique dans le résultat de cette procédure », suggérant qu’elle a agi au nom de Chelsea.
-Décryptage :
-Les astuces des clubs de football pour contourner les règles du fair-play financier
-Sollicité par nos confrères du Soir, Daniel Striani a d’abord assuré tout ignorer de l’intervention de Roman Abramovitch : « J’ai payé les frais d’avocats moi-même, et je n’aurais jamais accepté qu’un club ou que quiconque paie à ma place. » Il s’est ensuite ravisé le lendemain, en apportant une réponse plus nuancée : « Dans un combat juridique de cette ampleur, on doit pouvoir compter sur des appuis extérieurs, argue l’agent. Le vrai problème, c’est que, quand ils doivent s’attaquer à la FIFA et à l’UEFA, les clubs n’osent même pas s’adresser à la justice, par crainte de sanctions. » Jean-Louis Dupont, de son côté, a refusé de s’exprimer, en invoquant son devoir de confidentialité
-Que ce combat ait été coordonné ou non, il s’est révélé vain pour Roman Abramovitch : la plainte de l’avocat Jean-Louis Dupont a été rejetée par la Commission européenne à l’automne 2014, puis par la justice européenne à l’été 2015. Cette déconvenue n’a pas découragé l’oligarque, qui a poursuivi ses montages offshore.
-Relire notre enquête :
-Quand Abramovitch était « Gentleman Roman », au cœur de « Londongrad »
-CYPRUS CONFIDENTIAL
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