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| ====== Le Monde – La grande évasion fiscale des multinationales continue] ====== | |
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| [Le Monde – La grande évasion fiscale des multinationales continue](https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/22/entreprises-la-grande-evasion-fiscale-continue_6196011_3234.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default ) | |
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| https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/22/entreprises-la-grande-evasion-fiscale-continue_6196011_3234.html | |
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| ÉCONOMIE | |
| La grande évasion fiscale des multinationales continue | |
| Plus de 1 000 milliards de dollars. Cette somme, calculée par l’Observatoire européen de la fiscalité, correspond aux profits transférés par des grandes entreprises dans des paradis fiscaux sur la seule année 2022. Et les efforts des Etats pour mieux les taxer risquent de ne pas changer grand-chose. | |
| Par Marie Charrel | |
| Par Marie Charrel | |
| Par Marie Charrel | |
| Hier à 23h59, modifié à 07h47 | |
| Lecture 4 min | |
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| Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité, à Bruxelles, en juin 2021. FRANCOIS WALSCHAERTS / AP | |
| Mille milliards de dollars, soit près de 950 milliards d’euros. La somme est vertigineuse, équivalente au produit intérieur brut du Danemark et de la Belgique réunis. Elle correspond aux profits que les grandes entreprises de la planète ont transférés vers les paradis fiscaux sur la seule année 2022, selon le rapport sur l’évasion fiscale mondiale, publié lundi 23 octobre par l’Observatoire européen de la fiscalité. Et les efforts des Etats pour mieux taxer les multinationales à l’avenir risquent de ne pas changer fondamentalement la donne. | |
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| Hébergé par l’Ecole d’économie de Paris, créé en mars 2021 et cofinancé par la Commission européenne, l’observatoire livre ici le fruit de travaux inédits menés par plus de cent chercheurs dans le monde. Son ambition : « faire le point sur les progrès réalisés en matière de lutte contre l’évasion fiscale depuis dix ans et sur ce qu’il reste à faire », résume l’économiste Gabriel Zucman, son directeur. | |
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| Le sujet est plus brûlant que jamais. Alors que la pandémie a creusé les inégalités et les déficits publics, les Etats explorent aujourd’hui toutes les pistes pour regarnir les caisses publiques et répondre à une double urgence : soutenir les ménages face au choc inflationniste lié aux tensions internationales, et dégager des moyens pour financer la transition énergétique. « Si les citoyens ne pensent pas que tout le monde paie sa juste part d’impôts – surtout les riches et les grandes entreprises –, ils commenceront à rejeter l’impôt », souligne Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie 2001, en introduction du rapport. Au risque que cela nuise « au bon fonctionnement de notre démocratie, affaiblisse la confiance dans nos institutions et érode le contrat social ». | |
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| Du « bon, du mauvais et du très mauvais » | |
| Dans le grand tableau dressé par les auteurs, il y a du « bon, du mauvais et du très mauvais », résume Gabriel Zucman. Le « bon », d’abord : l’évasion fiscale offshore des particuliers fortunés – à savoir les dépôts bancaires, actions et autres titres financiers détenus à l’étranger et non déclarés – a nettement chuté, grâce à l’échange automatique d’informations bancaires instauré, en 2017, dans une centaine de pays. Dans le détail, la richesse offshore est estimée à 12 000 milliards de dollars en 2022, soit 12 % du PIB mondial. Aujourd’hui, le quart de cette richesse n’est pas déclaré aux autorités fiscales – et donc, échappent aux impôts –, contre plus de 90 % en 2007. « Cela montre que des progrès rapides peuvent être réalisés lorsqu’il existe une volonté politique de le faire », se félicitent les auteurs. | |
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| Vient ensuite le « mauvais ». En 2022, les bénéfices mondiaux des entreprises s’élevaient à 16 000 milliards de dollars environ, dont 2 800 milliards de dollars réalisés à l’étranger, c’est-à-dire dans un pays autre que celui du siège social de l’entreprise – comme les profits enregistrés par Apple hors des Etats-Unis. Or, sur ces 2 800 milliards, 1 000 milliards ont été transférés vers des paradis fiscaux, soit 35 % des profits réalisés à l’étranger. Leur destination privilégiée : l’Irlande, les Pays-Bas ou les îles Vierges et les îles Caïmans. | |
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| Les championnes du genre sont les multinationales américaines, qui transfèrent près de la moitié de leurs profits étrangers dans les paradis fiscaux, contre 30 % pour les autres. Une pratique, fruit de la concurrence fiscale lancée par certains pays, qui n’existait pas avant 1975, rappelle le rapport. « Elle s’est particulièrement accélérée au début des années 2010, peut-être en raison de la numérisation croissante de l’économie. » Pour les gouvernements, la perte s’élève à l’équivalent de 10 % des recettes collectées mondialement sur les sociétés. | |
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| « Une série de niches et d’exonérations » | |
| En 2021, plus de cent quarante pays se sont entendus pour instaurer un impôt minimum de 15 % sur les sociétés, sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Célébré comme une victoire, cet accord, qui doit entrer en vigueur en 2024, devait justement mettre un terme à la course au moins-disant fiscal. Seulement voilà : « depuis, il a été considérablement vidé de sa substance par une série de niches et d’exonérations », déplore Gabriel Zucman. En l’état actuel, il devrait augmenter de 4,8 % seulement les recettes totales de l’impôt sur les sociétés, au lieu de 9,5 %. S’ils supprimaient les diverses exemptions, les Etats pourraient récolter 130 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires, calcule l’observatoire. | |
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| Comme si cela ne suffisait pas, d’autres formes de concurrence fiscale internationale se développent. A l’exemple de la course aux subventions et aides pour les producteurs d’énergie verte, lancée en 2022 par les Etats-Unis, avec leur grand plan d’aide au verdissement de l’industrie, l’Inflation Reduction Act. Et dans laquelle l’Europe s’est engagée depuis. | |
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| « Bien sûr, ces aides accélèrent l’indispensable transition verte. Mais si elles ne s’accompagnent pas de mesures pour l’éviter, elles risquent de creuser les inégalités en favorisant les entreprises qui en profitent et en augmentant les bénéfices après impôts de leurs actionnaires, explique Gabriel Zucman, appelant à la vigilance sur le sujet. De plus, elles privent les gouvernements de ressources. » Selon les estimations centrales du rapport, ces crédits d’impôt aux énergies renouvelables pourraient coûter l’équivalent de 15 % des recettes fiscales sur les sociétés au cours de la prochaine décennie aux Etats-Unis, et presque autant en Europe. | |
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| « Le résultat de choix politiques » | |
| Depuis quinze ans, les Etats se livrent également une autre forme de concurrence : certains multiplient les régimes ultra-favorables pour attirer des particuliers aux hauts revenus ou des retraités. Il en existe aujourd’hui vingt-huit en Europe, contre cinq en 1995. A l’exemple des généreuses exonérations fiscales que la Grèce accorde aux étrangers investissant au moins 500 000 euros sur son sol. Problème : ces régimes amputent les recettes de l’ensemble des Etats européens de 7,5 milliards d’euros au total. | |
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| Le rapport dénonce enfin le « très mauvais » en matière fiscale : les milliardaires ne paient quasiment pas d’impôts – 0 % à 0,5 % – sur leur patrimoine. Ce, grâce aux diverses techniques d’optimisation permettant d’éviter que les revenus qu’ils génèrent, comme les dividendes, ne soient imposables. Tous impôts confondus, ils sont donc moins imposés que les classes moyennes. Taxer 2 % de la richesse des 2 756 milliardaires de la planète (dont 75 en France), dont la fortune totale culmine à 13 000 milliards de dollars, rapporterait 250 milliards d’euros, estiment les économistes. Tout en admettant que ces patrimoines sont difficiles – mais pas impossibles – à estimer. | |
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| « Trop longtemps, l’évasion fiscale des multinationales et des individus fortunés a été acceptée comme un effet collatéral inévitable de la mondialisation, explique Joseph Stiglitz. Mais elle est le résultat de choix politiques. » Le rapport développe une série de propositions complémentaires pour y remédier, comme une meilleure imposition des non-résidents, ou la création d’un cadastre mondial des actifs financiers, permettant de mieux identifier et taxer ces derniers. « L’expérience des dernières années montre que les progrès sont possibles, même lorsqu’un petit nombre d’Etats agissent ensemble sans attendre un grand accord mondial », conclut Gabriel Zucman. | |
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| Marie Charrel | |
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| ====== «L’évasion fiscale n’est pas une loi de la nature, on peut y faire face avec de la volonté politique» ====== | |
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| «L’évasion fiscale n’est pas une loi de la nature, on peut y faire face avec de la volonté politique» | |
| Dans un rapport paru ce lundi 23 octobre, l’Observatoire européen des fiscalités, dirigé par l’économiste Gabriel Zucman, propose une taxe sur les milliardaires et un impôt sur les multinationales qui pourraient générer à eux deux près de 500 milliards de dollars par an pour les États. Un rapport qui appelle aussi à mieux lutter contre l’évasion fiscale. Entretien avec Quentin Parrinello conseiller politique de l'Observatoire européen de la fiscalité. | |
| Le quartier d'affaires d'Amsterdam (illustration). AP - Peter Dejong | |
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| Ce rapport part d'un constat : «L'évasion fiscale n'est pas une fatalité ». La preuve, l'échange automatique d'informations bancaires mis en place il y a moins de dix ans a permis de diviser par trois la dissimulation d'actifs offshore par les plus riches. Malgré tout, force est de constater que les grandes fortunes sont aussi les moins taxées : le taux d'imposition effectif des milliardaires dans le monde reste inférieur à 0,5%. En France, on se rapproche même de 0%. | |
| Les milliardaires européens ne paient par exemple que 6 milliards de dollars d'impôts par an, assure l'Observatoire européen des fiscalités. Mais en imposant à 2% leur patrimoine, ces recettes fiscales pourraient septupler pour atteindre 42,3 milliards de dollars – soit 40 milliards d'euros – en Europe. L'Observatoire propose donc un impôt minimum mondial sur les 2 800 milliardaires. Pour le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, qui a préfacé le rapport, ces recettes « sont indispensables à nos sociétés (...) à l'heure où les gouvernements doivent consentir des investissements essentiels dans l'éducation, la santé, les infrastructures et la technologie ». | |
| Taxer 2% de leur patrimoine rapporterait 250 milliards de dollars par an. On pourrait doubler cette somme en taxant aussi, vraiment, les multinationales. En 2021, un accord historique avait été trouvé pour un taux d'imposition minimum mondial de 15 % sur les bénéfices des multinationales, rappellent les auteurs. Mais entre-temps, de nombreuses failles sont apparues et les économistes de l'Observatoire estiment qu'appliqué tel quel, cet accord ne rapportera plus qu'une fraction des revenus fiscaux espérés. Ils proposent donc un taux strict à 25% en éliminant les failles. De quoi renflouer les caisses publiques de 250 milliards de dollars supplémentaires. | |
| RFI : Qu'est-ce qui a rendu ce rapport possible ? | |
| Quentin Parrinello : Ce rapport est basé sur de nouvelles données mises à disposition par différentes administrations fiscales, ce qui nous a permis d’avoir une analyse beaucoup plus fine des dynamiques et de la magnitude de l’évasion fiscale. Ce rapport résume les travaux de plus de 100 chercheurs à travers le monde pour analyser l'impact des actions politiques internationales en matière de lutte contre l'évasion fiscale sur les dix dernières années. | |
| Quand on parle d’évasion fiscale, de quoi parle-t-on exactement ? | |
| Si vous interrogez un avocat, vous allez avoir deux définitions : la définition de la fraude fiscale qui est illégale, puis la définition de l'optimisation fiscale qui est légale. En vérité, c'est plus compliqué que ça : il y a un continuum entre la fraude d'un côté et l'optimisation de l'autre, il y a une zone grise au milieu qui est l'évasion fiscale. Le rôle du politique est de faire en sorte que cette zone grise soit de plus en plus fine pour qu'on sache précisément ce qui est illégal et ce qui est légal. Dans ce rapport, on prend donc une définition très large. On s’intéresse à la fraude fiscale qui est totalement illégale, mais on regarde également cette zone grise qui a évolué au cours des dix dernières années. | |
| Par exemple ? | |
| Par exemple, on montre que la pratique illégale qui consiste à ne pas déclarer des revenus « offshore » placés dans un paradis fiscal a beaucoup diminué ces dix dernières années, grâce notamment à l'introduction de l'échange automatique d'informations bancaires. Quelque part, cette mesure a mis un coup de frein au secret bancaire et la part des comptes bancaires offshore non taxés a été divisée par trois. Bien sûr, il reste des banques qui ne jouent pas le jeu, des actifs qui ne sont pas couverts et il y a encore des efforts à faire mais là-dessus globalement il y a eu du progrès. | |
| Si on parle des zones grises, on voit encore des multinationales qui, pour échapper à l’impôt, font remonter des sommes astronomiques de bénéfices en Irlande, aux Pays-Bas ou aux îles Caïmans, sans y avoir vraiment d'activité économique réelle. Face à ça, on peut dire comme un certain nombre de décideurs politiques pendant des années : « C'est légal, donc passez votre chemin, il n’y a rien à voir. » On peut aussi considérer que ce n’est pas acceptable. C'est ce qui a permis une avancée dans le débat politique ces 10 dernières années et la mise en place d’un certain nombre de mesures. La plus visible c’est ce fameux impôt minimum mondial sur les sociétés qui a été décidé en 2021 par plus de 140 pays. | |
| Un impôt qui prévoyait une fiscalité minimale de 15% sur les bénéfices des multinationales. Dans ce rapport, vous faites part de votre déception. Pourquoi ? | |
| Il y avait énormément d'espoir par rapport à cette mesure parce que, quelque part, philosophiquement, cet impôt est révolutionnaire. On peut avoir un débat sur le taux – nous pensons que 15% c’est trop bas –, mais une application systématique d'un impôt minimum constitue une avancée énorme. Mais ce qu’on voit depuis que l’accord a été adopté en 2021, c'est la multiplication de failles, de nouvelles exonérations qui sont mises en place et qui vont permettre à des multinationales de payer moins que les 15% prévus sur leurs bénéfices. D'après nos calculs, le rendement espéré de cet impôt au niveau mondial a été divisé par deux avec la multiplication de ces failles et de ces exonérations. Surtout, cet impôt avait pour objectif de mettre un terme à la concurrence fiscale déloyale entre les États. Avec ces exonérations, cette course au moins-disant fiscal va continuer sous d'autres formes. On n’assistera plus à une concurrence sur les taux d’imposition mais à la multiplication d’exonérations fiscales et de crédit d’impôts. | |
| L’une des propositions que vous formulez dans ce rapport est de passer d’un taux minimum d’imposition à 20%. Vous estimez que cela rapporterait 250 milliards de dollars par an aux États, à condition d’en finir avec ces failles. Comment ? | |
| Idéalement, il faut un nouvel accord international. C'est toujours mieux que tous les pays se mettent d'accord sur un taux, sur les mêmes pratiques, ça veut dire qu'il y a moins de failles dans le système. Mais si ça ne marche pas, on dit aussi qu'un certain nombre de pays peuvent, de manière unilatérale ou en coalition, prendre les devants et appliquer un taux d'imposition minimum qui soit plus ambitieux. Si on attend un nouvel accord au niveau international, quelque part cela revient à donner un droit de veto aux paradis fiscaux. Surtout qu’il y a des précédents : ce fameux accord minimum sur les multinationales existe parce que, précisément, un certain nombre de pays, y compris la France, ont mis en place des mesures unilatérales : la taxe Gafa pour les Français. Des mesures qui ont poussé d'autres pays moins motivés à s’asseoir à la table des négociations. | |
| Toutes les mesures que l’on vient d’évoquer concernent les grandes entreprises, les multinationales. Vous parlez aussi dans ce rapport des particuliers, et des milliardaires en particulier. Vous faites le constat que le patrimoine des milliardaires dans le monde est très faiblement taxé : entre 0 et 0,5%. | |
| 0 à 0,5% de leur fortune, oui. Dans ce rapport, on fait un peu le panorama de tout ce qui a existé. Si vous aimez les westerns, c'est un peu comme The good, the Bad and the Ugly [Le bon, la brute et le truand, NDLR]. Dans les mesures récentes, il y a du bon, notamment le fait de s'être attaqué au secret bancaire. Il y a du moins bon : la promesse déçue de l'impôt minimum. Et puis il y a le carrément mauvais : le fait de n'avoir eu aucune action significative au niveau international en matière de taxation des milliardaires. | |
| Dans tous les pays où l'on présente des données, les milliardaires payent moins d'impôts que le reste des citoyens. Ce n'est pas un hasard : c'est simplement que les milliardaires sont très doués pour structurer leur patrimoine de manière à ce qu'il ne génère pas du revenu taxable. Encore une fois, nous sommes dans la zone grise de la légalité puisqu'ils font ça, notamment via des sociétés écrans, des holdings familiales qui ont pour simple but d'éviter l'impôt. Pour nous la manière la plus simple d'y faire face est de mettre en place un impôt minimum pour les milliardaires. On propose 2%. En 2023, ça rapporterait 250 milliards d'euros. Donc on estime que c'est une mesure qui, même si elle ne concerne environ que 3 000 personnes, n’est pas anecdotique. | |
| Comment fait-on pour appliquer un taux minimum d'imposition sur les milliardaires quand on sait qu'ils sont par définition un peu partout dans le monde ? | |
| Là encore, idéalement, il faut un accord mondial. Nous pensons que le prochain sommet du G20 au Brésil pourrait être une très bonne opportunité de faire avancer les choses. On sent qu'il y a un intérêt du Brésil pour mettre ce sujet à l'agenda. Mais si ça ne marche pas, on peut tout à fait avancer de manière unilatérale ou de manière collégiale, avec un certain nombre de pays. Par exemple, on propose un impôt anti-exil fiscal. Son principe serait que si vous avez vécu très longtemps dans un pays et que vous partez pour des motifs fiscaux, vous continuez à payer cet impôt dans le pays que vous venez de quitter. Avec l'échange automatique d'informations bancaires, nous pensons que les moyens techniques de mettre en place une telle mesure existent. | |
| On présente souvent la France comme un pays où les riches sont particulièrement taxés. En fait, on lit dans votre rapport que les milliardaires français sont moins taxés qu’aux États-Unis, par exemple. | |
| Oui, absolument. Il y a quelques mois, Gabriel Zucman, le directeur de l'Observatoire, a même parlé de la France comme « d'un paradis fiscal pour les ultra-riches ». Ce qui est très marquant, c'est qu’il y a effectivement des taux d'imposition pour la moyenne des Français qui sont plus hauts que dans beaucoup d'autres pays, mais ce n’est pas du tout le cas pour les milliardaires. En moyenne environ la moitié des revenus avant impôt d’un Français part dans les impôts : c'est deux fois moins pour les milliardaires même quand on regarde les impôts qu’ils payent indirectement via les entreprises qu'ils détiennent. | |
| Ils payent très peu d'impôts sur le revenu du travail, vu que cela représente une part très marginale de leurs revenus, mais ils payent aussi très peu d'impôts sur les revenus du capital et ça c'est un peu contre intuitif parce que des milliardaires touchent beaucoup de dividendes. Je pense à Bernard Arnault qui cette année a touché 3 milliards d’euros de dividendes de LVMH. Mais là où un actionnaire individuel payerait 30% d'impôts, c'est la « flat tax », Bernard Arnault en utilisant une holding familiale, ne paye presque pas d'impôts. Donc nous sommes face à une véritable rupture d'égalité. C'est non seulement mauvais pour la démocratie, mais c'est également un facteur d'exacerbation des inégalités. | |
| Vous écrivez : « l'évasion fiscale n'est pas une fatalité, c'est avant tout une décision politique ». | |
| On a l'impression que pendant 30, 40 ans, les décideurs politiques ont accepté l'évasion fiscale comme un effet de bord de la mondialisation qui serait inattaquable. Dans ce rapport nous montrons que c'est faux, on le voit avec l'introduction de l'échange automatique d'informations : qui aurait pu imaginer il y a dix ans que les banques suisses donneraient les informations de leurs clients aux autorités fiscales en France, aux États-Unis, en Chine ou ailleurs ? Aujourd'hui, c'est la réalité, parce qu'il y a eu la volonté politique d'avancer sur le sujet. Donc aujourd'hui quand on parle de sujets comme une plus haute imposition des multinationales, ou d'un impôt sur la fortune des milliardaires, pour certains, ça peut paraître totalement utopique mais l’évasion fiscale n'est pas une fatalité, ni une loi de la nature : l'évasion fiscale, on peut y faire face pour peu qu'il y ait une volonté politique. | |
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