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Le Monde – Quand Molière s’attaquait à la querelle des sexes avec « L’Ecole des femmes »

Séries d’été Quand Molière s’attaquait à la querelle des sexes avec « L’Ecole des femmes »

« Les batailles du théâtre » (2/6). En 1662, date de la création de la pièce, l’envol du personnage d’Agnès vers la liberté est un pavé projeté sur le patriarcat. Longtemps négligée ou minorée, la force émancipatrice de l’héroïne s’impose avec le mouvement #metoo. Par Joëlle Gayot Par Joëlle Gayot Par Joëlle Gayot Aujourd’hui à 16h00 Lecture 6 min Article réservé aux abonnés Offrir Lecture restreinte Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article Pour plus d’informations, merci de contacter notre service client. Pierre Dux et Isabelle Adjani, dans « L’Ecole des femmes », de Molière, mis en scène par Jean-Pierre Roussillon, à la Comédie-Française, à Paris, en mai 1973. ANGELO MELILLI/ROGER-VIOLLET Retrouvez tous les épisodes de la série « Les batailles du théâtre » ici. « Le petit chat est mort. » Cette réplique d’Agnès a volé la vedette à un vers moins fameux, mais plus vénéneux de L’Ecole des femmes : « Je vous épouse, Agnès. » Acte III, scène 2 : la messe est dite, Arnolphe a parlé. Ce tuteur autoproclamé d’une enfant de 4 ans, cloîtrée entre les murs d’un couvent jusqu’à ce qu’il l’en sorte pour l’enfermer chez lui, ce barbon sûr de lui endosse, d’une phrase, d’une seule, les habits du mari. Arnolphe a 40 ans, et Agnès 17. Peu lui importe : sa petite protégée a été éduquée pour devenir une idiote qui ne le cocufiera pas. Cette comédie de Molière passerait-elle sans encombre sous les radars des combats actuels contre les violences sexistes et sexuelles ? Qu’on se rassure. La tentative de prédation sera déjouée par une postadolescente qui se révélera moins sotte que ne le supposait son geôlier. On peut même lire la pièce comme le récit d’une émancipation féminine, sexuelle et intellectuelle, qui a, du reste, déclenché, en son temps, une interminable querelle dont l’auteur a su se défendre avec un talent de grand communicant. Que se passe-t-il le 26 décembre 1662, lorsque Jean-Baptiste Poquelin donne ses cinq actes versifiés devant un Louis XIV hilare, dit-on, « jusqu’à s’en tenir les côtes ». Trop de rires, justement, de la part de Son Altesse. Ce succès déplaît aux frères Pierre et Thomas Corneille, à la troupe concurrente de l’hôtel de Bourgogne, et enfin aux dévots, furieux d’entendre, ânonnées par Agnès, des maximes du mariage parodiant, selon eux, les préceptes religieux. A mesure qu’elles montent en puissance, les critiques volent de plus en plus bas. Un comédien, Montfleury, envoie une requête au roi où (rapporte Racine dans une lettre à son ami Le Vasseur) il accuse le dramaturge d’avoir « épousé la fille et d’avoir autrefois couché avec la mère ». Molière vient en effet de se marier avec Armande, la fille de son ancienne compagne Madeleine Béjart. La querelle littéraire vire à la calomnie, on hurle au plagiat, à l’indécence, à l’impiété. Des feux de paille, relativisait toutefois l’historien Georges Forestier (1951-2024), spécialiste de l’œuvre, pour qui Molière, seul, a créé l’esclandre en provoquant frondeurs et censeurs. En réponse à ses détracteurs, il écrit La Critique de l’école des femmes, puis L’Impromptu de Versailles. Ce fin stratège sait souffler sur les braises. La cabale porte ses fruits : l’envol d’Agnès vers la liberté, hors des griffes d’Arnolphe, est un pavé projeté sur le patriarcat. D’autant qu’au XVIIe siècle, on ne plaisante pas avec la toute-puissance masculine. Louis Jouvet et Madeleine Ozeray, dans « L’Ecole des femmes », de Molière, mis en scène par Louis Jouvet, au Théâtre de l’Athénée, à Paris, en mai 1936. BORIS LIPNITZKI/ROGER-VIOLLET Sortant d’une éclipse de près de trois cents ans, la pièce rebondit, en 1936, sur les planches du Théâtre de l’Athénée, où Louis Jouvet la remet au goût du jour. Représentations triomphales, jeu sobre de Jouvet en Arnolphe, décors légendaires de Christian Bérard, réception élogieuse. Dans les commentaires, rien ne détaille ce rapport trouble entretenu par un homme d’âge mûr avec une très jeune femme. Multiples relectures « Lorsque Jouvet met le texte en scène, c’est lui qu’on vient voir », et pas Madeleine Ozeray en 1936 ou Dominique Blanchar en 1950 dans le rôle d’Agnès, explique l’universitaire et dramaturge Anne-Françoise Benhamou. « En revanche, lorsque, en 1973, Jean-Paul Roussillon [1931-2009] propose sa version à la Comédie-Française, avec Isabelle Adjani, c’est elle qu’il met au centre et que le public veut découvrir. » La bascule est d’autant plus forte que deux comédiens, Michel Aumont et Pierre Dux, se partagent alternativement le rôle d’Arnolphe face à Adjani, ce qui atténue la mise en vedette du héros. Grâce à Roussillon, en conclut Anne-Françoise Benhamou, Agnès devient un personnage qui intéresse. « Il a fallu ce spectacle, réalisé dans un moment de féminisme actif, les années 1970, pour transformer le regard sur elle et sur la pièce. » Cette adaptation est le prélude à de multiples relectures de l’œuvre. Une soixantaine depuis 1973, dans le théâtre public comme privé. Si la plupart sont tombées dans les oubliettes, d’autres font date. Dominique Valadié est de la distribution des « quatre Molière » montés en tir groupé, en 1978, par Antoine Vitez (1930-1990) : Le Misanthrope, Dom Juan, Le Tartuffe et donc L’Ecole des femmes. Didier Sandre, Jean-Claude Durand, Richard Fontana et Daniel Martin dans « L’Ecole des femmes », de Molière, mis en scène par Antoine Vitez, lors du Festival d’Avignon, en 1978. BRIGITTE ENGUERAND/DIVERGENCE Pour cette dernière pièce, Vitez ne tranche pas entre le féminisme et la misogynie du texte. Il veut aller à l’os de l’écriture. Comme le souligne alors Colette Godard dans Le Monde, il entend « retraverser les couches d’interprétations accumulées depuis trois siècles ». Sans qu’Agnès soit effacée, Arnolphe reprend de l’importance, et sa douleur est mise au jour. Dominique Valadié, qui incarnait Agnès, se souvient de son partenaire, Didier Sandre : « Il était jeune et beau. Il jouait un Arnolphe dont l’âge n’importait pas. Seule comptait l’innocence d’Agnès. Une jeune fille se livrait, sans retenue, à celui qui pour elle était un père ou un grand frère. Mais Arnolphe, peu à peu, était gagné par une souffrance terrible. Il y avait quelque chose de profondément tragique entre cet homme qui voulait façonner une femme, la rendre idiote au sens de pure, et l’émancipation de cette femme. » « Arnolphe est la légalité » Le psychanalyste Jacques Lacan, quant à lui, préfère disserter sur la nature authentiquement comique de l’amour dans L’Ecole des femmes sans pour autant contester la sincérité des émotions du héros : « Il préfère encore être cornard (…) plutôt que de perdre l’objet de son amour. » (Le Séminaire, livre V, Seuil, 1998.) Cette thèse est reprise à la volée par le metteur en scène Eric Vigner qui, en 1999, privilégie une approche onirique et poétique de L’Ecole des femmes : « Si Arnolphe est présenté comme un pervers, ça n’a aucun sens de monter la pièce, dit-il aujourd’hui. Cet homme a un projet personnel et utopique. Il éduque cette jeune fille en étant mû par une pensée à la Descartes : je pense, donc je suis. Il fait d’elle une femme, et elle devient un être complet. Parce qu’il réussit son projet, ce projet lui échappe. Alors il préfère la donner à son jeune rival, Horace. » Qu’on le blâme ou qu’on l’encense, Arnolphe prend toute la lumière, d’autant qu’Agnès ne parle que dans six scènes sur les trente-deux que compte la comédie. Même Coline Serreau, l’une des rares femmes à avoir monté la pièce, plaide sa cause : « Arnolphe me touche infiniment. Il est la légalité. Ni un escroc ni un fourbe, pas même un illuminé, mais un homme qui pousse jusqu’à l’absurde un système. Il affirme pouvoir acheter un être humain. Il en a le droit (…). Il est l’Occident. Il a le savoir, le pouvoir, la technologie (…). On voit où ça le mène : au désastre » (Le Figaro, 10 mars 2006). Coline Serreau ajoute : « Il ne comprend pas son naufrage. » A quel moment le héros, Arnolphe, que le critique du Monde Michel Cournot n’hésitait pas, en 2001, à qualifier de « pédophile », à propos d’une mise en scène de Jacques Lassalle, cesse-t-il de monopoliser l’attention des metteurs en scène ? Pas simple d’oxygéner un répertoire qui confine le féminin dans les marges. « Tant que l’on montera des pièces du théâtre classique avec des distributions genrées, les femmes seront toujours reléguées au rang d’accessoire », explique Reine Prat, autrice d’Exploser le plafond. Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture (Rue de l’Echiquier, 2021). Le théâtre, écho de l’indépendance de la femme Il n’est pourtant pas d’usage qui tienne, face aux préoccupations contemporaines : en 2014, réitérant le geste d’Antoine Vitez, Gwenaël Morin monte les « quatre Molière », sauf que les filles y jouent les hommes (et inversement), la distribution résultant d’un tirage au sort effectué, chaque soir, par les comédiens. Agnès (Susanne Aubert), dans « L’Ecole des femmes », de Molière, mise en scène par Stéphane Braunschweig, à L’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, en décembre 2018. PASCAL VICTOR/ARTCOMPRESS VIA OPALE.PHOTO Moins tapageuse, mais plus révolutionnaire sera l’approche, en 2019, de Stéphane Braunschweig à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Le mouvement de libération de la parole des femmes est passé par là. Le hashtag #metoo incendie les réseaux sociaux. Les mécanismes de l’emprise et la notion de consentement s’imposent. Le spectacle de Braunschweig s’inscrit dans un contexte où la relation hommes-femmes se redéfinit. Lire aussi Théâtre : un Molière très #metoo Sur le plateau, Agnès (interprétée par Suzanne Aubert) apparaît sur un écran vidéo. Elle est filmée dans la chambre où l’assigne Arnolphe (Claude Duparfait). Même mutique, elle impose sa stature, sa présence et son poids de réalité. Elle n’est pas une coquille vide, mais un sujet pensant. Pour Anne-Françoise Benhamou, collaboratrice artistique de Stéphane Braunschweig, il n’était pas question de sous-traiter l’héroïne : « Dès le début du spectacle, nous avons voulu montrer son point de vue, rendre sensible son malaise, sa compréhension, même confuse, que rien ne va dans la situation où elle se trouve. C’était une façon de renverser d’emblée les perspectives. » Pour Anne-Françoise Benhamou, L’Ecole des femmes porte un enjeu politique plus profond : restaurer la subjectivité des personnages féminins issus du répertoire et de la tradition. « Il est temps de cesser de prendre la domination comme une évidence, mais de l’observer depuis les consciences des héroïnes féminines en pointant leurs endroits de lutte et de résistance. » Lire aussi l’entretien Stéphane Braunschweig : « Molière nous réserve toujours des surprises » Sans nier la violence qui lui est faite, le personnage d’Agnès ne peut plus se réduire à un statut victimaire : quatre siècles après son écriture, la comédie de Molière coïncide avec une évolution des mœurs qui encourage l’indépendance de la femme plutôt que sa soumission. Le théâtre dans son ensemble se fait du reste l’écho de cette avancée. Les héroïnes des textes contemporains sont cheffes d’entreprise, responsables politiques, célibataires ou sans enfant. En un mot : autonomes. Quant aux héroïnes classiques, elles ont beau dépendre d’hommes dont elles sont les épouses, les filles ou les mères, elles sont animées de vies intérieures. Ce sont ces vies échappant au contrôle masculin que les artistes d’aujourd’hui cherchent à révéler par leurs mises en scène. Que pensent-elles, que vivent-elles, que veulent-elles ? Ces questions-là sont loin d’être vaines. Retrouvez tous les épisodes de la série « Les batailles du théâtre » ici. Joëlle Gayot NOS LECTEURS ONT LU ENSUITE Cinq accessoires utiles pour la rentrée aujourd’hui à 15h32 Au Royaume-Uni, le premier ministre, Keir Starmer, annonce un budget « douloureux » et des « décisions difficiles » aujourd’hui à 18h36 Au théâtre, le retour d’une censure qu’on croyait évanouie avec l’Italien Romeo Castelluci hier à 16h00 « Las Azules », sur Apple TV+ : les pervenches de Mexico, entre « Police Academy » et « Le Silence des agneaux » aujourd’hui à 16h00 L’ancêtre commun à tout le vivant actuel en partie décrypté aujourd’hui à 17h32 Trump Fictions : « Un justicier dans la villeplugin-autotooltip__blue plugin-autotooltip_bigPopUp Text

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