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« C’est devenu compliqué de regarder du porno » : comment les Français bouleversent leurs habitudes intimes
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« Mon compagnon et moi sommes de grands consommateurs de pornographie depuis des années. Nous en regardons généralement avant de dormir, pour nous détendre », confie sans détour Stéphanie, 52 ans, créatrice du compte Instagram Le Boudoir Aphrodite. Elle regrette une période antérieure à l’instauration du système de vérification d’âge sur les plateformes pour adultes. « Avant, il suffisait de quelques clics pour trouver son “envie du soir”. Désormais, lorsque l’on est couché et fatigué, il faut donner son e-mail, recevoir un code, rallumer la lumière pour se filmer le visage… C’est une véritable barrière. Ma consommation a chuté d’un coup. »
Un constat largement partagé. Selon un sondage du Journal du geek, un Français sur quatre a diminué sa consommation depuis l’application de la loi, il y a six mois. Beaucoup ont également trouvé des moyens de contournement. Le dispositif impose aux sites de vérifier l’âge de chaque utilisateur grâce, notamment, au « double anonymat » : un tiers de confiance vérifie l’âge, sans connaître la nature de la demande, puis délivre une attestation à la plateforme. Deux Français sur trois redoutent les risques induits par ce système. D’autres jugent la procédure trop lourde pour un plaisir spontané.
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Un mal nécessaire pour protéger les mineurs ? Pas vraiment, selon l’opinion publique : seuls 21,7 % des sondés croient en l’efficacité réelle du dispositif. Surtout lorsque l’on sait que les plus jeunes maîtrisent particulièrement bien les outils numériques de contournement.
Le développement de circuits parallèles
« En tant qu’expatrié, j’utilise un VPN depuis longtemps. La loi n’a eu aucun impact sur ma consommation, explique Julien, la trentaine. Je contourne le blocage en quelques secondes. Je vois simplement davantage de publicités belges. » À tel point que Free a capitalisé sur le phénomène : l’opérateur a lancé en septembre une offre « Free mVPN » intégrant un accès VPN dans certains forfaits, se présentant comme « le premier opérateur au monde » à le proposer gratuitement.
Derrière l’argument du pouvoir d’achat, certains y lisent une défense implicite de la liberté d’accès aux contenus pornographiques. L’utilisation du VPN reste d’ailleurs un réflexe concentré chez les jeunes : 59 % des 18-24 ans y ont recours, une proportion qui chute avec l’âge.
Sur X (anciennement Twitter) et d’autres plateformes sociales, une offre parallèle se structure, échappant à toute régulation. « J’ai découvert des comptes diffusant des films pornographiques en intégralité, en libre accès, raconte Julien, 37 ans. Ce sont clairement des contenus piratés provenant de boîtes de production. Je regarde maintenant des films asiatiques hétéros, même si ce n’est pas mon contenu idéal. »
30 % des 18-24 ans affirment désormais utiliser les réseaux sociaux ou les messageries privées (Instagram, Telegram, Snapchat) pour accéder à ces contenus. Benoît, 40 ans, décrit la méthode : « Je suis passé à Telegram. Une simple recherche sur Google, “t.me + le tag”, permet d’accéder à des vidéos issues de Pornhub, Brazzers ou de sites plus confidentiels. Ce sont des contenus leakés, mais au moins il n’y a pas de publicité. »
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En parallèle, des sites non conformes continuent d’être accessibles, sans pression réelle de la part de l’État. « 33 % des Français migrent vers des sites alternatifs moins protégés et moins réglementés. On peut se demander si la loi n’a pas mis en lumière des circuits encore moins sûrs qu’auparavant », alerte Amandine Jonniaux, experte sextech et rédactrice en chef adjointe au Journal du geek.
Une pause salutaire pour certains
Autre phénomène : le basculement vers les plateformes privées comme MYM ou OnlyFans, mêlant sexualité tarifée et illusion d’intimité. « Depuis la fermeture des grands tubes, j’utilise davantage MYM, au grand désarroi de mon compte bancaire, reconnaît Bastien, 37 ans. Le dialogue crée un semblant de proximité. On se découvre un peu, comme sur un site de rencontre, mais cela glisse rapidement vers du sexe à distance tarifé, source de frustration. » Si seuls 7,12 % des sondés déclarent les utiliser, ces plateformes séduisent particulièrement les jeunes adultes – 12,82 % des 25-34 ans et 11,54 % des 35-44 ans.
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Pour certains, le dispositif va bien au-delà de la protection des mineurs. « Cette loi impacte tout le monde. L’industrie du contenu pour adultes en subit les conséquences directes. On prétend protéger les jeunes, mais j’ai le sentiment qu’il s’agit davantage de moraliser la sexualité », estime Jérémy, 33 ans, qui vit à Rouen. « Non seulement le contrôle d’âge est devenu systématique, mais plusieurs sites majeurs sont désormais inaccessibles. La censure devient inquiétante », renchérit Éric, 52 ans, d’Angoulême.
Amandine Jonniaux nuance : « C’est avant tout une question de morale publique. La France veut se positionner comme pionnière et envoyer un message politique. Cette mesure pourrait véritablement faire date dans l’histoire de la régulation d’Internet. »
Pour une minorité, l’accès compliqué aux contenus pornographiques a permis de reprendre de la distance. « Les sites en accès libre encourageaient la consommation automatique. On regardait parce que c’était là, parce que les amis le faisaient. Depuis leur fermeture, je m’en passe très bien », explique Augustin, 24 ans.
D’autres témoignent d’une redécouverte de formes alternatives de pornographie plus imaginatives. Hélène, 39 ans, raconte : « Je ne trouvais plus mon plaisir sur les grandes plateformes. Je suis passée à Femtasy : c’est payant, mais plus respectueux, moins cru. Cela stimule davantage l’imaginaire. » D’autres utilisateurs se tournent vers des sites d’histoires érotiques. Pour certains adultes, la loi introduit un « temps mort » bienvenu dans une industrie capturant l’attention à grande échelle. Reste que la raréfaction des discours positifs sur la sexualité nourrit une forme de tabou croissant, peu propice à des rapports apaisés chez les plus jeunes.
« Je ne suis pas convaincue que cela traite le fond du problème. Si les jeunes regardent du porno, c’est qu’ils se posent des questions. Et il n’y a toujours pas d’éducation à la sexualité », conclut Stéphanie. Ironie du calendrier : si l’État a appliqué avec efficacité la loi sur les sites pornographiques, il n’a jamais mis en œuvre la loi imposant trois séances annuelles d’éducation à la sexualité. Il a été condamné, le 2 décembre dernier, par le tribunal administratif de Paris pour cette inapplication. Or, cette politique publique pourrait être l’un des leviers essentiels pour une jeunesse dont la sexualité et la santé mentale restent en crise, avec ou sans VPN.